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Le Ciné-club hebdo d'Eugenio Renzi #13

Par Eugenio Renzi

Eugenio Renzi est critique de cinéma. Ancien membre de la rédaction des Cahiers du Cinéma, il écrit aussi pour le quotidien italien Il Manifesto.

Cette semaine, après plus de trois mois d'une fermeture sans précédent, les salles de cinéma ont enfin rouvert leurs portes. C'est le moment pour notre Ciné-club hebdo des VOD de s’arrêter – à son épisode #13, comme il est tradition pour les meilleures séries... en attendant une nouvelle formule pour le cinéma sur Le Média, peut-être, pour la rentrée de la Saison 4. Ce dernier épisode commence par une scène d'adieu, celle d'un président crépusculaire. Un cinéaste solaire cependant, Guillaume Brac, est notre invité pour présenter son film Contes de Juillet, récemment sorti en VOD. Enfin, un ami américain se joint à nous pour clore notre série d'hommages à Michel Piccoli. Il s’appelle Craig Keller, il est critique de cinéma et vous pouvez le lire sur le blog Cinemasparagus.

Lundi : film lunaire

« Trump’s Walk of Shame » (2020, 0h02), disponible sur Youtube + « Elvis Last Song Ever » (1977, 0h03) disponible sur Youtube.

« Trump’s Walk of Shame » n’est pas un film, juste une scène. Mais vous ne verrez rien de plus impressionnant cette semaine que cette courte odyssée à travers le pré qui sépare l'hélicoptère présidentiel et l’entrée de sa résidence, chemin de la défaite où un Trump en version boxeur sonné fait face à son pire cauchemar : apparaître dans le rôle du perdant.

Difficile de résister à l’envie de construire tout un film autour de cette séquence. Quelques éléments du décor : depuis le début de l'épidémie, Trump a dû renoncer aux grands meetings où il réunissait des foules d’admirateurs. Le rendez-vous de dimanche dans la ville de Tulsa, en Oklahoma, devait être un grand moment d’orgueil blanc après les récentes mobilisations du mouvement Black Live Matters. Dans la semaine qui l’a précédé, la Maison Blanche et les chefs de la campagne de Trump ont annoncé qu’ils attendaient un million de supporters. Une scène éphémère avait été installée à l'extérieur de l’auditorium pour permettre au président un bain de foule supplémentaire. Finalement, seulement 6200 trumpistes ont fait le déplacement. De quoi remplir un tiers des places disponibles...

Voilà les faits. Reste à inventer ce que Trump a pu dire à ses collaborateurs pendant le voyage du retour. On dit que le ton est monté. Peut-être davantage du côté de sa fille Ivanka et de son beau-fils Jared Kushner, les maîtres de la Maison Blanche selon certains. Peut-être Trump est-il resté dans un coin, comme un chien battu. Quand il est sorti, il avait l’air vidé de toute énergie. Au bord des larmes, il trouve la force d’adresser un petit geste de la main en direction de la caméra, mais c’est moins lui qui salue que son avant bras, naguère mort et soudain animé, lequel se soulève et retombe aussi vite, pour flageoler sur son côté.

Pathétique, certes. Mais pas de n’importe quel pathétique. Trump n’a aucune culture – The Room Where it Happened, le livre tout récemment publié par son ancien conseiller John Bolton, révèle l’ampleur de cette ignorance, qui s’étend à tous les domaines du savoir. D’un autre côté, Trump incarne presque naturellement toute la culture populaire américaine. Il est à lui seul une boîte de soupe Cambell’s. Il y a chez lui un John Wayne, un Peter Sellers, un Dean Martin. Un Elvis également, voire deux. L'un triumphans et l'autre patiens. Ici, c’est le patiens, l'Elvis souffrant qui chante Are you Lonesome Tonight, lors de son dernier concert en 1977. Sa corpulence, son air lourd, à bout de souffle ce sont ceux du Elvis des mauvais jours, celui qui accusait les Beatles de représenter une menace pour les États-Unis. Ce vieil Elvis avait tendance à confondre ses problèmes personnels avec ceux de son pays. C'est aussi le cas de Trump aujourd'hui, mais il a une raison objective d’en vouloir aux jeunes stars de la pop, puisque les fans des K-Pop auraient contribué à perturber son meeting à Tulsa. Certains commentateurs politiques ont dit : « Enfin un moment de vérité ». Comme si le masque était enfin tombé, laissant accès à une émotion sincère de cet homme toujours caché derrière une couche de fond de teint orangé. Pas faux. Mais cette émotion n’arrive pas nue. Elle apparaît naturellement revêtue des masques qui ont fait l’Amérique (disons plutôt Hollywood) great.

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Mardi : film de lutte

Antigone (1992, 1h20), de Jean Marie Straub et Danièle Huillet. Disponible pour les abonnés sur la plateforme Mubi.

