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Les actionnaires ne servent à rien. On vous le prouve !

Les actionnaires dirigent votre vie. Telles les divinités des temps modernes, ils sont ceux au nom de qui tous les sacrifices nous sont demandés. Les coupes budgétaires dans nos services publics et notre système de santé ? C’est pour financer la suppression de l’Impôt sur la fortune, la mise en œuvre de la flat tax, les exonérations d’impôts et de cotisations sociales pour les entreprises privées. Les suppressions de postes dans votre service, le gel de votre salaire ? C’est pour permettre aux actionnaires, pardon aux « investisseurs » de continuer à soutenir votre usine !

Les actionnaires dirigent notre vie politique, notre vie économique et la gestion de notre travail. Que vous soyez dans une grosse entreprise qui compte Black Rock parmi ses actionnaires ou une petite, avec un petit patron petit propriétaire, votre travail sera toujours gouverné par cet impératif : rémunérer la propriété des moyens de production.

On le sait tous, mais tout le monde fait semblant : aucun slogan de grand groupe n’est « pour le bonheur de nos actionnaires » ou « parce que nos dividendes le valent bien ». Il est toujours question de grands services rendus à l’humanité, de sens du travail bien accompli, de goût pour l’innovation et la science. Mais cela reste le Return On Equity, ROE pour les intimes, qui gouverne la politique de toutes les grandes entreprises françaises. Le ROE, c’est le profit divisé par les fonds investis dans l’entreprise. Et la norme en la matière réclamée par la plupart des actionnaires, c’est 15%. C’est très élevé, et cela explique pourquoi, dans la gestion des entreprises privées, rien n’est laissé au hasard, de la durée de la pause pipi du manutentionnaire à la productivité à la minute des caissières.

Qui sont-elles, ces divinités au nom desquelles nous devons sacrifier nos impôts et nos conditions de travail ? A priori ce ne sont ni vous, ni moi. Je peux le devenir, en théorie : en achetant les actions d’une entreprise je deviens un actionnaire individuel, joliment nommé “boursicoteur”. Mais avec des moyens limités, je n’aurais aucun rôle à jouer dans la politique de cette entreprise. D’ailleurs, le jeu en vaut tellement peu la chandelle il y a deux fois moins d’actionnaires individuels dans le pays que dans les années 1990.

Au capital de grandes entreprises, vous trouverez une majorité d’« investisseurs institutionnels » : c’est à dire des entreprises dont l’objet est de placer de l’argent pour le compte d’autres et exigent des résultats. C’est le cas, par exemple, de Black Rock, qui n’est pas une banque mais un gestionnaire d’actifs : il place de l’argent pour le compte d’autres institutionnel comme les banques, les fonds de pension, les compagnies d’assurance, les entreprises… qui représentent elles-mêmes des individus en chair et en os. Plus gros gestionnaire d’actif du monde, Black Rock brasse 7000 milliards de dollars, ce qui représente trois fois la somme des richesses produites chaque année en France. Il est le 3e investisseur des entreprises du CAC 40 et peut donc dicter ses normes de gestion aux entreprises, contrairement à moi si j’achète 300 euros d’action Total ou Engie. En France, le patrimoine financier est hyper concentré : les 5% les plus riches en détiennent la moitié. 

Souvent, la détention d’action se fait à l’ancienne : une vieille et respectable famille possède un très grand nombre d’entreprises. C’est le cas de la famille Mulliez, qui possède des enseignes où vous vous rendez probablement : les hypermarchés Auchan, l’équipementier Norauto, les magasins Décathlon mais aussi l’enseigne Leroy Merlin. Dans cette chaîne de magasin de Bricolage, qui a dégagé un bénéfice record en 2021, la direction a proposé lors des négociations annuelles 2% d’augmentation de salaire alors que l’inflation s’établit à 2.6%.Oh la belle arnaque ! 

Car c’est aussi ça les actionnaires : des gens qui ont intérêt à ce que vos revenus baissent pour que leurs dividendes augmentent. C’est dans la nature même du capitalisme, où capital et travail sont séparés et où leurs intérêts s’opposent. Et c’est ce que vivent dans leur chair les salariés de Leroy Merlin, qui sont actuellement en grève et blocage d’entrepôts pour obtenir un meilleur partage du gâteau dont s’empiffre les Mulliez.

