L'économie française a-t-elle le courage d'être coopérative ? L’appel des dirigeants de coopératives de la transition, de la société civile et de chercheurs pour une « French Coop »
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Depuis 2021, Le Média est une SCIC, c'est-à-dire une Société coopérative d'intérêt collectif – cas unique d'indépendance et d'auto-gestion véritablement égalitaire dans le paysage de la presse audiovisuelle française. C'est donc tout naturellement que nous relayons l'appel lancé récemment dans Les Échos par des dirigeants de coopératives de la transition, de la société civile et de chercheurs pour un soutien public en faveur de la « French Coop ». Les coopératives, soulignent les signataires, constituent un modèle économique et entrepreneurial créateur de valeur sociale et environnementale.
Cet appel est initialement paru dans le quotidien Les Échos le 2 juin 2025.
Alors même que les résultats cumulés du CAC 40 sont en baisse par rapport à 2023, on s’attend, d’après Factset, à 74 milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires au titre de l’exercice 2024, soit un nouveau record. Les autres bénéficiaires de cette redistribution des richesses sont les dirigeants de ces entreprises. L’ONG Oxfam rappelle régulièrement que l’écart de rémunération entre les PDG et les salariés du CAC40 ne cesse de se creuser. Or, ancrer l’économie dans le réel suppose de garder le cap clair sur le développement de l'emploi et des territoires, lequel repose sur la préservation des écosystèmes et du monde vivant, et non de financer la rente. Afin de financer la transition juste, il conviendrait de donner une place primordiale à la création de valeur sociale, comme le préconise « l'opération Milliard ». Pour tendre vers cela, il faut limiter les pouvoirs et les profits des actionnaires qui, par construction, favorisent la valorisation des valeurs financières.
En dehors du CAC 40, d’autres façons plus responsables de produire et répartir la richesse s’expriment à travers les milliers de coopératives qui produisent en France et permettent d’éviter ces phénomènes d’extraction de la valeur. Ces entreprises sont caractérisées par une gouvernance démocratique en assemblée générale et une gestion à lucrativité limitée (mise en réserves impartageables d’une partie des excédents de gestion, taux des dividendes limité par la loi). L’application de ces principes renforce la capacité des coopératives à développer des solutions exigeantes en matière environnementale et sociale, une nécessité en particulier dans une période de régression des règles protectrices aux échelles européenne et nationale. La démocratie et la lucrativité limitée sont aussi des facteurs de la solidité de ces entreprises : les coopératives présentent un taux de pérennité au bout de 5 ans d’existence supérieur de 18 points à celui de l’ensemble des entreprises françaises, d’après l’INSEE ; elles présentent également moins de risques de défaut auprès de la Banque de France. Mais ces principes sont perçus par les investisseurs comme des freins à leur profitabilité. Il en résulte que, malgré les faibles risques qu’elles présentent, les coopératives ont un accès limité aux fonds privés et se trouvent en situation de distorsion de concurrence, précisément du fait de leurs atouts.
L’économiste Anne-Laure Delatte souligne que l’entrepreneuriat coopératif, parce qu’il permet de reléguer la notion de profit au second rang, produit un bien public qui justifie un soutien public. Et plusieurs institutions vont également dans ce sens. Depuis 2016, la Commission Européenne est favorable à des dispositifs fiscaux avantageux pour les coopératives. En amont de la proclamation par l’ONU de l’“Année internationale des coopératives” en 2025, son secrétaire général recommande le développement d’un écosystème entrepreneurial facilitant le développement de ces entreprises. De sorte qu’à la suite de la conférence des financeurs de l’économie sociale et solidaire organisée le 29 avril par Bercy, nous demandons la mobilisation de ressources pour permettre le développement des coopératives et leur changement d’échelle sur des marchés concurrentiels. Nous recommandons notamment la hausse de la déduction fiscale liée aux investissements des particuliers dans les coopératives et la levée de la durée d'éligibilité de celles-ci ; un engagement significatif des banques publiques en faveur des coopératives, avec des dispositifs adaptés ; une valorisation des coopératives dans les marchés publics et ceux émis par des entreprises au sein desquelles l’Agence des Participations de l’Etat est présente.
Enfin, nous demandons au Ministre de l’Économie, Monsieur Eric Lombard, et à la Ministre déléguée chargée de l’ESS, Madame Véronique Louwagie, de mettre en place une mission « French Coop » qui permette d’assurer les conditions du développement des coopératives pour répondre aux enjeux d’une transition juste, comme la mission French Tech a permis de soutenir activement l’essor des start-ups. Il en va de la robustesse de l’économie de notre pays.
● Maud Sarda, directrice générale de Label Emmaüs et co-présidente de l’alliance des coopératives de la transition, Les Licoornes ● Adrien Montagut, co-fondateur de Commown et co-président de Les Licoornes ● Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France ● Pierre Hurmic, maire de Bordeaux et président du Global Social Economy Forum ● Frédéric Faure, vice-président de Biocoop ● Julien Noé, président d’Enercoop ● Ivan Chaleil, président du directoire, La Nef ● Bérengère Batiot, cofondatrice de CoopCircuits ● Séverin Prats, président d’éthi’Kdo ● Jean-François Virot-Daub, président de Citiz ● Mohamed Sifaoui, directeur général de Tënk ● Pierre Paquot, président de Telecoop ● Alice de Cointet, directrice opérationnelle de Windcoop ● Bénédicte Rozes, présidente de Mobicoop ● Rémi Roux, président du directoire de la SCOP ethiquable ● Olivier Leberquier, président de SCOP TI 1336 ● Lucie Anizon, directrice opérationnelle de Coop-Médias ● Denis Robert, journaliste et président de la coopérative Blast ● Johann Vacandare, co-fondateur et directeur général de Virgocoop ● Michel Ollivier, président de Solarcoop ● Maxime de Rostolan, directeur général de Sailcoop ● Charles Bozonnet, président du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale et solidaire ● Valérie Gramond, co-fondatrice Greenlobby ● Timothée Duverger, responsable de la Chaire TerrESS de Sciences Po Bordeaux ● Maxime Quijoux, chercheur au CNRS ● Anne Catherine Wagner, professeure de sociologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ● Guillaume Gourgues, maître de conférence en sciences politiques, université Lyon 2, laboratoire Triangle ● Nadine Richez-Battesti, maîtresse de conférence en économie, Aix Marseille Université, laboratoire LEST-CNRS