Nous avons déjà rencontré la plateforme Mubi lors des épisodes précédents du Ciné-club hebdo. Au moment de vous dire au revoir, on ne peut que vous conseiller l'abonnement. Le principe, contrairement à celui de la VOD, est celui d’une vraie programmation. Celle de ce mois-ci comporte, entre autres, une rétrospective consacrée à Jean-Marie Straub et Danièle Huillet.

Il y a deux manières de parler de Straub/Huillet. La première consiste à faire comme si il s’agissait d’un cinéma parmi d’autres. La seconde consiste à faire comme si ce n’était pas du cinéma mais autre chose (voire une sorte d’escroquerie). Les deux ne sont pas équivalentes.

Il y a beaucoup plus de valeur (et de plaisir) à découvrir qu’on peut circuler sans précautions entre un cinéma narratif ordinaire, où l’intrigue est portée par l’action des personnages à l’écran, et un cinéma comme celui des Straub, où la caméra ne capture pas des actions mais des positions, qu’à s’interdire cette porosité entre formes en cultivant le mythe d’une manière naturelle de faire (et des voir) des films. Cette porosité elle-même, d'ailleurs, se cultive. Il y a des films des Straub plus accessibles et d’autres moins.

Nous avons parlé de Sicilia !, qui est un Straub grand public. Antigone l’est peut-être moins. Les Straub sont ici dangereusement proches d’un idéal où le cinéma atteint une sorte de limite et touche aux autres arts : la statuaire, la peinture, le théâtre, la musique. Ils atteignent dans ce film une maîtrise extraordinaire des corps, des espaces et des paysages. Peut-être faut-il comprendre l'allemand pour jouir pleinement de ce qu’ils obtiennent du côté du son. Pour le reste, Antigone est un film absolument fordien. Au sens où tout est exprimé par le découpage.

Alors où est la difficulté ? Et pourquoi les Straub, de facto, ne sont-ils pas Ford ? C’est que chez Ford ce langage, celui du découpage, n’est à l'oeuvre qu’inconsciemment, alors que l’attention du spectateur est mobilisée par le feu de l’action. Chez les Straub, l’action sort de la scène. Vidé de cet élément encombrant, l’écran révèle alors sa grammaire sublime, faite de plans qui s’opposent les uns aux autres.

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Mercredi : évasion

Dark Waters de Todd Haynes. En salles… mais également en VOD sur FILMOTV, UNIVERSCINÉ, MyTF1VOD.

On peut enfin aller au cinéma… Pour y voir quoi ? Dark Waters, par exemple.

L’histoire commence à la fin des années 1990 et se poursuit presque jusqu’à nos jours. On y trouve un avocat de Cincinnati, un paysan de l'Ohio et un élément chimique de chez la firme DuPont. L’avocat est bon, le paysan pugnace et l'élément toxique.

Le film, quant à lui, est de gauche. Il se donne comme but de montrer que la protection de l’environnement n’est pas uniquement une affaire de belles âmes sophistiquées, mais concerne tout le monde. Le marché, laissé à soi-même, tue. Littéralement. Et le massacre commence dans la base électorale de Trump – le prolétariat blanc massivement pourvoyeur de suffrages en faveur d'un président qui, au nom de la création d’emplois, a mis à la tête de l’EPA (l’agence fédérale pour la protection de l’environnement, créée par Nixon en 1970) des lobbyistes acharnés à empêcher toute politique de défense de l'environnement.

Par vocation de classe, le héros du film, un avocat interprété par Mark Ruffalo (également producteur, et grand supporter de Bernie Sanders), devrait plutôt défendre les intérêts des industriels. Finalement, il met sa carrière et sa famille en danger pour s’attaquer à DuPont, le roi du Téflon® . Pourquoi ?

Regardez le film, il vous donnera une sorte d’explication. La vraie raison se trouve cependant non pas dans l’histoire racontée, mais dans les codes du genre états-unien de la « fiction de gauche » : il s'agit toujours de montrer que l’homme n’est pas fatalement déterminé à agir en fonction de ses intérêts de classe, étant toujours, en dernière analyse, libre.

L’homme est libre. C’est vrai, sans doute. En revanche la fiction de gauche ne l'est guère. Elle répète systématiquement la même idée.

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Jeudi : film jupitérien

The Wrestler (2008, 1h45) de Darren Aronofsky. Disponible en VOD sur FILMOTV.

