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Henri Sterdyniak, signataire du manifeste des économistes atterrés, dissèque les choix économiques des gouvernants, débusque la propagande néolibérale et dévoile la logique prédatrice des multinationales.

Les mensonges des libéraux sur la dette publique

"Nous ne laissons pas une dette à nos enfants, mais un patrimoine public. [...] L’État n’est pas un ménage. Immortel, il peut renouveler sa dette en permanence". Dans ce nouvel épisode de la Chronique Éco, l'économiste atterré Henri Sterdyniak dévoile les artifices du chantage à la dette publique.

La dette publique est utilisée pour culpabiliser la population, à l’aide d’arguments divers, tels que « la dette pèsera sur nos enfants », ou « la charge de la dette nous paralyse, elle absorbe la totalité du produit de l’impôt sur le revenu ». Il n’y aurait alors qu’un seul moyen pour la réduire : couper dans les dépenses publiques. Il n’y a pas de spécificité française. Avec une dette publique de 98% du PIB fin 2018, la France est au-dessus de la zone euro (88%), mais en dessous des États-Unis (107%) ou du Japon (236 %), deux pays où les dépenses publiques sont faibles. Les libéraux clament qu’elle représente 34 000 euros par personne, dont hériterait chaque bébé qui naît. C’est oublier que cette dette ne prend pas en compte les actifs publics financiers et réels de l’État (les entreprises publiques, les bâtiments, les routes). La « valeur nette » des administrations est positive : 200 milliards, soit 2 900 euros par personne. Nous ne laissons pas une dette à nos enfants, mais un patrimoine public, sans parler de l’Éducation et de la Santé… L’État n’est pas un ménage. Tandis qu’un ménage est contraint de rembourser ses dettes, l’Etat, immortel, peut renouveler sa dette en permanence. Aucune génération ne sera tenue de rembourser brutalement la dette publique. L’État doit seulement veiller à ce que son déficit soit maîtrisé, qu’il contribue à l’équilibre économique. Il est légitime de financer les investissements publics, qui seront utilisés pendant de nombreuses années, par du déficit public. C’est la vraie « règle d’or » des finances publiques. En France, cela justifie un déficit de l’ordre de 2,4 % du PIB. Mais l’État ne doit pas seulement se préoccuper de sa situation financière : il doit privilégier l’équilibre macroéconomique. En situation de récession, lorsque les ménages épargnent beaucoup par peur de l’avenir, consomment peu car leur pouvoir d’achat est affaibli par le chômage, lorsque les entreprises investissent peu, il est légitime d’avoir un déficit public plus important. Malheureusement, la dette publique est malade du libéralisme. La crise ouverte en 2007 a fortement creusé la dette : il a fallu soutenir les banques, engager des mesures de relance et surtout enregistrer des pertes de recettes fiscales. À partir de 1981, sous l’effet de la contre-révolution néolibérale, les taux d’intérêt réel (le taux d’intérêt moins le taux d’inflation) ont fortement augmenté, l’inflation a chuté et la croissance a ralenti. Jusqu’en 1997, les taux d’intérêt ont été fortement supérieurs au taux de croissance ; ainsi, la dette publique a subi un effet « boule de neige ». Les milieux dirigeants ont voulu faire de Paris une grande place financière. Ils ont financiarisé la dette publique. L’État s’est placé sous la coupe des marchés financiers internationaux. 55% de la dette publique française est détenue par des non-résidents, tandis que les banques et les sociétés d’assurance placent l’épargne des Français à l’étranger. L’abondance de l’épargne et l’attrait pour la dette publique française, considérée comme sans risque, font que les taux sont actuellement très bas : 2 % sur le stock de dette, 0,3% pour les nouveaux emprunts. En 2017, les administrations françaises ont payé 40 milliards d’intérêts, mais le déficit public, financé par émission de dette, a été de 61 milliards : si la France avait renoncé à la dette, elle aurait dû se priver de 21 milliards. Laissés dans les mains des marchés, les taux d’intérêt peuvent dangereusement grimper si la politique suivie ne correspond pas aux désirs des financiers. C’est le chantage à la dette qui s’exerce aujourd’hui contre l’Italie. Ce risque est aggravé dans la zone euro, où la BCE ne garantit pas les dettes publiques. Ceci posé, comment réduire la dette ? Il faut retirer aux marchés financiers le pouvoir de fixer les taux d’intérêt. La BCE doit garantir les dettes publiques et maintenir des taux d’intérêt de long terme inférieurs au taux de croissance. Des circuits financiers publics doivent permettre de définanciariser et de renationaliser la dette publique, qui, comme au Japon, doit être détenue par les ménages sous forme de livret. Il faut en finir avec les cadeaux fiscaux aux plus riches, avec l’évasion et l’optimisation fiscale des grandes entreprises. Enfin, deux manières de relancer la croissance permettraient d’obtenir des recettes fiscales supplémentaires : d’un côté, il s’agit de relancer la croissance par la hausse des revenus des classes populaires, financée par la baisse des revenus exorbitants des actionnaires et dirigeants d’entreprises ; de l’autre, il faut mettre en œuvre des investissements centrés sur la transition écologique.

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