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Coup de gueule, coup de coeur, coup de blues… Dans cette rubrique diffusée à l’improviste, un journaliste du Média se saisit d’une question d’actualité tout en se gardant bien de se cacher derrière son petit doigt.

Gabès : la France complice d'un mini-tchernobyl en Tunisie ?

À une heure de vol de Toulon, Gabès devrait être un paradis : la seule oasis côtière du monde, suspendue entre le désert et la Méditerranée. Mais depuis plus de 70 ans, cette ville de 100 000 habitants vit un cauchemar industriel. Le Groupe Chimique Tunisien (GCT), une entreprise publique, y déverse sans relâche des tonnes de déchets dans l’air et dans la mer. Début septembre, une vingtaine d’habitants ont été hospitalisés pour asphyxie. Sur les réseaux, circulent des vidéos d’enfants suffoquant en plein cours, incapables de respirer tant l’air est saturé de gaz toxiques. La colère, longtemps contenue, a fini par exploser. Les écoles, les marchés, les cafés : tout est fermé. La grève générale, soutenue à 95 %, paralyse la ville. Une première depuis la révolution de 2011. Le président Kaïs Saïed, fidèle à sa rhétorique complotiste, a préféré dénoncer des « conspirateurs arrosés d’argent étranger » plutôt que de reconnaître la catastrophe écologique et sanitaire. En réponse à la mobilisation, le régime a choisi la répression : « L’air est irrespirable, et ils nous gazent encore », témoigne un manifestant, la voix étouffée par les lacrymogènes. Depuis 1972, le GCT produit plus de cinq millions de tonnes de phosphogypse par an. En 2017, les autorités promettaient son démantèlement ; en 2025, elles annoncent un quintuplement de la production. Les études indépendantes, comme celle de l’Association tunisienne de l’environnement et de la nature (Aten), font état de taux alarmants de maladies respiratoires, de cancers et de fluorose osseuse. Dans la baie, jadis l’une des plus poissonneuses de Méditerranée, la pêche s’est effondrée de 44 %. Les pêcheurs, privés de ressources, sont nombreux à avoir pris la mer… vers l’Italie.

Mais le drame de Gabès dépasse la question écologique. Il raconte aussi une continuité postcoloniale. Sous le protectorat français, la Compagnie des phosphates de Gafsa alimentait déjà les industries européennes. Un siècle plus tard, le phosphate tunisien continue d’enrichir les engrais français. « On délocalise la pollution chez les ex-colonies », rappelle Amine Snoussi. Car le pesticide DAP 18-46, largement utilisé en France, serait impossible à produire sur le territoire européen sans violer les normes environnementales. Alors, on laisse Gabès étouffer à notre place. Derrière les profits, une ville sacrifiée. Mais à Gabès, la jeunesse n’a plus peur. Elle se lève contre la mort lente, contre le silence, contre le pouvoir qui l’étouffe à double titre : chimiquement et politiquement. « Fermer le Groupe Chimique, ce serait aussi rouvrir la Tunisie à la liberté », conclut Amine Snoussi.

Chronique d’Amine Snoussi, journaliste indépendant tunisien.

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