Charlie Kirk martyr, prophète et témoin de l'Apocalypse. Un tournant religieux du trumpisme ?
Historien, Joël Schnapp a publié Chroniques de l'Antichrist : Crises et apocalypses au XXIe siècle (Piranha éditions) et Prophéties de fin du monde et peur des Turcs au XVe siècle : Ottomans, Antichrist, Apocalypse (éd. Classiques Garnier).
Ce 14 octobre, anniversaire de naissance de Charlie Kirk, on a célébré aux États-Unis pour la première fois la fête nationale officiellement instituée en l'honneur de l'influenceur d'extrême droite après son assassinat le 10 septembre dernier. L'historien Joël Schnapp, pour Le Média, revient sur l'exploitation de la mort du jeune homme par un mouvement trumpiste dont la dimension religieuse et apocalyptique est de plus en plus affirmée. La logique à l'oeuvre est celle d'une guerre civile imminente. Pour les chrétiens évangéliques états-uniens, l'assassinat de Charlie Kirk serait un signe en ce sens, annoncé dans l'Apocalypse de Jean.
L’assassinat de Charlie Kirk, jeune influenceur de la sphère MAGA tué par balle le 10 septembre sur le campus de l’université d’Utah Valley, n’en finit pas de faire des vagues. Au-delà de l’horreur qu'a suscitée ce meurtre révoltant et de l’émotion face à un tel acte perpétré de sang-froid dans un lieu public, les conséquences politiques et religieuses demeurent difficiles à évaluer.
Le sujet a saturé le débat public. Aux États-Unis d’abord, bien entendu, où les médias ont disserté à longueur de journée sur la vie du jeune homme, ses convictions, ses dernières heures, les réactions de sa veuve, l’identité du tueur Tyler Robinson, assez rapidement arrêté, ses motivations, etc… Le New York Times est allé jusqu’à plonger dans l’introspection pour s’interroger sur sa propre couverture de l’événement. Au Royaume Uni, le nom du disparu a été acclamé lors d'une manifestation organisée en faveur de la « liberté d’expression » le 13 septembre à Londres par le militant d’extrême-droite Tommy Robinson.
En France, tous les médias ont couvert l’événement avec une fébrilité surprenante, qui a culminé le 12 septembre. Ce jour-là, l’animateur de la matinale de France Culture Guillaume Erner s’est en effet fendu d’un billet intitulé « Je suis Charlie Kirk » et destiné à rester dans les annales comme un modèle de confusionnisme (le titre de cette chronique a rapidement été changé en un plus prudent « Qui est Charlie Kirk ? », l'auteur reconnaissant « une erreur »). Mort violente mise à part, quel rapport peut-il bien exister entre les dessinateurs de Charlie Hebdo, proches d’une gauche de tendance anarchiste, défenseurs acharnés de valeurs humanistes universelles, assassinés en janvier 2015 par des terroristes islamistes, et Charlie Kirk, influenceur bien en cour, figure montante d’une extrême droite décomplexée, tenant du nationalisme chrétien, aux propos réactionnaires et volontiers racistes, masculinistes, bigots, etc…, tué par un jeune homme lui aussi de confession évangélique, dont les motivations restent encore difficiles à interpréter ?...
Dans le gigantesque magma de l’information continue, dans le vacarme et la fureur qui sont allés en s’amplifiant, un tri s’impose. Comment le meurtre d’un influenceur américain a-t-il pu devenir un sujet universel, qui a mobilisé intensément les réseaux sociaux et toutes les rédactions ? À quoi l’immense battage organisé par Trump et ses partisans sert-il et quelles pourront en être les conséquences ?

Martyr du trumpisme
En l’espace de quelques heures après son meurtre, Charlie Kirk a pris le statut de martyr de la cause. Surprenante ferveur : d’un bout à l’autre des États-Unis, des veillées funèbres ont été organisées. Les ténors de la constellation MAGA (« Make America Great Again », « Rendons à l'Amérique sa Grandeur ») se sont répandus dans les médias pour déplorer une perte indicible et dépeindre l’influenceur sous les traits d’un saint conservateur, en affirmant d'une seule voix que ses idées auraient été la cause de sa mort. Steve Bannon, cheville ouvrière du trumpisme depuis les origines, a immédiatement affirmé dans son podcast War Room que Kirk était le « premier martyr d’America First » (« l'Amérique d'abord », autre slogan trumpiste). Peu de temps après, le président Trump lui-même a déclaré l’influenceur « martyr de la vérité et de la liberté ».
