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On est déjà dans une crise financière | Paul Jorion

Prophète de la crise des subprimes de 2008, qu’il avait prédite plusieurs années plus tôt, Paul Jorion, anthropologue et ex-trader, alerte sur la gravité de ce qui se déroule actuellement sur les principaux marchés boursiers mondiaux.

Hier, lundi 9 mars, les cours du pétrole accusaient une baisse brutale de 30%. La bourse de Londres clôturait sur une chute de 7,69% et Francfort de 7,94 %. Et Paris s’est replié de 8,39 % ! À New York, le Dow Jones suivait une courbe baissière similaire.

La légère amélioration du lendemain ne doit pas nous bercer d’illusions, estime l’anthropologue Paul Jorion, ex-trader étant devenu célèbre pour avoir prévu la grande crise financière de 2008. “Les grandes crises se caractérisent par des chutes en dents de scie. D’un jour à l’autre, on peut se regrouper, rassembler ses forces, donner des instructions à certains intervenants pour agir en coulisses. Il y a aussi les commentateurs qui disent que c’est le moment de racheter parce que tout est bon marché. Et certains gogos qui les croient !”, ironise Paul Jorion.

Doit-on déjà comparer ce qui se passe en ce moment avec les crises de 2008, voire de 1929 ?
De fait, tous les observateurs s’accordaient sur la surévaluation des valorisations boursières. Mais il a fallu des événements extérieurs aux cénacles de la finance pour que tout dégringole. En particulier, la baisse de l’activité en Chine, dans un contexte où la règle du flux tendu régit les routes de la mondialisation. “Il a suffi que, dans une région qui nous alimente avec énormément de produits, une quarantaine drastique se mette en place pour produire des ruptures dans la chaîne de nos industries.

La cause première de la crise financière actuelle, “c’est l’épidémie” de coronavirus, donc. “Une baisse de l’activité économique fait baisser la demande de pétrole, ce qui produit des tensions. Elles ont ravivé des tensions existantes entre la Russie et l’Arabie saoudite et produit un effet boule de neige”, explique Jorion.

Mais la baisse des cours du pétrole est plus un catalyseur qu’autre chose. C’est le détonateur qui a fait exploser une bulle financière déjà bouffie, nourrie jusqu’au gavage par des sommes injectées par les banques centrales pour relancer les économies depuis la crise de 2008.

Au lieu de faire grimper les salaires en 2009, on a relancé le crédit. Or le crédit, il faut un jour le rembourser. (...) On m’a demandé pendant les dix dernières années s’il y avait à l’intérieur même de la finance un événement susceptible de déclencher une crise boursière majeure. Je n’en voyais pas. (...) Il fallait un événement extérieur”. Et cet événement, c’est la crise du coronavirus.

Face au danger, la Banque Publique d’Investissement se tient aux côtés des entreprises du CAC 40. Selon Mediapart, elle a créé, avant même la dégringolade de ce début de semaine, un fonds qui doit redistribuer 10 milliards d’euros - dont 2 milliards d’argent public. Fausse bonne idée ? “Non, répond paradoxalement Jorion. Tant qu’on n’interdit pas les hedge funds (fonds spéculatifs, ndlr), il faut les alimenter parce que ce sont des facteurs de risques systémiques. La finance grise et le secteur peu réglementé peuvent entraîner tout le reste avec lui”.

Jusqu’à quand les citoyens accepteront-ils de subventionner une bulle financière irresponsable et les nababs de la finance mondialisée ? Selon Paul Jorion, les peuples doivent réclamer la fin de la finance purement spéculative. “Il faut rétablir les lois abrogées en 1985 qui interdisent la spéculation. Tout le monde crie en disant que la spéculation va nous tuer et que les citoyens sont furieux. (...) On dit que la spéculation est difficile à définir. C’est absolument faux. Tout tient dans une phrase : les paris à la hausse ou à baisse sur le prix des titres financiers sont interdits. C’était l’article 421 du Code pénal en France”.

La France, pays moyen d’Europe de l’Ouest, peut-elle renverser la table ? “Il faut qu’on le fasse tous en même temps de préférence. Mais on peut quand même commencer par un pays. C’est un bon exemple. Les autres doivent avoir envie de le faire.” Paul Jorion plaide aussi pour une remontée des salaires soutenue par l’État : une hausse de salaires couplée à une limitation volontariste de l’inflation.

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