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Pour une écologie populaire. Appel contre les faux semblants et le marketing des alternatives écologiques

Par Collectif

Un collectif d'associations, de militants et de chercheurs

Chaque jour de nouvelles initiatives semblent témoigner d’une effervescence joyeuse et consensuelle en faveur de l’écologie. Festivals et tiers lieux se développent et avec eux une prospérité du « sympa », de la fête et du « cool », rassurante pour les sympathisant·es d’un mouvement qui semble aller dans le bon sens, faire consensus, croître et imprégner tous les secteurs de la vie sociale, économique et politique. Nombre d’intellectuel·les, artistes, chercheur·es, journalistes, participent dans l’enthousiasme, fréquentent ces lieux, s’en font les témoins, leur donnent leur force de travail et y mobilisent leurs réseaux. Pourtant, ce milieu contribue dans de nombreux cas à une vaste entreprise de greenwashing, nuisible aux plan écologique et politique.


Nous dénonçons ici ce greenwashing de certains éco (ou tiers) lieux « sympas » qui portent le masque de l’écologie populaire et détournent l’attention de la brutalité des répressions des lieux et pratiques écologistes, en fabriquant une indifférence à l’égard de lieux et de collectifs concrètement investis dans l’écologie populaire. Notre appel s’inscrit dans la lignée d’un texte publié en août 2020 dans la revue Terrestres, et qui appelait un grand nombre d’intellectuel·les et de chercheur·es engagé·es dans l’écologie à déserter le forum « Agir pour le vivant » en raison de ses partenaires peu recommandables au plan écologique [ndlr : voir le texte paru à ce sujet sur le site du Média, « Écologie politique et festivals d'idées : trouble dans le greenwashing »].

Le masque de l’écologie populaire est utilisé comme produit d’appel, comme paravent et caution mensongère, et recouvre soigneusement la face sombre du capitalisme et du colonialisme, avec le soutien naïf de personnalités qui travaillent à ce travestissement.

Nous allons vous présenter quelques faits : à Pantin, et auparavant à Noisy-Le-Sec, les activistes du Laboratoire Écologique Zéro Déchet (LEØ) ont créé un lieu où se tissent des actions de solidarité et de pratiques écologiques accessibles à tou·tes. Pourtant, en avril prochain, ses occupant·es seront expulsé·es des locaux de Pantin au prétexte qu’un écoquartier doit se construire. Les travaux ne débuteront cependant pas avant plusieurs années et il n’y a donc aucune urgence à les expulser et à priver ainsi toute une population d’une aide précieuse, et d’un espace où développer de l’entraide et une écologie populaire.

Pendant ce temps-là, juste à côté du LEØ, la Cité Fertile est l’un de ces tiers lieu « écologique et sympa » en vogue, qui propose des activités payantes à un public filtré la plupart du temps à l’entrée par des gardiens racisés dont la présence signale, encore et toujours, la division raciale et sociale entre celles et ceux qui jouissent des propositions festives et culturelles (supposées engagées pour un monde socialement et écologiquement vertueux) et les éternel·les invisibles.

La Cité Fertile est le lieu choisi pour organiser un « Festival de l’écologie populaire » qui devrait réunir les 2 et 3 juin 2023 des intellectuel.les, des organisations et des médias, des think tanks et des fondations humanistes1, ainsi que le Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis. Lors de ce festival, qui a eu lieu en 2022 au Kremlin Bicêtre, il s’agira en 2023 de réfléchir à « Ce que l’écologie fait à la gauche ». Il y a peu, Médiapart a organisé à la Cité Fertile une journée contre Total et le greenwashing. Une chose est sure au moment où nous rédigeons ce texte : le festival est bien annoncé sur internet par un site gouvernemental

La Cité Fertile n’a pourtant rien d’écologique ni de populaire en dépit de son esthétique furieusement tendance faite de palettes de récupération et d’espaces de co-working. Son principal soutien est en effet la BNP Paribas, la banque la plus polluante de France, dénoncée par Oxfam depuis 2021, mise en cause et perquisitionnée en 2023 par le Parquet national financier dans un scandale de fraude fiscale aggravée, et récemment assignée en justice par trois associations pour son appui aux industries fossiles, et notamment à… Total ! La Cité Fertile ne cache pourtant pas son enthousiasme pour ce partenariat, qu’elle met bien en valeur sur ses pages web. Enfin, les références affichées pour la privatisation du lieu (location de salles, événementiel, etc.) vont d’EDF à Hermès en passant par Sodexo, Bouygues, Hyundai, Ricard, Nike, L’Oréal, Eiffage ou encore Kronenbourg… Ce tiers lieu est l’une des réalisations de l’agence Sinny & Ooko, qui créée des tiers lieux culturels et a initié un « campus des tiers lieux » dans une logique entrepreneuriale et de professionnalisation qui séduit les collectivité territoriales mais qui évince dans le même mouvement le milieu associatif2. Quant au caractère populaire de ce lieu, les prix pratiqués pour les repas y sont élevés pour un quartier populaire, la brasserie affiche un tarif de 20 euros l’entrée pour 45 minutes de visite, et nous disposons par ailleurs de témoignages indiquant qu’on a expulsé de la Cité Fertile des personnes parce qu’elles y avaient apporté leur propre pique-nique. 