Plus impressionnant encore, une grande cérémonie d’hommage a eu lieu le 21 septembre, lors des funérailles de Kirk en Arizona, en présence du président et de son vice-président J. D. Vance. Là, dans une atmosphère de dévotion intense, Donald Trump a salué la mémoire du « meilleur évangéliste de la liberté américaine », devenu « immortel ». Vance, quant à lui, a évoqué les persécutions dont Kirk aurait été la cible et réaffirmé une fois de plus la ferveur de sa foi. Des élus républicains de l’Oklahoma ont rédigé une résolution contraignant chaque université publique de l’État à ériger une statue du défunt . À Washington, d’autres ont immédiatement exigé qu’une statue soit placée au Capitole. Le Sénat, enfin, a institué la date du 14 octobre, anniversaire de naissance de Kirk, comme « Journée nationale du souvenir ».
Il y a lieu de se demander si le trumpisme n’est pas devenu un culte, qui, à l’instar du mouvement Qanon, serait en train de se transformer en véritable religion.
Cette apothéose (on n’ose parler de canonisation, puisque le protestantisme refuse le culte des saints) interroge, d’autant qu’une comparaison grotesque a beaucoup circulé – et choqué. Plusieurs élus républicains ont en effet assimilé Charlie Kirk à Martin Luther King, le militant des droits civiques assassiné à Memphis en 1968 ! L’association chrétienne Intercessors for America, de son côté, a parlé du défunt comme d'un MLK moderne. La comparaison est évidemment perverse et abjecte, puisqu’elle met sur le même plan racistes et antiracistes, bourreaux et victimes. Elle l’est encore plus quand on sait que Kirk lui-même s’en était pris violemment, quelques jours avant sa mort, à la figure du célèbre pasteur, en le qualifiant d’« homme abominable ». Le fils de MLK, Martin Luther King III, a eu beau protester vigoureusement, rien n’y a fait. La comparaison a connu un tel succès qu’elle a rapidement traversé l’Atlantique. En France, c’est l’ancien député RPR Georges Fenech qui s’est empressé de la relayer au micro toujours bienveillant envers l’extrême droite de Pascal Praud, sur Europe 1 (radio contrôlée par le groupe de Vincent Bolloré) .

On peut émettre deux hypothèses, qui ne s’excluent pas forcément l’une l’autre, pour expliquer cette volonté farouche de faire de Kirk un martyr de la cause.
La première est d’ordre politique. Il peut s’agir d’une expression de la stratégie d’hégémonie culturelle adoptée par les extrêmes droites, au premier rang desquelles les nationalistes chrétiens. Le concept d’hégémonie culturelle, élaboré par le théoricien marxiste italien Antonio Gramsci, a en effet été détourné de l'autre côté du spectre politique et connaît paradoxalement une nouvelle vie, bien loin de la pensée de son créateur. L'historien et politiste Stéphane François définit ainsi la « nouvelle culture » que les extrêmes droites ont tenté d’imposer depuis les années 1970 : « Cette ‘nouvelle culture’ devait être diffusée au travers du ‘gramscisme’, c’est-à-dire le combat idéologique par la banalisation et l’acceptation par la population de certaines idées élaborées dans ces milieux radicaux, sorte de tentative de conquête du pouvoir par la culture ».
En accréditant l’idée que les positions racistes et réactionnaires de Kirk auraient la même dignité que celles de MLK, les propagandistes de MAGA visent bien sûr à marquer définitivement les esprits et à imposer leurs vues. L’« apothéose » de Kirk serait donc une illustration frappante de cette volonté d’hégémonie. Faire de lui un martyr de la cause permet de promouvoir efficacement les valeurs chères au nationalisme chrétien : suprémacie blanche, masculinisme, opposition au « wokisme », aux LGBTQ+ etc…
Les conséquences de la mort de Charlie Kirk pourraient bien être dramatiques au plan des libertés démocratiques.
