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Révoltes urbaines : Snapchat et la Macronie censurent en famille

Par Gauthier Mesnier

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Snapchat et le gouvernement marcheraient-ils main dans la main pour censurer ? Quelques jours après les révoltes urbaines suite au meurtre de Nahel, la très macroniste représentante de Snapchat France Sarah Bouchahoua s’est félicitée d’avoir censuré des vidéos pour ne laisser que les internautes « se plaignant des émeutes ». Emmanuel Macron ne se contente pas du soutien des médias dominants. Il s’assure de bien contrôler Snapchat, très utilisé par les jeunes lors des révoltes. Enquête.

« L’ensemble des stories publiées sur la Map, c’était vraiment des utilisateurs de Snapchat, à la fin, qui se plaignaient des émeutes et des conséquences des émeutes. Nous sommes fiers d’avoir pu participer et collaborer entre le privé et le public ». Devant les députés réunis en commission ce lundi 10 juillet, Sarah Bouchahoua, la responsable des affaires publiques de Snapchat France, ne mâche pas ses mots pour démontrer l’excellente collaboration de la plateforme avec le gouvernement. « Nous dédions une équipe à la collaboration avec les forces de l’ordre, qui dispose d’un canal direct avec les autorités ». 

Snapchat recrute en Macronie 

En clair, si l’on suit bien la lobbyiste : Snapchat a viré les vidéos gênantes à la demande de l’exécutif. Le gouvernement demande, Snapchat s'exécute ? Un aveu qui donne le vertige et qui relance le débat sur comment et par qui s’effectue la régulation des plateformes de réseaux sociaux. 

Il faut dire que cette sortie ne vient pas de n’importe qui. Sarah Bouchahoua est une macroniste de la première heure qui a dédié son engagement politique à la censure des réseaux sociaux.

Révoltes urbaines : Snapchat et la Macronie censurent en famille
Sarah Bouchahoua, référente "Jeunes avec Macron", ici au séminaire de LREM en 2018 avec Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat au numérique, et Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement

En tant que collaboratrice parlementaire de la député LREM Laetitia Avia, Sarah Bouchahoua a notamment participé à loi Avia en 2020. Le Média TV a montré comment des pans entiers de cette loi liberticide avaient été retoqués par le Conseil Constitutionnel. 

Puis, comme le rappelle Politico, Sarah Bouchahoua a ensuite rejoint l’eurodéputé français LREM Sandro Gozi, élu en 2019. Au sein des équipes du parlementaire européen, Sarah Bouchahoua a été en première ligne sur le Digital Services Act et le Digital Markets Act à Bruxelles, deux règlements européens visant à contrôler les discours sur Internet. 

Un profil politique qui a visiblement plu à la direction de Snapchat. En juin 2021, celle qui fut chef de la section des « Jeunes avec Macron » à Paris devient représentante publique France pour Snapchat. Elle rejoint alors Jean Gonié, lobbyiste en chef de Snapchat Europe… et présent lors de l’élaboration du programme économique d’Emmanuel Macron en 2017. 

Un duo donc très macroniste à la tête des relations publiques du réseau social. Car Jean Gonié, lui non plus, n’est pas n’importe qui. Le lobbyiste est en effet un véritable spécialiste de l’ingérence privée dans les affaires publiques. En 2017, lors de la campagne d’Emmanuel Macron, Jean Gonié ‒ alors lobbyiste d’Amazon ‒ a participé à des groupes de travail d’En Marche sur la transition numérique. Selon une note que Médiapart a pu recueillir, Jean Gonié aurait poussé le thème de la transformation de la France en champion du commerce en ligne. Comme Uber et McKinsey, le lobbyiste d’Amazon puis de Snapchat a donc tranquillement pu participer à l’élaboration programmatique du candidat d’En Marche pour faire avancer les intérêts de ses entreprises (le plus souvent américaines).  

Révoltes urbaines : Snapchat et la Macronie censurent en famille
Note de Fabrice Faubert, conseiller "institutions, action publique et transition numérique", adressée à Emmanuel Macron. Médiapart a pu l'obtenir après une demande d'accès aux documents administratifs (CADA)

Le PDG de Snapchat naturalisé en douce par Macron 

Entre Snapchat et la Macronie c’est donc un peu une histoire de famille. Mais ce n’est pas tout. Comme le révèle le quotidien Les Échos, Emmanuel Macron a décidé de naturaliser discrètement Evan Spiegel, le PDG de Snapchat, en 2018. Un point d'orgue dans les relations de Snapchat avec le gouvernement. Mais qui sonne de manière bien étrange. 