La « Trump Walk of Shame », on l’a dit, fait penser à Dean Martin – plus précisément à celui qui est joueur de poker dans Comme un torrent (souvenez-vous, Frédéric Moreau nous a présenté ce film de Vincente Minnelli dans un épisode du Ciné-club hebdo consacré aux bars). Dans Le Mépris, Michel Piccoli/Paul Javal dit à Camille/Bardot : « Je veux faire comme Dean Martin dans Comme un torrent ». Elle rétorque : « Tu veux faire comme Dean Martin, mais tu ressembles plutôt à l’âne martin ». Mais le désespoir et cette expression que Trump affiche en sortant de l’hélicoptère, lorsqu’il ouvre grand la bouche pour prendre l’air et pour retenir ses larmes, nous renvoient aussi tout droit au personnage de catcheur blond que Mickey Rourke a interprété devant la caméra de Darren Aronofsky (Lion d’or à Venise en 2008).

Trump mis à part (mais Trump, on s’en souvient, a construit une partie de son image publique en se donnant en spectacle dans le milieu des combats de catch), The Wrestler vaut le détour. C’est sans doute le meilleur film d'Aronofsky, et l’un des meilleurs rôles de Mickey Rourke

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Vendredi : film vénusien

Contes de juillet (2018, 1h10) de Guillaume Brac. Disponible en VOD sur UNIVERSCINÉ et FILMOTV.

Derrière ce titre qui évoque explicitement le cinéma de Rohmer, il y a deux beaux films courts : « L’Amie du dimanche » et « Hanne et la fête nationale ». Contes de Juillet sort en VOD, et nous avons demandé à son auteur de venir le présenter (virtuellement). La première question ne pouvait que porter sur l'étrange période que nous venons de vivre.

Pendant le confinement, un certain nombre de films sont sortis directement en VOD. Certains craignent que cette expérience ne signe la fin de la chronologie des médias. Est-ce que tu as un avis sur cette question ?

Je n'ai pas été confronté à cette situation. Mais, à titre personnel, je serais attristé si mon film sortait directement en VOD... La VOD est peut-être un bon complément de la salle. Notamment pour ceux qui n’ont pas de cinéma à côté de chez eux. J'attache une grande importance au fait de présenter mes film à un public, de sentir les réactions d'une salle et de rencontrer des gens. Je fais partie de ces gens, et nous sommes nombreux, dont l'envie de faire des films est inséparable des milliers d'heures passées en spectateur dans les salles de cinéma. Les films qui m'ont marqué, je les ai vu au cinéma. Et je voudrais que ceux que je réalise soient découverts dans les mêmes conditions.

Ceci dit, j'ai lu ces jours-ci des tribunes intéressantes publiées par des exploitants qui s'interrogent sur le rôle de la salle désormais. Indépendamment du Covid, il est clair qu'il y a une réflexion à mener afin que la salle redevienne un lieu vivant et attractif. Je n'ai pas de solution ou de réponse à donner. Ce n'est pas mon travail. Mais alors que certains cèdent à l'idée que le cinéma est mort et qu'il n'y a rien à faire, d'autres s'organisent, tentent de repenser la salle. Un lieu comme le Café des images à Caen, par exemple : c'est un endroit où on aime aller et passer du temps.

Un monde sans femmes, ton moyen-métrage, a fait plusieurs dizaines de milliers de spectateurs – chiffre remarquable pour un format difficile à exploiter. Est-ce que tu l'as beaucoup accompagné ?

Un Monde sans femmes a d'abord circulé pendant un an dans le réseau des festivals ; je l'avais donc déjà beaucoup accompagné, et je suis resté très présent quand il est sorti. On passait presque tous les après-midi au MK2 Beaubourg... Je dis « on » parce que les acteurs, Vincent [Macaigne] ou Laure [Kalami], venaient souvent avec moi. Il y avait presque un côté spectacle vivant.

Est-ce que tu as l'impression que quelque chose a changé depuis ?

Ce que je vais dire peut paraître un peu paradoxal : aujourd'hui, la sortie en salles est souvent un moment de souffrance. Dans mon cas personnel, autant l'expérience d'Un monde sans femmes avait été euphorisante, alors que le film n'avait pas vocation à sortir, autant par la suite j'ai ressenti une certaine frustration. Pour Tonnerre et pour Trésor, j'espérais un peu mieux, un peu plus. Plus de copies, plus d'entrées. Contes de Juillet, c'est différent, car c'était un film qui n'avait pas nécessairement vocation à passer en salles et le fait que ce soit une petite sortie n'était pas du tout un problème.

La presse a parlé de Contes de juillet comme d'un film « rohmérien ». Qu'est-ce que cela veut dire pour toi ?

Le Rayon vert et Pauline à la plage avaient été des références importantes pour Un monde sans femmes. Quand j'ai fait Tonnerre, en revanche, je n'ai pas du tout pensé à Rohmer. Même si il y a certaines choses chez Rohmer qui font simplement partie de moi et de mon goût – le rapport au lieu, la peinture des sentiments et des variations infinies qu'il peut susciter. Pour Contes de Juillet, Rohmer est plus qu’une référence, c’est un cadre, comme dans un exercice de style.

