Leurs histoires, touchantes, révoltantes, édifiantes ou inspirantes, nous disent quelque chose de notre actualité. Ils ont accepté de venir face à la caméra du Média pour les partager, et si possible nous bousculer et modifier nos perceptions.
« En route pour Gaza, Israël nous a kidnappé » : le récit exclusif de notre journaliste
Le 19 septembre, Andreï Manivit, journaliste au Média, embarque pour la flottille Thousand Madleens to Gaza, une mission civile menée en coordination avec la Freedom Flotilla Coalition, visant à dénoncer le blocus imposé à la bande de Gaza. Pour le reporter, l’enjeu est clair : documenter une initiative internationale dans un contexte où l’accès des journalistes à Gaza est strictement interdit. « Plus de 250 journalistes ont été tués à Gaza. Il me semble important que le moindre journaliste qui puisse avoir l’opportunité d’y aller s’y rende. » La flottille réunit huit bateaux, des militant·es de la société civile, des soignant·es, des journalistes, mais aussi des élu·es européen·nes. La présence de député·es français, irlandais et danois n’est pas anodine. « Les députés assuraient une forme de protection. C’était primordial qu’il y ait des personnalités sur chaque bateau », explique Andreï Manivit.
Avant le départ, les participant·es suivent quatre jours de formation à Catane : survie en mer, protection numérique, communication non violente, histoire de la Palestine et des précédentes flottilles. Puis la traversée commence. Douze jours en mer, marqués par le mal de mer, la fatigue et une tension constante. « On savait que des voiliers avaient été attaqués par drone sur les flottilles précédentes. C’était un stress permanent. » La mission est étroitement surveillée. Des avions israéliens survolent les bateaux, des drones apparaissent, parfois identifiés, parfois non. « La nuit, on devait surveiller le ciel en permanence. » L’arrivée du grand navire Conscience, opéré par la Freedom Flotilla Coalition, apporte un moment de répit. « On s’est senti protégés, un peu plus en sécurité. »
Dans la nuit du 7 au 8 octobre, alors que la flottille approche des côtes de Gaza, les communications sont coupées. Internet neutralisé, radios brouillées, radars inopérants. « La seule chose à laquelle on pouvait se fier, c’était nos yeux. » Vers 5h15, l’interception débute. Des militaires israéliens montent à bord des voiliers, armes pointées. Les moyens de communication sont détruits, le matériel journalistique confisqué. Commence alors un long enchaînement de détention : transferts en zodiacs, embarquement sur un navire militaire, fouilles répétées, cellules préfabriquées. « Ils nous ont montré un drapeau israélien en disant : “Vous voyez ce drapeau, c’est nous les gentils.” »
Les humiliations se multiplient, jusqu’au transfert vers la prison d’Exioth, dans le désert du Néguev. « On était parqués dans des cages, comme dans un chenil. » Le journaliste décrit les cris, les violences infligées à certains membres de l’équipage, notamment son skipper, entravé par des serflex jusqu’au sang. « On l’entendait hurler de douleur, demander un avocat. » Malgré la présence d’avocats à l’extérieur, très peu de détenus pourront en rencontrer. Après plusieurs jours, une partie des participant·es est expulsée. Direction l’aéroport, sous les insultes et les caméras. Le matériel journalistique ne sera jamais restitué. « On m’a dit que je récupérerais ma caméra. Je suis rentré en France sans elle. Je ne sais pas où elle est. »
À son retour, Andreï Manivit ne parle ni d’héroïsme ni de réussite. La flottille n’a pas atteint Gaza, le blocus demeure, et plusieurs membres de l’équipage ont été détenus, parfois violemment. Mais pour le journaliste, l’enjeu dépasse l’issue immédiate de la mission. « Ne rien faire aujourd’hui pour Gaza, c’est participer à ce qui s’y joue », résume-t-il. Son matériel, confisqué lors de l’interception, ne lui a toujours pas été restitué. Un symbole, selon lui, de l’obstacle permanent opposé au travail des journalistes dans et autour de Gaza, alors même que l’accès des médias internationaux y est interdit. Le récit de cette traversée, de l’organisation militante à la détention, sera prochainement décliné dans un documentaire.
À travers ce témoignage, c’est moins une aventure individuelle qui se raconte qu’un constat politique : celui d’une mobilisation civile entravée, criminalisée, et d’une information sous contrainte, à l’heure où documenter la guerre et ses conséquences reste plus que jamais un enjeu démocratique.