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On sort les dossiers

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Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l'actualité et les stratégies de communication des puissants. L'ironie n'empêchant pas l'analyse rigoureuse.

Économie : le double discours de Marine Le Pen décrypté

Dans ce nouveau numéro d'On sort les dossiers, le Stagirite analyse les mensonges et les contradictions du parti de Marine Le Pen en matière d'économie.

Quand on se penche sur l'histoire et le programme économique du Rassemblement National, comme l'a fait récemment François Ruffin, on constate que même si le parti est spécialiste des changements opportunistes, sa politique économique reste toujours de droite. 

Mais les journalistes interrogent peu les représentants du parti sur ce sujet, l’écrasante majorité du temps d'antenne étant consacré à la sécurité, l'immigration et l'identité. Il faudrait pourtant leur demander comment, outre le roman national, les uniformes, de drapeau, le fromage, ils comptent assurer concrètement l’unité de la nation. Que faire des inégalités ? comment s’y prendre pour que la prospérité des uns ne s’obtienne pas au prix de la misère des autres ? quelle relation entre le salarié et son employeur, le service public et son usager ?

Leurs seules questions critiques des journalistes au sujet de l’économie sont consacrées à la mise en en cause de la “crédibilité” du programme ou de la “compétence” de Marine Le Pen. 

C'est peut-être justifié, mais c'est une critique totalement inefficace, car elle rate le vrai problème : dire que Marine Le Pen est incompétente, c'est sous-entendre que son manque de connaissances empêcherait le Rassemblement National d'obtenir de la croissance, de l'efficacité économique. C'est sous-entendre qu'au fond, il n'existe qu'une bonne manière de faire, mais que Marine Le Pen ne fait pas les bons calculs. 

Si l'on en reste à ce niveau de critique, Le Pen n’aura pas de mal à se défaire de cette difficulté : il lui suffira de donner l’impression qu’elle a “progressé” dans sa connaissance de la science économique ou de mettre en avant une figure du parti qui maîtrise la macroéconomie ou le fonctionnement des entreprises. 

Rester bloqué sur la question de la compétence revient à nier la dimension politique de l'économie. C'est-à-dire la façon dont les choix économiques affectent et avantagent de manière plus ou moins juste tels groupes sociaux au détriment d’autres. Or c'est précisément sur cette dimension que le programme du RN pose problème, notamment par son caractère flou.

Pourquoi le RN entretient-il ce flou ? Parce qu'il veut ratisser large et sait qu’il ne pourra pas satisfaire les aspirations économiques de tout son électorat. Il a donc intérêt à ce qu’on ne lui demande pas ce qu’il fera précisément, car alors il serait obligé de dire quels groupes sociaux il avantagera. 

Pour 2022, la stratégie électorale est double : d'une part, amener à soi dès le 1er tour des électeurs plus bourgeois (patrons de PME, retraités aisés), qui votent habituellement pour Les Républicains. D'autre part, rassurer tout le monde, poursuivre la dédiabolisation, pour ne pas déclencher de front républicain au 2nd tour.

- Rassurer les milieux patronaux et financiers, des hauts-fonctionnaires, des patrons de presse qui restent attachés à l’ouverture de la mondialisation et pensent que le RN ne peut pas porter leurs intérêts avec une tribune de Marine Le Pen dans le quotidien patronal L’Opinion où affirme qu'il faut payer la dette publique. 

- Rassurer la presse mainstream qui trouvait le programme économique de 2017 trop à gauche en y supprimant les mesures controversées. Le revirement sur la sortie de l'euro est emblématique à ce sujet. 

- Rassurer et conquérir aussi un électorat plus âgé, possédant du patrimoine et de l'épargne, qui est donc en demande de stabilité monétaire, et ne serait pas prêt à suivre Le Pen dans des aventures comme la sortie de l'euro, mais qui pourrait être séduit par des promesses de réforme sur la fiscalité sur l'héritage.

On pourrait cependant résumer son discours ainsi : “sur l’économie je ferai au moins aussi bien que la droite normale. Vous pouvez donc voter pour vos obsessions sécuritaires et identitaires en toute tranquillité".

Mais dans l'ensemble, difficile de savoir ce que le RN veut faire exactement, comme le montre ce comparatif du Monde entre les différentes élections : la colonne 2022 est vide.  

Cette stratégie s’inscrit dans une longue histoire de louvoiements opportunistes, depuis les débuts ultra-libéraux jusqu’à l’interventionnisme prôné en 2017. Pour 2022, Marine Le Pen reprend un virage libéral. Elle se retrouve alors face à une double difficulté. D'une part la contradiction entre les intérêts du nouvel électorat bourgeois qu'elle veut conquérir et ceux de sa base plus populaire. D'autre part les contractions d'intérêts au sein même de cette base populaire.

Cela ne se voit pas immédiatement dans les tableaux statistiques, mais cette base populaire est constituée de populations aux besoins bien différents, qui s'opposent parfois : d'un côté, un électorat principalement ouvrier, précaire, exclu, davantage présent dans le Nord, laminé par la désindustrialisation et le chômage, qui se sent abandonné par les pouvoirs publics, et représenté par l'aile protectionniste du parti, incarnée en 2017 par Florian Philippot. De l'autre côté, un électorat moins précaire, plus divers : employés, petits indépendants, quelques professions intermédiaires, davantage présent dans le Sud, craignant également une forme de déclassement - plutôt représenté par l'aile libérale incarnée par Gilbert Collard ou Marion Maréchal.

Ces deux électorats ont en commun de vivre dans des zones périurbaines, et de se sentir menacés par les populations immigrées, mais leurs conditions sont bien distinctes. Pour les locataires précaires du Nord, il s'agit de sortir de ces zones où vivent aussi des populations immigrées également très précarisées. Alors que pour les propriétaires du Sud, qui habitent des zones à faible mixité sociale, il s'agit d'y rester tranquilles, leur inquiétude étant que des immigrés viennent s'y installer.  

Dans le Nord, donc, un électorat plus pauvre demandeur d'une augmentation de la prise en charge par l’État et le retour à l’emploi. Et dans le Sud, un électorat plus intégré dans le travail, propriétaire, mais plongé dans l'incertitude économique notamment par l'endettement, qui pense travailler "pour payer les aides sociales des autres" et donc demandeur au contraire de baisses d’impôts et de la "fin de l'assistanat".

Plus d'Etat, moins d'Etat - il semble impossible de satisfaire les deux. Et pourtant le Rassemblement National a trouvé une solution pour mettre tout le monde d'accord : la xénophobie. À l'électorat du Nord, il dit : c’est l'immigré qui empêche votre retour au travail. À l'électorat du Sud, il dit : c’est l'immigré qui profite de votre travail.

De sorte qu’au Rassemblement National, les thématiques identitaires et sécuritaires, qui sont des obsessions historiques, assurent aussi d’autres fonctions. Ce sont non seulement des moyens de faire diversion pour détourner l'attention des contradictions économiques, mais aussi de véritables moyens d'articuler, de rendre cohérentes, les demandes économiques et sociales : “ça ira mieux, parce que ceux qui vont souffrir à votre place, ce sont les populations jugées indésirables”.

Journalistes, vous voulez vous montrer critiques à l'égard du Rassemblement National ? Interrogez-les donc sur ces contradictions. Ainsi, de deux choses l'une : soit le RN sera forcé de dire que son programme économique est pétri de contradictions, soit il sera forcé de dire qu'il mise tout sur la xénophobie. 

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