On peut préférer une autre explication, d’ordre religieux. Alors que beaucoup s’interrogent sur la nature exacte du mouvement MAGA, il y a lieu de se demander si le trumpisme n’est pas devenu un culte, qui, à l’instar du mouvement Qanon, serait en train de se transformer en véritable religion. Dans cette perspective, la propagande autour du premier martyr fait totalement sens : elle témoigne d’un rapprochement toujours plus visible entre politique et religion. Le pasteur Sean Feucht, ami personnel du défunt, ne dit pas autre chose quand il explique que « le sang des martyrs est la semence de l’Église ». Il est fort possible que, dans l’esprit des chrétiens évangéliques de la NAR (New Apostolic Reformation), qui voient en Trump le champion du christianisme, Église et MAGA soient devenus interchangeables. Dans cette logique, l’apparition de martyrs de la foi représente un formidable outil d’évangélisation. Trump ne s’y trompe pas. Il est allé encore plus loin dans son allocution en Arizona en attribuant à Kirk un statut de prophète. Ses propos ne laissaient aucun doute : « Sa voix sur terre fera écho de générations en générations et son nom vivra pour toujours ». Kirk martyr certainement, mais également prophète !
Instrumentalisation politique du meurtre
Qu’il s’agisse d’une volonté d’hégémonie culturelle, d'une métamorphose religieuse ou des deux, les conséquences de la mort du jeune influenceur pourraient bien être dramatiques au plan des libertés démocratiques. Quelques heures après l’assassinat, Kevin Roberts, le président de la Heritage Foundation, un think tank (groupe de réflexion et d'influence) conservateur favorable au président Trump, a sonné la charge en affirmant que le « martyre du jeune homme devait constituer un tournant dans l’histoire du pays ». Lors de l’hommage du 21 septembre, devant des milliers de personnes, la veuve de Charlie Kirk, Erika Kirk, a fait la démonstration de sa profonde foi chrétienne en offrant le pardon à l’assassin de son mari. Elle a aussi avancé que ce meurtre marquait le début d’un nouveau « grand éveil » (Great awakening), établissant ainsi un lien aussi direct qu’explicite avec l’histoire religieuse anglo-américaine, qui a connu plusieurs « grands éveils » par le passé, notamment au XVIIIe et au XIXe siècles. À l’évidence, cette référence avait pour but d’inscrire l’assassinat dans une longue durée prestigieuse. Mais elle visait sans doute tout autant à justifier de futurs changements radicaux dans l’organisation de la société américaine.
Un peu plus tard, c’était au tour du secrétaire de la Défense, Pete Hegseth, de marteler que les États-Unis se trouvent à un tournant de leur histoire. Allusion, bien sûr, à Turning point, l’organisation créée par Kirk pour rassembler la jeunesse autour d’ancestrales valeurs américaines, mais aussi confirmation d’un chambardement à venir. Quelques jours plus tôt, le président Trump avait tenu des propos aussi menaçants qu’inquiétants contre ses adversaires, notamment contre la gauche dite radicale.
L’idée d’un basculement radical du pays après la mort de Kirk n’a rien d’invraisemblable et les menaces contre les oppositions ne doivent pas être prises à la légère.
Depuis le début du second mandat de Trump, tout ce qui peut entraver le message du président, entacher sa crédibilité ou s’opposer à lui est objet de répression. On a assisté avec effarement dès le mois de janvier aux grandes purges menées par Elon Musk et son équipe du DOGE (« Département de l’efficacité gouvernementale »). Par la suite, une censure inouïe s’est abattue sur toutes les administrations, avec l’interdiction d’utiliser certains mots, plus de 350 au total, tels qu'« activiste », « changement climatique », « genre » ou encore « vaccin ». Le gouvernement a menacé les universités de coupes budgétaires si elles ne renonçaient pas à certains programmes spécifiques (entre autres aux politiques d’inclusion), ne limitaient pas les recherches en sciences humaines et n’acceptaient pas la présence d’un superviseur nommé par le gouvernement. Les médias sont également la cible de l’équipe présidentielle. Trump a essayé d’intenter un procès au New York Times pour diffamation, en réclamant au passage l’équivalent de 15 milliards d’euros. L’animateur Jimmy Kimmel a été licencié pour avoir tenu des propos jugés scandaleux sur la mort de Kirk : il avait osé affirmer que le tueur appartenait lui-même à la mouvance MAGA. Trump est allé encore plus loin récemment en menaçant tous les médias qui le critiqueraient. Il explique en substance qu’il pourrait leur interdire de paraître s’ils continuaient à lui faire mauvaise presse .