Tout se passe comme si l’écologie de contestation était plus séduisante, grâce à sa visibilité dans l’espace médiatique, que des pratiques de soutien à des utopies concrètes

Ainsi, au moment où un lieu authentiquement vivant, précieux, porteur de milliers d’actions passées, présentes et à venir, voit ses occupant·es exposé·es à la précarité et à l’hostilité institutionnelle, à 20 mètres, le masque de l’écologie populaire est utilisé comme produit d’appel, comme paravent et caution mensongère, et recouvre soigneusement la face sombre du capitalisme et du colonialisme, avec le soutien naïf de personnalités qui travaillent à ce travestissement. Soulignons que la Cité Fertile n’a pas utilisé sa visibilité pour soutenir le LEØ ni aucune autre initiative du même type.

Cette étrange naïveté de la part des chercheur·es et intellectuel·les tient peut-être à un fort déséquilibre entre les pratiques de contestation de ce qui est spectaculairement scandaleux (comme les grands projets inutiles) et les pratiques de soutien à des expériences de vie collectives dont la disparition serait un désastre (les lieux où se développe un monde décent, discret, précieux). Tout se passe comme si l’écologie de contestation était plus séduisante, grâce à sa visibilité dans l’espace médiatique, que des pratiques de soutien à des utopies concrètes, s’incarnant dans un quotidien qui n’apparaît toujours pas comme politique, alors que bien des théoricien·nes ont tenté de redéfinir le quotidien comme une forme politique essentielle. L’écologie des luttes de contestation a pourtant pour fonction de maintenir la possibilité d’un quotidien décent et désirable dans le futur : sans cet objectif, à quoi bon continuer à lutter ? Il semble pourtant encore difficile de ressentir comme une urgence la préservation de ces espaces du quotidien et de l’habiter qui constituent des milieux de vie aussi précieux qu’une zone humide menacée de destruction. On peut aussi penser que les formes de vie désirables qui relèvent du care, entretenues au quotidien sans relâche, sont si peu pratiquées par les intellectuel·les que ceux-ci confondent les lieux de vie de l’écologie populaire avec les lieux de productions capitalistes des signes et discours de l’écologie populaires.

C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui trois appels simultanés, aux journalistes, artistes, intellectuel·les, et à nos ami·es et camarades de lutte :

● Ne participez pas au festival de l’écologie populaire de Pantin les 2 et 3 juin 2023. Ne foncez pas tête baissée vers toutes les entreprises de greenwashing sous-prétexte que tel·le ami·e tout aussi naïf ou telle célébrité aveuglée par des interlocuteurs (toujours si sympas !) y participe aussi. Tomber dans ces pièges est humain, mais dangereux : vous vous feriez les adversaires direct·es de ce que vous prétendez défendre. Soyez plus vigilant·es et plus exigeant·es si vous souhaitez vraiment lutter aux côtés de celles et ceux qui incarnent les pratiques et les principes de l’écologie populaire et de la solidarité. Si le festival de l’écologie populaire devait être maintenu à la Cité Fertile, nous appellerions tous nos réseaux d’activistes à se rassembler le jour de son ouverture pour y manifester notre colère et dénoncer cette mascarade.

Soutenez le Laboratoire Écologique Zéro Déchet, soutenez sa lutte, et aidez-le publiquement à faire vivre réellement l’écologie populaire, l’entraide, et les formes de vie résolument anticapitalistes qui s’y développent. Aidez-nous à éviter que ce lieu, qui démontre ce qui est possible de créer en dehors du capitalisme, ne soit réprimé, empêché, menacé par la violence administrative, la précarité, et l’indifférence. Concrètement, nous appelons à signer sa pétition de soutien et à vous tenir prêt·es à venir défendre le lieu physiquement si la préfecture venait à faire appel à la force pour les expulser avant leur déménagement.

