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Gabriel Nadeau-Dubois : « Nous voulons prendre le pouvoir et transformer la société québécoise »

Par Simon Mauvieux

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Pour comprendre l’actualité de la gauche québécoise, un entretien avec Gabriel Nadeau-Dubois, figure de la contestation étudiante de 2012, député et porte-parole de Québec Solidaire, jeune parti qui renouvelle le legs de la gauche indépendantiste au sein de la « Belle Province ».

Le 1er octobre 2018, le Québec vit une échéance électorale historique. Par sa lourde défaite (10 députés élus sur 125), le Parti Québécois, formation historique de l’indépendantisme depuis 1968, enterre en partie le clivage indépendantisme/fédéralisme qui régnait dans la vie politique de la province depuis les années 1970. Le PQ, qui avait remporté cinq élections et gouverné la province pendant 21 ans, a implosé suite au résultat catastrophique du scrutin, après avoir surfé sur une vague identitaire et nationaliste.

C’est un autre parti, de gauche, qui porte désormais la question indépendantiste. Québec Solidaire a créé la surprise en obtenant, avec dix députés, le score le plus élevé de sa jeune histoire, une première pour ce parti créé en 2006. S’il reste encore marginal, QS est le seul parti québécois relativement représentatif à défendre des idées de gauche radicale : l’amélioration des services publics, affaiblis par 15 ans de règne du Parti Libéral, la gratuité scolaire, l’augmentation du salaire minimum ou encore la création d’un revenu minimum garanti.

Dans un Québec largement dominé par l’air du temps libéral, ces propositions détonnent et sont loin de faire l’unanimité. Populaire auprès de la jeunesse montréalaise, QS gagne en influence partout dans la province et assume à présent son rôle de force politique montante. Où en est la gauche québécoise ? Comment conçoit-elle l’indépendance au XXIème siècle ? Rencontre avec le député Gabriel Nadeau-Dubois, 29 ans, ancien leader de la contestation étudiante de 2012 et figure du renouveau de la gauche québécoise indépendantiste.

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Avant 2018, Québec Solidaire n’avait jamais remporté plus de quatre sièges. Aux dernières élections, vous avez obtenu un score historique en faisant élire dix députés, dont six en dehors de Montréal, alors que vous n’aviez jamais dépassé auparavant les quatre représentants. Comment analysez-vous ces résultats?

C’est un moment charnière. Politiquement, pour utiliser une métaphore très nord-américaine, nous sommes passés d’une ligue mineure à une ligue majeure. Québec Solidaire était considéré comme un tiers parti. En octobre dernier, nous sommes vraiment entrés, en ce qui concerne la perception médiatique et politique, dans la même arène que les autres partis. Notre formation politique a traversé des frontières symboliques, en sortant notamment de l’île de Montréal, en faisant élire des députés dans la capitale, la ville de Québec, mais également une première députée en zone rurale, dans la région éloignée de l’Abitibi-Témiscamingue. La totalité des analystes et commentateurs de la scène politique ne pensait pas que nous en étions capables. Nous avons fait mentir les pronostics. Pour nous, c’est un gain politique énorme.

Par ces résultats, Québec Solidaire est-il passé d’un parti contestataire à un vrai parti de gouvernement, qui peut prétendre à la prise du pouvoir ?

Nous sommes dans un changement de paradigme. À l’intérieur même du parti, la culture politique est en train de changer, de passer d’une culture de la contestation et du contre-pouvoir à une logique de la prise du pouvoir. Dans l’élaboration de nos propositions, dans la manière de faire les choses, nous sommes de moins en moins réticents à dire clairement que ce que nous souhaitons, c’est gouverner, prendre le pouvoir, et que nous allons le faire. Il y avait, dans les dernières années, une vraie timidité à affirmer ces choses-là : c’était perçu comme un manque d’humilité, comme de la mégalomanie. Notre objectif est maintenant de plus en plus assumé : nous ne sommes pas là pour être la conscience morale du Parlement, mais pour prendre le pouvoir et transformer la société québécoise.

Lors de la dernière campagne, vous avez peu mis en avant la question de l’indépendance, pourtant importante dans votre travail théorique.