L’idée d’un basculement radical du pays après la mort de Kirk n’a rien donc d’invraisemblable et les menaces contre les oppositions ne doivent pas être prises à la légère. D’importants leaders MAGA, comme J. D. Vance, ont vigoureusement dénoncé des manifestations de joie de la part d’opposants à l’annonce de la mort de Kirk. Le vice-président a même demandé que les coupables soient dénoncés à leurs employeurs. On n’est absolument pas à l’abri d’événements violents et ceux qui rejeteraient cette idée d’un revers de la main ont visiblement la mémoire courte. Quand bien même Trump n’a pas été condamné pour l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021, son silence a été interprété par ses partisans comme un encouragement. Le bilan de cette journée, faut-il le rappeler, a été de quatre morts. La situation n’est évidemment pas la même mais la possibilité d’une offensive illibérale d’ampleur existe bel et bien. Trump, il faut s'en souvenir, a relayé des posts de Qanon qui appelaient à envoyer en prison des représentants politiques nationaux comme Hillary Clinton et Kamala Harris. On est peut-être bien plus proche qu’on ne le croit du scénario dystopique de La Servante Écarlate.
Tournant eschatologique ?
Il y a peut-être plus effrayant encore. De nombreux pasteurs ont fait usage de l’intelligence artificielle pour faire entendre la voix et les messages de Kirk depuis l’au-delà. De nombreuses vidéos circulent qui le montrent au ciel au côté de Jésus, de JFK ou d’Abraham Lincoln – avec parfois des millions de vues. Dans l’une d’entre elles, on voit Kirk prendre la parole et expliquer qu’il est mort pour sa foi avant de présenter ses illustres prédécesseurs. Ces derniers témoignent alors de leur propre martyre : saint Paul rappelle sa décapitation, saint André sa crucifixion, saint Étienne sa lapidation… La vidéo, d’un kitsch hallucinant, dépasse les 800 000 vues sur X. Elle marque le passage à nouvelle étape. Après avoir été martyr et prophète, Kirk fait désormais figure de treizième apôtre. C’est ce qu’a déclaré un représentant républicain du Texas, Troy Nehls.

Des références moins visibles dans les médias mais peut-être tout aussi efficaces, si ce n’est plus, peuvent être relevées. « Martyr » vient du grec ancien μάρτυς, qui signifie « témoin ». Kirk martyrisé devient donc par définition un témoin de la foi. Or si l’on se reporte au chapitre 11 de l’Apocalypse de Jean, on peut lire un passage qui se trouve particulièrement en vogue en ce moment. Le narrateur entend en effet la voix divine annoncer : « Je donnerai à mes deux témoins le pouvoir de prophétiser, revêtus de sacs, pendant mille deux cent soixante jours » (Ap 11, 3).
Quelques recherches sur le web suffisent pour se rendre compte que de nombreux croyants se sont précipités sur cette citation pour faire de Kirk l’un des deux témoins en question, ce qui revient à interpréter sa mort dans un sens eschatologique.
Rapide mise au point théologique : si l’on en croit l’Apocalypse, « les nations » viendront piétiner Jérusalem pendant quarante-deux mois, soit trois ans et demi. Durant ce laps de temps, deux « témoins » apparaîtront et appelleront à la repentance. On les identifie généralement soit comme Élie et Moïse, soit comme Élie et Énoch. Dotés de pouvoirs extraordinaires, comme ceux d’empêcher la pluie de tomber ou transformer l’eau en sang, ils prêcheront pendant 1260 jours, au terme desquels la première Bête doit se manifester, leur faire la guerre et les tuer. Mais trois jours et demi après leur mort, Dieu rendra la vie aux deux témoins l'on pourra les voir montant au ciel. C’est la première apparition de la Bête dans l’Apocalypse, avant qu’elle ne fasse ne revienne au chapitre 13.

De nombreux chrétiens évangéliques ont commenté la mort de Charlie Kirk en se référant à ce premier passage, moins connu, où la Bête intervient. C’est le cas d’un certain Robert Clifton Robinson, qui se présente comme un auteur chrétien, un philosophe et un apologiste ayant publié quarante-cinq livres (on en trouve effectivement un certain nombre en ligne). Son site web précise qu’il a été pasteur pendant 14 ans et qu’il est un spécialiste international de la Bible. Dans une longue analyse de l’événement, il commence par faire le lien entre la mort de Charlie Kirk et le récit de l’Apocalypse de Jean sur les deux témoins. Nous sommes au début, affirme t-il, d’une tribulation de sept ans. À ses yeux, Charlie Kirk a été envoyé par Jésus pour prêcher l’Évangile aux jeunes. Le retour de Jésus, qui procédera à l’« Enlèvement des croyants » (the Rapture), serait imminent. Il est difficile de savoir quel a été l’écho de cette analyse, mais on voit bien qu’elle donne à la mort de Kirk un sens nouveau, indéniablement eschatologique.
