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On sort les dossiers

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Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l'actualité et les stratégies de communication des puissants. L'ironie n'empêchant pas l'analyse rigoureuse.

Le macronisme : décider de tout, mais ne vouloir être responsable de rien

Une boîte noire dans laquelle tout se décide sans que personne ne sache ce qu’il s’y passe et ce qu’il s’y dit. Un petit sénacle, dont la composition est choisie par le président, où se décide le confinement de 67 millions de personnes. Cette boîte noire de la République, c’est le Conseil de défense. Depuis le printemps, Emmanuel Macron le réunit presque toutes les semaines.

Le député Jean-Luc Mélenchon étrille depuis deux semaines ce qu’il nomme un “comité secret” composé par les ministres et les têtes de l’armée et du renseignement, en soulignant particulièrement son ultra confidentialité et son utilisation pour des dossiers sans lien direct avec la défense : ce fut le cas pour les plans de confinement 1 et 2, la loi sur le séparatisme, et même pour trancher dans les propositions de la Convention citoyenne sur le climat. Mélenchon n’est pas le seul à s’en inquiéter.

Au Conseil de défense, il est d'usage de traiter de questions de sécurité nationale ou d'antiterrorisme, sous l'angle militaire ou sous celui du renseignement. C'est ce qui justifie que ses délibérations soient protégées par le secret-défense. Or on voit mal en quoi il serait important de garder secrète notre stratégie de gestion de la crise sanitaire - sauf à penser que le virus espionne nos décisions pour mieux contre-attaquer.

Mais voilà pourtant que le gouvernement met en oeuvre une série de mesures en se contentant tout bonnement de recopier ce qui a été décidé en Conseil de défense. Ainsi la veille même de la décision de reconfiner fin octobre, le Premier ministre n'était pas capable de dire aux responsables de l'opposition ce que le Président allait faire le lendemain.

Le problème de cette confidentialité est qu'elle entraîne une déresponsabilisation des gouvernants : le gouvernement reporte la responsabilité sur le Conseil de défense, et la responsabilité du Conseil de défense repose sur l'autorité du président. Président qui, sous la Ve République, n'est responsable devant personne, sinon devant le peuple lors de la prochaine élection présidentielle. Or la logique démocratique voudrait au contraire que si l'on accorde à un groupe restreint un surcroît de pouvoir, on fasse en sorte qu’il doive rendre des comptes. En d'autres termes, un pouvoir politique accru doit s'accompagner d'une responsabilité politique plus aigue. Si le détenteur du pouvoir se montre défaillant, il doit partir.

Dans cette période de pandémie, on se voit imposer par le président et une poignée de décideurs une réduction drastique de nos libertés - à commencer par la celle d’aller et venir - sans possibilité, ni pour la société, ni pour le Parlement, d'exercer un contrôle à la hauteur de ce surcroît de pouvoir. En effet, nous sommes dans un contexte de rapport de forces particulièrement défavorable à la société civile. Le pays est confronté à des événements graves : le risque terroriste vient s’ajouter à la crise sanitaire, nous laissant dans la sidération. Notre vigilance critique s'en trouve abaissée, d'autant plus que l'on admet que la gravité de la situation impose de prendre des mesures drastiques - comme un confinement pour lutter contre la deuxième vague de l'épidémie. Mais c'est précisément parce que le corps social est dans un tel état, prêt à accepter beaucoup, qu'il y a plus que jamais besoin de contre-pouvoirs. C'est-à-dire d'instances qui “gardent la tête froide” et contrôlent les prises de décisions. Car on peut très bien accepter de respecter certaines mesures tout en soutenant que les imposer sans contrôle démocratique est un sérieux abus de pouvoir.