Plus généralement, cessez de vous compromettre, soyez proches des plus précaires et de personnes ou de collectifs engagés et qui observent vos compromissions et votre naïveté savante. Le monde universitaire, celui de l’écologie « sympa » et celui des médias, y compris alternatifs, est colonisé chaque jour par les lobbyistes au service du libéralisme radicalisé et des industries polluantes. Que les luttes écologistes soient joyeuses et les ambiances des éco-lieux sympathiques est bien entendu un atout, mais sans réflexivité ni exigence, où ces luttes peuvent-elle bien mener ? L’université ne devrait pas se contenter de survoler les enjeux écologiques sans nouer d’alliance avec les collectifs en lutte ou avec des lieux où se vit au quotidien ce pourquoi on lutte, alors qu’elle s’ouvre largement aux appétits des puissances industrielles. On a vu la création d’une chaire « Environnement » par Total au Collège de France de 2008 à 2016, ou encore les tentatives de ce même pétrolier de créer à l’École Polytechnique un centre de recherche sur les énergies renouvelables, avant d’en être empêché en 2021 par la mobilisation d’ONG et d’étudiant·es. Greenpeace a réalisé un rapport sur l’emprise de Total sur le monde de l’école, de l’enseignement supérieur, des musées, ou encore des stades. On a également vu le programme de licence School of positive impact de l’université Paris Sciences et Lettres financé par BNP Paribas. Les sciences humaines et sociales produisent à l’envi des discours écologistes, éco-féministes et anti-capitalistes, mais où est la cohérence des pratiques ? Que signifie, ainsi, la venue du philosophe Andreas Malm à la Cité Fertile pour des conférences sur le « capitalocène » dans le cadre des chaires du département de géographie de l’Institut La Boétie ? Nous observons quotidiennement la précarisation des étudiant·es et des jeunes chercheur·es, les compromissions innombrables pour occuper une place, un créneau éditorial, ou obtenir un partenariat convoité… Tout cela se voit trop. Nous devons impérativement sortir de ces compromissions, de cette lutte des places et de cette course au prestige, des fausses impertinences et des radicalités éditoriales ou de façade. Il s’agit de retrouver une dignité de la critique au service des émancipations et du vivant en lutte, et non au service d’elle-même. ●●

Cet appel peut être signé sur le site GreenVoice ici

Premier·es signataires :

Joëlle Le Marec, Professeure au Muséum National d’Histoire Naturelle, laboratoire Paloc (Patrimoines Locaux) ; Igor Babou, Professeur à l’université Paris Cité, laboratoire Ladyss (Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces) ; Christophe Bonneuil, Directeur de recherche CNRS, GRHEN (Groupe de Recherches en Histoire Environnementale) ; Laboratoire Écologique Zéro Déchet (LEØ, Pantin) ; Stéphanie Doguet, Présidente du LEØ et maraîchère biologique engagée ; Georges Ghika, Metteur en scène ; Véronique Servais, Professeur Ordinaire, Université de Liège, Laboratoire d’Anthropologie Sociale et Culturelle ; Ourdia Farge, Présidente d’Entraides Citoyennes Collectif de défense des jardins d'Aubervilliers ; Isabelle Montané, Présidente de l’association le Laboratoire de la non-violence active ; Mélanie Antin, Doctorante à l’université Paris Cité, Laboratoire Ladyss, et militante écologiste ; Hélène Legay, Écrivaine ; Journal Le Chiffon, le journal de Paname et sa banlieue ; Youth For Climate Île de France ; Raphaëlle Jolivet-Pignon, Coordinatrice d’un tiers lieu culturel à La Celle Dunoise (Creuse), « La Maison d’icelle » ; Mathilde Vassor, Doctorante Sorbonne Université ; Josep Rafanell i Orra, Psychologue et écrivain ; Jean-Louis Tornatore, Anthropologue, professeur à l'université de Bourgogne, LIR3S et Atelier d'écologie politique « Penser les transitions » ; François Jarrige, Historien ; Denis Chartier, Professeur à l’université Paris Cité, laboratoire Ladyss (Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces) ; Charlotte Brives, Anthropologue (CNRS, Centre Émile Durkheim, Bordeaux) ; Lucie Raymond, Maître de conférences, Institut Catholique de Paris ; Brigade de Solidarité Populaire d'Aubervilliers-Pantin

1. D’après nos informations, les fondations suivantes ont été sollicitées : La Fondation pour l’Écologie Politique, la Fondation Jean Jaurès, la Fondation Gabriel Péri, l’Institut La Boétie, la Fondation Léopold Meyer pour le Progrès de l’Homme (qui nous confirme sa participation), et la Fondation Heinrich Böll. Du côté des médias, on compterait déjà Alternatives économiques (qui avait invité l’un.e d’entre nous, d’où les informations dont nous disposons), peut-être l’Observateur et l’Humanité, alors que d’autres médias ont refusé de répondre à l’invitation (en particulier Reporterre).

2. Pour en savoir plus sur les tiers lieux, lire le dossier très fourni que le journal Le Chiffon (n° 4 mars-mai 2022) leur a consacré, notamment avec les exemples de Sinny & Ooko ainsi que de la Cité Fertile.


Un atelier couture proposé au LEØ par une habitante de Pantin. À l'arrière plan, l'atelier d'auto-réparation du LEØ. Photo Igor Babou, Licence Creative commons 2.0 By-NC-ND

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