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Un p'tit coup de bourbon

Un p'tit coup de bourbon

Chaque semaine, Serge Faubert raconte l’actualité française à travers le prisme des délibérations au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ce qui perce de l’esprit des lois et de l’équilibre des forces politiques, au-delà du jeu des petites phrases.

Le coronavirus va-t-il tuer nos libertés ?

La France entre dans l’état d’urgence sanitaire. Un dispositif nécessaire, à l’évidence, mais qui nourrit bien des inquiétudes quant à nos libertés.

Hier soir, le parlement a définitivement adopté la loi permettant l’instauration d’un état d’urgence sanitaire. Une formalité, penseront certains. D’autres considéreront que c’est une perte de temps au moment où des vies sont en jeu. À quoi bon débattre ? C’est à voir.

En trois jours, le parlement a accepté de remettre en cause la plupart des libertés fondamentales, le Code du travail et les acquis sociaux. Une paille !

Nombre d’entre vous seront étonnés de l’apprendre : jusqu’à présent le confinement de la population française s’appuyait sur un bricolage juridique : l’article L3131-1 qui prévoit qu’« en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

Une situation d’autant plus gênante qu’elle fait du ministre de la Santé, dans ce contexte, un personnage plus puissant que l’hôte de Matignon.

L’exécutif a donc entrepris de se mettre en règle avec la constitution en créant un état d’urgence sanitaire sur le modèle de l’état d’urgence, dont la formulation juridique remonte à 1955.

L’ennui avec les états d’exception, c’est qu’on sait quand on y rentre mais jamais quand on en sort. Ainsi, l’état d’urgence décrété le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats islamistes, a pris fin le 1er novembre 2017. Quasiment deux ans plus tard alors que sa raison d’être s’était évanouie.

Des garde-fous sont nécessaires sur la durée et l’étendue des pouvoirs exceptionnels accordés à l’exécutif.

L'état d'urgence sanitaire est décrété pour une durée de deux mois. Sa prorogation éventuelle, limitée à un mois, fera l’objet d’une loi. Le comité des scientifiques qui accompagne le gouvernement sera amené à donner son avis.

Mais comment ne pas redouter des dérives quand la Garde des sceaux, elle-même, perd en séance tout sens de la mesure ? Celle-ci réclamait une peine de prison dès la troisième violation du confinement afin de frapper les esprits.

Après une suspension de séance, un compromis a été trouvé : une amende de 135 euros en cas de violation des règles, 1500 euros en cas de récidive dans les 15 jours. Et, à la quatrième violation en moins d’un mois, 3700 euros d’amende et six mois de prison. Peine éventuellement assortie de la suspension du permis de conduire et d’une peine complémentaire de travail d’intérêt général.

Autre sujet d’inquiétude, les congés payés et les RTT. Le projet de loi du gouvernement permettait à tout employeur de transformer six journées de confinement en congés ou RTT. C’est la mesure adoptée, par exemple, par le groupe Décathlon avant même l’adoption du projet de loi. Les collaborateurs de l’enseigne seront obligés de poser une partie de leurs congés payés et RTT durant la période de confinement. L’opposition de gauche s’est fait le relais des syndicats en dénonçant cette mesure qui revenait à assimiler le confinement à un congé. Au final, cette transformation des jours de congé et des RTT sera subordonnée à un accord d’entreprise ou un accord de branche. En revanche, pour les RTT, l’entreprise aura les mains libres.

Ce projet de loi fourre-tout règle également l’épineuse question des élections municipales. Dans les communes où devait se dérouler un second tour – près de 5000 sur les 35 000 communes françaises– celui-ci est reporté au plus tard au mois de juin 2020. Si la situation sanitaire rendait impossible la tenue, à cette échéance, de ce second tour, alors les élections dans ces 5000 communes devraient être reprises depuis le début.

Curieusement, les textes présentés par l’exécutif – que ce soit l’état d’urgence sanitaire ou la loi de finances rectificative – font l’impasse sur le problème majeur du moment : l’hôpital.

Pour le dire autrement, les applaudissements chaque soir à 20 heures ne sauraient remplacer les crédits qui font défaut depuis plusieurs années. L’exécutif ferait bien de s’en souvenir.

Hier, le Conseil d’État a demandé au gouvernement de restreindre les dérogations au confinement pour faire du sport ou se rendre à un rendez-vous médical – exception faite, bien sûr des urgences.

Les magistrats incitent également l’exécutif à « évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts ». Le confinement va donc vers un renforcement.

En ces temps troublés, la vigilance sanitaire est de rigueur, cela va de soi. Mais la vigilance démocratique ne l’est pas moins. L’état d’exception, s’il permet de mener la guerre, peut devenir à la longue un obstacle à la paix.

Un p'tit coup de bourbon

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