Aujourd'hui, la société civile est coupée de ses moyens de se faire entendre de façon directe : le confinement et le dispositif législatif qui l'accompagne rendent difficile ou impossible de se faire entendre en manifestant, en se réunissant, voire même en votant si les élections régionales sont remises à plus tard. Ajoutons à cela la dernière idée de la majorité, la loi relative à la “sécurité globale” qui prévoit augmentation de la surveillance des citoyens, reconnaissance faciale par caméra, usage des drones, recours accru à la sécurité privée et surtout interdiction de diffusion d’images de policiers non floutées - ce qui ruine un des contre-pouvoirs essentiels contre les violences policières.

Normalement, l'organe qui peut demander au gouvernement de rendre des comptes sur ses actions est par excellence le Parlement. Mais LREM et ses alliés étant majoritaires à l'Assemblée nationale, celle-ci a accepté de donner au gouvernement des pouvoirs de contrainte inouïs en prolongeant l’état d’urgence sanitaire au 16 février 2020. Et lorsque par chance l'opposition parvient à passer un amendement, le gouvernement reprend la main et passe en force. On l'a encore vu le 3 novembre dernier lorsque l’opposition, temporairement majoritaire dans l’hémicycle, est parvenue à ramener la fin de l’état d’urgence sanitaire au 14 décembre. Le ministre de la santé Olivier Véran est intervenu, furieux, pour faire revoter. Quoi qu’on pense de cet amendement de l'opposition sur le fond, il faut admettre qu’il y a un problème de débat démocratique dès lors que, pour faire entendre une critique, le seul espoir qui reste aux citoyens est que leurs députés saisissent le moment où la majorité est partie dormir pour faire passer un amendement en douce. Tout cela pour qu'à la fin le gouvernement passe en force malgré tout...

On assiste donc à une centralisation du pouvoir dans les mains du président. S'ajoute à cela une délibération politique particulièrement dégradée là où un débat démocratique sain garantirait justement de prendre les meilleures décisions possibles en intégrant la diversité des points de vue, créant ainsi les conditions d'un consentement le plus large possible des citoyens.

Nous voyons donc nos gouvernants réduire considérablement les libertés publiques - et ce pour longtemps, puisque le confinement ne mettra pas fin à l'épidémie - tout en comprenant bien que rien ne vient équilibrer cet immense pouvoir. Or si l'équilibre est rompu, la confiance est rompue. Traditionnellement, la réputation des institutions est protégée par la responsabilité politique des gouvernants, c'est-à-dire une démission lorsqu'un ministre a failli, ou une censure du gouvernement par le Parlement. Force est de constater que cette idée de responsabilité politique est actuellement complètement en panne.

Que faire lorsque la responsabilité politique n'existe plus ? On se déplace alors sur le terrain de la responsabilité pénale, devant la Justice, en incriminant des individus. Une centaine de plaintes visent déjà des ministres et secrétaires d'État (Véran, Édouard Philippe, Agnès Buzyn, Sibeth Ndiaye), et une dizaine ont été jugées recevables (sur le fondement de l’article 223-7 du Code pénal : le délit d’abstention volontaire de combattre un sinistre).

Punir les individus qui ont failli est certes légitime, mais il n'est pas sûr que ce glissement du politique vers le judiciaire soit une bonne nouvelle, car on est alors réduit à régler devant des tribunaux des affaires politiques et administratives, au lieu d'identifier et de corriger des dysfonctionnements institutionnels une bonne fois pour toutes. Certains y voient une "judiciarisation de la vie politique", ou un "populisme pénal", où dénoncent une logique de bouc émissaire.

Mais il est faux de voir dans ces procédures un populisme vengeur : il s'agit tout simplement d'un corps social qui se défend par les seuls moyens qui lui restent. Si l'on fait appel à la justice, c'est parce qu'elle est le seul arbitre indépendant qui reste dans notre panoplie démocratique. C'est au contraire lorsque qu'on laisse se répendre le sentiment que justice n'est jamais faite, ou que la vérité est cachée, qu'on ouvre la voie au populisme. Rappeler que toute augmentation du pouvoir d'un petit cercle doit être compensée par de vrais contrepoids démocratiques, ce n'est pas du populisme : cela s'appelle la démocratie.

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