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Grenoble : ils disent non au capitalisme hospitalier

A Grenoble se trouve le deuxième plus grand ESPIC de France. Un ESPIC c'est un établissement de santé privé d'intérêt collectif, plus communément appelé la Mut' pour Groupe Hospitalier Mutualiste (GHM).

La Mut' donc c'est un établissement de santé privé mais qui garantit une offre de soin accessible à tous les usagers et sans dépassement d'honoraires, un service qui se voudrait non lucratif. Seulement depuis un an, la mutuelle Adréa, son actionnaire majoritaire, a décidé de revendre la Mut’ et d’entrer en négociations exclusives avec Doctegestio depuis le 6 Juillet dernier. Doctegestio c’est un groupe privé spécialisé initialement dans l’immobilier puis dans le tourisme, pour finalement se spécialiser dans les activités sanitaires.

Depuis 2013 le groupe a racheté une dizaine de cliniques en difficulté mais aussi une vingtaine d’ephads, une trentaine de services d’aide à la personne.., un véritable opportuniste du medico-social aux méthodes douteuses. Après plus de 10 mois de lutte des salariés et des usagers, cette décision tombe comme le parfait exemple de la privatisation lucrative de la santé en France, tout un symbole dans cette circonscription de l’ancien député, aujourd’hui ministre de la Santé, Olivier Véran.

Créé il y a 60 ans, le GHM de Grenoble compte aujourd’hui 1000 salariés dont 200 médecins, qui font de lui le second acteur sanitaire du bassin grenoblois après le CHU. Pleinement intégré dans le quartier Berriat-Saint Bruno, les usagers et habitants y sont très attachés, comme Bruno, Jean-Philippe et Hervé. Ils ont fondé un collectif pour lutter contre le rachat de leur clinique mutualiste par le groupe privé Doctegestio. Leur peur ? Que l'esprit mutualiste se perde et que l'établissement devienne un centre de santé privé lucratif avec un risque que les services non rentables soient supprimés, comme les urgences ou la maternité.

De grandes mobilisations ont débuté le 14 Janvier dernier. Salariés, usagers et habitants étaient main dans la main pour montrer leur colère contre cette vente, décidée seule et sans concertation par Adréa Mutuelle. Les raisons de cette vente ? Un déficit de 3 millions d'euros en 2019 que le conseil d'administration du GHM dont Adréa est majoritaire, déplore. Un déficit qui serait notamment dû à la prise en charge des dépassements d'honoraires par le GHM pour qu'ils ne soient pas impactés sur les usagers. S'ajoute à cela une dette de 22 millions d'euros d'emprunt pour la rénovation du matériel, des locaux ... Seulement Adréa Mutuelle est aussi actionnaire majoritaire au sein de la SCIMI, la société immobilière du GHM pour laquelle ce dernier verse un loyer, une société qui aurait un bénéfice de 18 millions d'euros aujourd'hui.

Ce que dénonce Cyril Zorman, président de l'Union régionale des SCOP. "Si on regarde sur ces 10 dernières années, si on inclut les bénéfices de l'un et les pertes de l'autre, on voit qu'on tient un modèle économique qui se tient". Quelques semaines après la déclaration d'Adréa de vendre le GHM, salariés et usagers s'étaient fortement mobilisés pour déposer un dossier de reprise en SCIC (société coopérative d'intérêt collectif). Une option qui pour Odette, socio et correspondante locale du Média, permet de reprendre en main la gestion du GHM, sans reverser de dividendes à de lointains actionnaires, mais en utilisant les bénéfices de la société immobilière pour financer l’embauche de personnels, l’entretien du matériel ... Seulement Adréa a décidé de revendre le GHM et les murs du GHM pour ses propres besoins financiers au groupe privé Doctegestio, une décision lourdes de conséquences pour les salariés.

"Aujourd'hui les salariés vont avoir plus de mal à se mobiliser, ils sont fatigués, et surtout Doctegestio leur promet tout", explique Thierry Caron, délégué syndical FO du GHM. Une stratégie connue de ce groupe à la réputation sulfureuse. A sa tête, Bernard Bensaid, un homme d'affaire qui a commencé dans l'immobilier, mais qui rachète depuis une dizaine d'années de nombreux centres de santé et médico-sociaux. Son secret pour gagner les rachats, promettre de garder tous les salariés et rassurer en se revendiquant de l'économie sociale et solidaire. Pour cela, il s'est fabriqué deux outils, l'association Amapa et la mutuelle Doctocare, qui gèrent à elles deux 196 établissements.

Mais malgré ces belles vitrines, les méthodes du groupe privé posent question, notamment concernant ces affaires révélées par Pièces à conviction : 500 salariés ont porté plainte aux Prud'hommes et ont gagné à Metz. Mais alors comment se fait-il que ce soit Doctegestio qui ait gagné l'offre ? A l'origine c'était trois repreneurs qui étaient en lice, en plus du projet de SCIC. Le groupe Vivalto, le numéro 3 des cliniques privées en France, Doctegestio, et l'association AGDUC en partenariat avec le CHU de Grenoble. Malgré le soutien des collectivités locales et de l'Etat à l'offre CHU-AGDUC, Doctegestio est en bonne voie pour gagner le rachat, car c'est lui qui met le plus d'argent sur la table avec un partenaire de taille dévoilé tardivement, Icade. Icade, c'est une filiale de la caisse des dépôts, le bras financier de l'Etat. Une contradiction complète d'après Eric Piolle maire de Grenoble. Mais qui donne une marge de manoeuvre aux collectivités locales qui peuvent faire valoir leur droit de préemption. Une compétence de la Métropole dans ce dossier, et que Christophe Ferrari, président de la Métropole se dit prêt à faire. Seulement l'issue reste incertaine, mais elle aurait au moins le mérite de retarder voir d'annuler la vente à Doctegestio.

Une action politique que les collectivités locales se doivent de faire d'après Bruno de Lescure, président de l'Union de quartier Berriat-Saint-Bruno qui dénonce un Etat schizophrène : "Au niveau de l'Etat il y a une contradiction totale, d'un côté un ministère qui impose au CHU de travailler avec une association pour retrouver quelque chose de l'ordre de l'associatif et à l’échelle des habitants, et de l'autre côté, une autre structure de l'Etat qui s'appelle Icade, qui dépend de la caisse des dépôts, qui va aider le plus privé et le moins souhaité des candidats pour la reprise du GHM."

Un esprit mutualiste qui se perd d'après Jean-Philippe Moutarde, membre du collectif lui aussi : "On retrouve des mutuelles, comme avec M. Brothier (président d'Adréa Mutuelle), ils sont dans des tours d'ivoire à Paris, ils sont à 300 mille kilomètres du terrain et on ne les rencontre pas. Eux ce qui les intéresse c'est comment faire de l'argent c'est tout." Une triste conclusion qui pourtant aurait pu être différente, car citoyens, salariés, usagers et habitants ont participé activement pour trouver une solution et prendre part au rachat et à une gestion coopérative de leur clinique mutualiste. Les statuts sont là, la volonté citoyenne aussi, il ne manque plus que la volonté politique.  

Contactés, Adréa Mutuelle, Doctegestio et Icade n'ont pas souhaité répondre à nos questions.

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