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Un p'tit coup de bourbon

Un p'tit coup de bourbon

Chaque semaine, Serge Faubert raconte l’actualité française à travers le prisme des délibérations au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ce qui perce de l’esprit des lois et de l’équilibre des forces politiques, au-delà du jeu des petites phrases.

Covid-19 : l'État donne 20 milliards aux pollueurs

Au nom du sauvetage de l’économie, l’État va distribuer 20 milliards aux grands groupes français. Sans aucune contrepartie environnementale alors que ce sont, souvent, les plus gros pollueurs.

À quoi va ressembler le monde d’après, celui qui commence le 11 mai ? Certainement pas à celui d’hier, c’est évident.

En fait, il va plutôt ressembler à celui d’avant-hier, celui où l’on ne se souciait ni de l’empreinte carbone, ni des gaz à effet de serre, ni des particules fines. Celui où le sort de la planète et de ses habitants n’intervenait pas dans les choix industriels.
Le débat, vendredi dernier à l’Assemblée, et ce mercredi encore au Sénat, autour du projet de loi de finances rectificative l’a montré.
Il s’agissait de protéger le capital des entreprises stratégiques que la crise sanitaire a mis en difficulté. Les entreprises stratégiques, c’est par exemple Renault ou Air France. Des proies de choix pour des investisseurs étrangers.
Pour ce faire, le gouvernement a prévu de doter l’agence des participations de l’État, l’APE, de 20 milliards d’euros.

Un vrai chèque en blanc.
D’abord, parce que le gouvernement s’est refusé à communiquer la liste des groupes qui vont bénéficier de ces milliards. Ensuite, parce que l’État n’exige aucune contrepartie environnementale de ces groupes alors qu’ils sont souvent parmi les premiers pollueurs du pays, de par leur taille et leur activité.

« Il n’est pas responsable d’investir 20 milliards d’euros dans des secteurs très fortement émetteurs de gaz à effet de serre et très fortement dépendants des énergies fossiles sans contrepartie solide, a expliqué la député Delphine Batho, ancienne ministre de l’Écologie. Ce serait même suicidaire à tous points de vue. La question est de savoir à quoi servent ces investissements. Je prendrai l’exemple du secteur aérien : s’agit-il d’investir en espérant que le trafic aérien revienne au même niveau qu’auparavant, avec une multiplication par trois du nombre de passagers en moins de vingt ans ? Ou veut-on organiser la décroissance de celui-ci ? »

Delphine Batho a donc proposé que le Haut conseil du climat se prononce. Créé en 2019, cet organisme indépendant fournit des avis et des recommandations sur les budgets carbone de la France et les politiques de lutte contre le changement climatique.
Mais, Laurent Saint-Martin, le rapporteur du projet de loi s’est montré hostile à cette suggestion.

« Le Gouvernement, par le truchement de l’Agence des participations de l’État, l’APE, va devoir sauver des entreprises très rapidement et pour cela prendre des décisions sans tarder. Cette conditionnalité ex ante peut mettre en difficulté notre stratégie de sauvetage financier des entreprises qui doit s’appliquer dès à présent. »

Ex ante, c’est du latin. Ça veut dire au préalable. Mais c’est plus chic en latin.

Bref, il faut aller vite, on n’a pas le temps de s’encombrer de considérations environnementales…

Dans la même veine que le précédent, un second amendement a été déposé par 42 députés. Parmi ceux-ci, Matthieu Orphelin, Cédric Villani ou Barbara Pompili…
Format restreint de l’Assemblée oblige, c’est Francois Pupponi du groupe Libertés et territoires qui l’a défendu :

« L’amendement que je suis en train de défendre vise à soutenir les entreprises parce qu’il y a urgence, mais il prévoit qu’elles doivent dans les douze mois lancer une stratégie devant leur permettre de respecter l’accord de Paris. Donc, nous les soutenons, mais nous leur demandons ensuite de faire un effort. Nous intervenons donc a posteriori et, je le répète, si les entreprises ne font pas les efforts demandés, alors nous prévoyons des sanctions. »

Mais l’amendement défendu par Delphine Batho et celui porté par François Pupponi ont été rejetés. Les députés de la majorité leur ont préféré un troisième amendement présenté par la députée de La République en marche, Bérangère Abba avec le soutien du gouvernement.
Un amendement aux allures de contrefeu, puisqu’il prévoit que l'Agence des participations de l'État s’assure que les entreprises concernées répondent aux objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie.

Comment l’agence va-t-elle s’acquitter de cette mission ? Eh bien, en parcourant notamment la déclaration de performance extra-financière (DPEF) que sont tenus de publier chaque année les grands groupes. Déclaration qui, bien sûr, présente sous un jour flatteur les actions de ces derniers en faveur de l’environnement.

La proposition a fait bondir François Pupponi :

« On nous explique que l’Agence des participations de l’État appréciera l’exemplarité des entreprises concernées : on tremble de peur ! On est impressionné. Mais l’amendement a un second volet : un an plus tard, l’État nous remettra un rapport pour nous confirmer que ces entreprises ont bien été exemplaires. L’État est juge et partie : je ne le vois pas, un an après avoir débloqué des milliards, expliquer qu’ils ont servi à polluer la planète. Si vous appelez cela un contrôle des engagements, bravo. »

Au Sénat, où le projet de loi de finances rectificative était examiné cette nuit, le même scénario s’est reproduit. Plusieurs amendements conditionnant le soutien économique de l’État à la mise en place d’une réduction de l’empreinte carbone ont été repoussés.
Ironie de l’affaire, la commission du développement durable du Sénat recevait quelques heures plus tôt les principaux dirigeants du groupe Air France-KLM.

Olivier Jacquin, sénateur socialiste de Meurthe et Moselle, partisan d’un soutien économique conditionné au respect de l’accord de Paris participait à la réunion : « Air France qui est une entreprise leader sur son marché semble être concernée par ces dispositions, nous a dit qu'elle estimait être la première au monde pour ses résultats en terme de perspectives vis à vis de l'accord de Paris. C'est pour ça que j'ai interrogé Ben Smith – le directeur général d’Air France-KLM - en demandant si cet amendement les contraindrait. Je vous avouerais que je n'ai pas eu de réponse claire, ils ne veulent pas de contrainte du tout. »

L’argument est croustillant. Le groupe Air France est si vertueux qu’il n’a même pas besoin de contraintes environnementales…

Quoi qu’il en soit, la République en marche pourrait bientôt se mordre les doigts de son refus d’installer la défense de l’environnement au cœur de sa stratégie économique.
Plusieurs de ses députés se sont rapprochés ou soutiennent l’appel lancé le 3 avril par les députés Matthieu Orphelin et Paula Forteza, deux anciens marcheurs qui ont claqué la porte avec fracas. Intitulé « Toutes et tous ensemble pour le jour d’après », l’appel mêle questions sociales et environnementales.

« Nous avons aussi des combats à mener pour le climat, la biodiversité, la solidarité, la santé et la justice sociale. (…) Pour y arriver, il nous faudra de la rupture, de l’audace, de l’ambition, de nouvelles règles, des moyens décuplés. Il nous faudra réapprendre la sobriété, la solidarité et l’innovation. Un simple plan de relance ne suffira pas. »

Un programme qui pourrait bien devenir celui d’un nouveau groupe parlementaire, écologiste et progressiste, en lisière de la majorité présidentielle.
Si cette hypothèse se concrétisait, LaREM perdrait tout simplement la majorité absolue à l’Assemblée. Son cadeau aux gros pollueurs risque bien de lui coûter plus cher que prévu.

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