Révoltes urbaines : Snapchat et la Macronie censurent en famille
Le PDG de Snapchat Evan Spiegel a été naturalisé français par Emmanuel Macron en 2018 (c) LD

Car à l’époque, en effet, Evan Spiegel ne parle pas un mot de français et n’a même pas de résidence en France. Pour pouvoir devenir français quand même, Evan Spiegel a bénéficié d’une « naturalisation au mérite », un dispositif exceptionnel pour les étrangers « qui contribuent au rayonnement de la France » et « présentent un intérêt particulier pour l'économie ou la culture française ». Dans le cas de Snapchat, on peine à voir le caractère singulièrement français du réseau social… Interrogé par le Média TV, le Quai d’Orsay n’a pas souhaité commenter cette naturalisation.  

« J’ai un lien très fort avec la France » a tout de même tenté d’expliquer Evan Spiegel, invité d’honneur de l’American French Fondation en 2017 : « Ma grand-mère avait des livres de cuisine française ».

Pas sûr que les livres de cuisine de sa grand-mère aient été déterminants dans sa naturalisation. Mais ses relations peut-être. Car Evan Spiegel, le PDG de Snapchat, a de bons amis en France. Et notamment des amis en commun avec Emmanuel Macron himself. 

Les amis de mes amis sont mes amis 

Evan Spiegel est en effet un très proche de Xavier Niel, qu’il considère « comme un père ». Le patron de Free ‒ dont on rappelle qu’Emmanuel Macron voulait le faire élire maire LREM de Paris en 2018 sur proposition d’Alain Minc ‒ héberge régulièrement Evan Spiegel lors de ses passages à Paris. En contrepartie, le PDG de Snapchat vante régulièrement les mérites de l'École 42, une formation de développeur lancée par Niel en 2013. 


Le monde étant petit, cette relation a permis à Evan Spiegel de se rapprocher du beau-frère de Xavier Niel, Alexandre Arnault, le fils de Bernard Arnault, autre oligarque très proche d’Emmanuel Macron (depuis 2014 LVMH habille gratuitement Brigitte Macron, la première dame, qui ‒ rapellons-le ‒ fut la professeure de français de Frédéric et Jean Arnault au lycée privé Franklin, dans le XVIe arrondissement de Paris). 

Autre amitié qui compte dans le Petit-Paris pour le PDG de Snap : celle de Yannick Bolloré, fils de Vincent Bolloré et patron de l’agence de communication Havas. Selon nos informations, c’est Bolloré fils qui aurait convaincu Christophe Labarde, le directeur général de la French-American Foundation, de faire d’Evan Spiegel l’invité d’honneur de l’organisation lors de son dîner de Gala en 2017. Un honneur réservé les années précédentes à Bill Gate, patron de Microsoft, et Michaël Bloomberg, ancien maire démocrate de New York…

Yannick Bolloré est donc un soutien qui compte pour le PDG de Snapchat à Paris. Et, le hasard faisant décidément bien les choses dans cette affaire, Yannick Bolloré est un soutien d’Emmanuel Macron de longue date. Il avait notamment été aperçu par Laurent Mauduit, journaliste à Médiapart, dans un meeting à la maison de la Mutualité à Paris en 2016. Havas, son agence de communication, s'est même mise au service du candidat puis du président Macron en lui fournissant Ismaël Émelien, l’un des communicants les plus brillants de sa génération. 

Censurer entre copains plutôt que passer par un loi 

On le voit, Snapchat a donc une multitude d'entrées au sein du gouvernement. « C’est très intéressant pour le gouvernement d’avoir des relais politiques au sein des plateformes », nous explique Bastien le Querrec, juriste et membre de La Quadrature du Net. « Car légalement, dans le cas des émeutes, le gouvernement ne peut pas censurer administrativement des contenus Ils peuvent uniquement censurer du pédopornographique ou du terrorisme ».  

Faute de pouvoir censurer directement, les affaires se règlent donc entre copains. Le 5 juillet dernier, devant les sénateurs, Jean-Noël Barrot, le ministre de la Transition numérique, avoue avoir demandé à Snapchat d’aller « au-delà » de ses responsabilités, en veillant à s’adapter dès maintenant aux futures contraintes (voire l'encart ci-dessous) de la loi de sécurisation de l’espace numérique. ●●

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