Était-ce la colonne vertébrale de notre dernière campagne ? Non. Mais c’était pourtant partout dans notre discours. Il faut résister à la tentation de hiérarchiser les différentes valeurs fondatrices de Québec Solidaire. Notre dernière campagne électorale était centrée sur la question des changements climatiques, pour de raisons de conjoncture et des raisons stratégiques évidentes en 2018. Cette priorité n’a pas conduit à une mise à l’écart des autres enjeux. Parler de changements climatiques, c’est aussi l’occasion pour nous de parler de justice sociale. De la même manière, la question de l’indépendance est incontournable dans notre vision de la transition, dans la mesure où le plan de transition économique que nous avons proposé prenait comme acquise l’idée suivante : le Québec doit avoir l’ensemble des pouvoirs pour décider de cette transition. Il s’agit par exemple d’avoir l’ensemble des pouvoirs pour négocier les accords économiques internationaux, pour développer notre secteur agricole de la manière qui nous apparaît la plus juste, la plus solidaire et la plus durable.

Dans les grandes lignes, à quoi ressemblerait un Québec indépendant gouverné par Québec Solidaire?

Pour Québec Solidaire, l’indépendance est un processus démocratique basé sur la convocation d’une assemblée constituante. C’est une idée qui circule aussi en France. Cette assemblée constituante donnerait l’occasion au peuple québécois de redéfinir l’ensemble des institutions politiques du Québec. C’est ainsi que nous souhaitons procéder pour fonder le nouvel État du Québec en partenariat avec les Premières Nations. Pour un parti de gauche comme QS, la question du partage du territoire est centrale, comme elle devrait l’être pour tout parti de gauche en Amérique du Nord. On ne peut penser l’indépendance du Québec sans réfléchir à la question des Premières Nations, qui étaient sur le territoire avant les peuples de descendance européenne, qui occupaient ce territoire et l’occupent toujours, qui ont des droits ancestraux en matière d’occupation et d’exploitation du territoire. Pour nous, l’assemblée constituante est l’occasion rêvée de procéder à la création d’un premier État au monde en partenariat réel avec les Premières Nations. La constituante, c’est le forum qui nous permet de faire cela, mais également d’en finir avec la monarchie britannique, les institutions du régime canadien, pour mettre sur pied ce que nous voulons : un régime politique républicain, démocratique, qui donne la pleine souveraineté au peuple québécois et aux peuples autochtones avec lesquels nous partageons le territoire.

Sur l’écologie, un paradoxe : en Europe, le Premier ministre fédéral Justin Trudeau apparaît comme un grand humaniste, écologiste et progressiste. Comment percevez-vous son action climatique? Pour Québec Solidaire, l’écologie n’est pas-elle devenue un point majeur dans la volonté de créer un État indépendant du Canada?

L’indépendance et la transition écologique doivent aller de pair. L’indépendance est un accélérateur incroyable pour la transition écologique au Québec. Le Canada est un État pétrolier : son économie repose en grande partie sur l’exploitation et l’exportation du pétrole canadien, qui est l’un des pétroles les plus polluants au monde à produire. Les sables bitumineux albertains sont l’énergie fossile la plus polluante au monde. L’État canadien est, dans son ADN, un État extractiviste. Vous avez raison de souligner l’hypocrisie spectaculaire du Premier ministre canadien Trudeau, élu sur la promesse de tourner la page de l’ère conservatrice précédente, au cours de laquelle le Canada avait mis toutes ses billes économiques dans le développement pétrolier.

Après un premier mandat, on remarque que c’était essentiellement du marketing. Les politiques de Trudeau en matière environnementale sont essentiellement les mêmes que celles du gouvernement Harper [Premier ministre du Canada de 2006 à 2015, membre du Parti conservateur, NDLR]. Il n’y a pas de différence : le Canada continue de subventionner grassement le secteur pétrolier. Trudeau est même allé plus loin qu’Harper, en nationalisant un oléoduc à coups de milliards de dollars de fonds publics. Pour le Québec, il y a quelque chose de très frustrant : nous voyons Trudeau monter sur toutes les tribunes à l’international, afficher son beau sourire, son look jeune et branché, alors que ce n’est qu’une version jeune et cool de la pétroéconomie canadienne.

Crédits photo de Une : Ben Powless / Flickr - CC.

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