Souvent, ce que les politiques reprochent aux grandes familles et aux grands actionnaires institutionnels c’est de « ne pas jouer le jeu » : de ne pas payer leurs impôts, de délocaliser, de contribuer à la désindustrialisation et à la mise en concurrence des peuples du monde entier. Sauf que c’est précisément ça, le jeu du capitalisme : les actionnaires n’ont ni principes, ni patrie, ni Etat, sauf quand il s’agit de gratter des subventions et des exonérations.

Il semble désormais qu’ils n’ont pas de planète, ou du moins qu’ils s’en foutent de tout ce qui concerne de près ou de loin la préservation de notre atmosphère. Cela ne fait pas partie de leur logiciel que de penser à notre avenir collectif : comment se soucier du changement climatique quand on attend 15% de Return on Equity ? On ne peut tout simplement pas.

Même les plus petites tentatives sont sanctionnées : Emmanuel Faber était le PDG de Danone, vous savez ce groupe qui vous a fait croire pendant des décennies qu’il fallait bouffer des yahourts et boire de l’Actimel pour péter la forme ? En 2020, il annonce un changement de logiciel pour le groupe, devenu « entreprise à mission », c’est-à-dire prétendant prendre en compte autre chose que la performance financière, par exemple « l’impact » environnemental de son action. Mais en mars dernier, bim ! Il a été évincé par ses actionnaires, apeurés par une gestion pas assez financière. 

C’est bien beau tout ça mais nous avons besoin des actionnaires pour investir dans nos entreprises non ? Ce discours dominant fait l’impasse sur une partie de la question : avons-nous besoin des actionnaires ou est-ce eux qui ont besoin de nous ? A l’origine, le capital s’est formé sur le travail des autres, pas l’inverse. L’humanité a commencé à travailler bien avant qu’une minorité capitalise sur son dos. 

Et le pire, c’est que les actionnaires coûtent un pognon de dingue à notre économie : selon les calculs de l’économiste Tibor Sarcey, l’actionnariat a représenté en France un coût total net de 369 milliards d’euros depuis 2000, en raison de l’impératif de versement de dividende. Chaque année, ce que les actionnaires coûtent aux entreprises permettrait de créer un millions d’emplois ou d’augmenter de 300 euros par mois l’ensemble des salariés du privé !

Mais comment imaginer un système où ce ne seront plus ceux qui possèdent qui décident, mais celles et ceux qui travaillent et qui vivent ? Les pistes existent : la plus connue est celle qui consiste à dire que ces actionnaires doivent repayer des impôts, arrêter de se planquer dans les Bahamas, contribuer un peu à réparer les malheurs qu’ils causent. Sauf qu’avec cette logique, on se retrouve de nouveau dépendant de leur bon vouloir et de leur thune.

Plus efficace est la technique consistant à redonner une place importante à l’Etat aux commandes de notre économie. En nationalisant une partie des entreprises, on s’assure de les remettre dans le droit chemin social et écologique. 

Mais pour se débarrasser une bonne fois pour toute de la division entre le capital et le travail, le plus sûr est de redonner tous les pouvoirs au second : il s’agit de la socialisation des moyens de production. Fini les parasites actionnariaux ! Cela existe déjà : en France, la Sécurité sociale exclut de leur mainmise l’ensemble de la santé, de l’assurance face aux risques de la vie… On peut imaginer, comme le soutiennent par exemple le Réseau Salariat et Ingénieur Sans Frontières, que l’alimentation soit intégrée à la Sécurité sociale et qu’une partie du marché de ce que l’on mange soit exclu de la mainmise des actionnaires de Danone ou de Nestlé. 

Au niveau de l’entreprise, on peut tout à fait concevoir un processus de socialisation progressive de l’outil de travail, avec une loi contraignant la récupération chaque année du profit par les salariés. Cette entreprise collective, imaginée par l’économiste Guillaume Etiévant dans les colonnes de Frustration Magazine, rémunérerait le travail à son juste prix et pourrait enfin envisager rationnellement sa place dans la société. 

La grève des salariés de Leroy Merlin contre la pingrerie de leur riche famille d’actionnaires doit nous permettre d’imaginer à quoi ressemblera le monde et leur vie quand ce seront celles et ceux qui y travaillent qui dirigeront cette enseigne. 

Assistés, capricieux et court-termismes, les actionnaires ont plus besoin de nous que nous avons besoin d’eux : ciao les parasites !

Parasite Papers

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