Dans l’optique d’une fin du monde imminente, c’est tout simplement la guerre civile qui menace. Steve Bannon ne s’est jamais caché de vouloir emmener « l’armée MAGA » jusqu’à la victoire finale.
Robert C. Robinson n’est pas le seul à interpréter de la sorte le meurtre de l’influenceur. Sur internet, de multiples posts témoignent d’analyses similaires. On en trouve un exemple frappant avec la vidéo d’une certaine Hannah Christine-Fell, qui a affolé les compteurs de vues. Alors que la jeune femme n’a que 1000 followers sur TikTok, ses vidéos dépassant rarement les 500 vues, sa capsule sur la mort de Kirk a été l’objet de près de 300 000 de vues, sans compter les republications sur Instagram ou ailleurs. Hannah Christine-Fell, dans un style plutôt confus, affirme que nous vivons « le temps de l’accomplissement des prophéties ». Se référant au chapitre 11 de l’Apocalypse, elle évoque les deux témoins en insistant sur l’incroyable correspondance entre le texte et la situation vécue aujourd’hui. Elle en conclut qu’il s’agit là d’un signe de la fin du monde imminente et du retour du Christ. On trouve ici et là d’autres exemples du même tonneau : sur une page Facebook au nom prometteur, Rapture in the air now, par exemple, le commentaire d’une certaine Liezel Kuntz explique que la mort de Kirk lui a fait penser au chapitre 11 de l’Apocalypse et à l’histoire des deux témoins. Sur X, si l’on demande à l’IA (Grok) de trouver les posts qui font le lien entre la mort de Kirk et le chapitre 11 de l’Apocalypse, le programme en déniche immédiatement une petite dizaine… Si la compréhension de cette mort en termes eschatologiques n’est visiblement pas (encore ?) majoritaire, force est de constater qu’elle est bel et bien présente et facilement identifiable.
C’est précisément cela qui a de quoi épouvanter. Depuis des années, quelques chercheurs soulignent, dans une indifférence assez générale, les tendances profondément apocalyptiques de la mouvance MAGA. La campagne 2024 de Trump en a donné des exemples frappants. Au printemps dernier, Naomi Klein et Astra Taylor mettaient en garde contre l’émergence d’un fascisme de la fin des temps. Aujourd’hui, la mise en relation de l’assassinat de Kirk et du chapitre 11 de l’Apocalypse n’a rien d’anecdotique : c’est un révélateur religieux particulièrement préoccupant. Cela signifie très clairement qu’aux yeux de nombreux États-Uniens, le monde est entré dans les tribulations de la fin du monde, le retour de Jésus va avoir lieu incessamment, tandis que se rapproche l'ultime bataille, le grand affrontement eschatologique entre le Bien et le Mal. Il faut bien comprendre ce que cela signifie : il n’existe plus que deux camps qui se font face et doivent s’affronter jusqu’à la mort. La victoire ou la défaite sera définitive.
On est bien loin des fondements de la démocratie et de l’idéal de liberté qui inspire l’hymne américain (« la bannière étoilée puisse-t-elle longtemps flotter sur le pays des hommes libres », « the land of the free »). Dans l’optique d’une fin du monde imminente, c’est tout simplement la guerre civile qui menace. Steve Bannon ne s’est jamais caché de vouloir emmener « l’armée MAGA » jusqu’à la victoire finale. Parlait-il seulement de l’élection présidentielle ? On pourrait tenter de se rassurer en postulant que ces élucubrations eschatologiques ne seraient le fait que d’une petite minorité radicalisée. Hélas, la mort de Charlie Kirk et ses suites en témoignent amplement, les fanatiques de l’Apocalypse ont déjà pris le pouvoir. ●●
BnF, ms fr. 403, fol.17v. Apocalypse de Jean glosée en français, v. 1240. La Bête fait tuer les deux témoins.