Mais il faut dire qu’il s’agit d’une expérience particulière. Ce projet est né d’un atelier avec des comédiens. Je l'ai amorcé sans songer que cela donnerait un film pour la salle. Cela me rassurait de travailler à partir d'un cadre. C’était revisiter, avec les jeunes comédiens, une sorte d'esprit. C'est très présent dans le premier volet, « L'Amie du dimanche », qui en plus est tourné à Cergy-Pontoise, lieu rohmérien.

Dans la seconde partie, celle qui se passe le jour de la fête nationale, nous nous sommes émancipés de cette dimension d'exercice de style. Et l'influence de Rohmer est un peu moins évidente.

Il y a aussi un Rohmer historien...

Certes… Mais dans « Hanna et la fête nationale » je pensais souvent à [Jean] Renoir. Avec l'idée de réunir autour d'une date symbolique des jeunes gens de mondes et de classes sociales différentes : ce sont des étudiants auxquels se joint un employé de la sécurité qui s'avère danseur... Ça me faisait penser à certaines scènes emblématiques de La Règle du jeu et de La Grande illusion... Chez Renoir, un repas est une occasion pour réunir autour d'une table un échiquier de la société française. Là il y a des gens de différentes nationalités, disons qu’il y a un petit échiquier cosmopolite.

Et pourquoi une date ? Pourquoi cette date-là ?

L'atelier, de mémoire, a eu lieu entre le 15 juin et le 7 juillet. Pour éviter le côté petit théâtre et sortir les comédiens du conservatoire, je m'étais donné comme contrainte d'associer à chaque épisode un moment documentaire. Le premier épisode – qui finalement n’a pas trouvé sa place dans le montage final – se passait en marge d'une manifestation contre la Loi Travail. Pour « L’Amie du dimanche » ça devait être l’Euro de football, et puis je me suis dit que la base de loisirs de Cergy était un lieu dans lequel la dimension documentaire se trouvait naturellement présente, par le simple fait de plonger les comédiens au milieu de la foule de baigneurs, et que cela suffisait à créer cette petite contrainte que je m'étais fixée. Et enfin, pour « Hanna », il y a le 14 juillet.

Tu as récemment terminé un film, À l'abordage, qui a été très bien accueilli à la Berlinale. Tu peux nous en parler ? Quelle sera la chronologie ?

À l'abordage est une sorte de prolongement et de perfectionnement de Contes de juillet. Ce dernier, je l'ai dit, n'étais pas censé devenir un film à exploiter. Avec les comédiens, nous l'avons écrit très rapidement, à partir de quelques lignes narratives que j'avais esquissées à l'avance, et cela ne devait être qu'un simple exercice. C'est finalement devenu un film, un peu en contrebande.

La direction du conservatoire m'a proposé de répéter l'exercice, cette fois-ci dans l'intention dès le départ de faire un long-métrage pour la salle, avec un temps de préparation et de réalisation plus importants. Il s'agit d'un road movie estival dans lequel on suit deux jeunes copains de la banlieue parisienne qui travaillent l'été à Paris et rencontrent une fille, issue, elle, d'un milieu assez bourgeois. Cette dernière va en vacances dans le sud de la France et les deux garçons décident de la rejoindre. Ils partent donc en covoiturage... Évidemment, la fille n'est pas très heureuse de cette surprise : pour elle, ça n'était que l'histoire d'un soir. Les trois se retrouvent ensemble dans un camping à passer des vacances... mais pas forcément celles qu'ils avaient imaginées. Il y a une succession de rencontres et de rebondissements. C'est un film dont je suis très content et dont Contes de Juillet est en quelque sorte le laboratoire.

Le film est produit avec Arte. Il s'agit donc d'un projet pour la télévision. Mais j'ai insisté pour qu'il sorte en salles. Ce sera en principe l'hiver prochain, après avoir été diffusé sur la chaîne.

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Samedi : film marxiste ou sataniste

Ludwig, le crépuscule des dieux (1973, 3h47), de Luchino Visconti. Disponible en VOD sur Arte et UNIVERSCINÉ.

Rien n’est plus éloigné de Trump que Visconti, aristocrate, communiste, intellectuel européen. Et l'on n'essaiera en aucune manière de trouver des parallèles entre ses personnages et ceux que Trump incarne si naturellement. Toujours est-il que Visconti n’a au fond tourné qu’une scène, n’a inventé que des histoires autour d’une sortie de scène. Celle du Guépard est bien trop connue pour qu’on s’y attarde. Celle de Ludwig l’est moins. Ce film est le dernier volet de la « trilogie allemande » – les deux autres sont Les Damnés et La Mort à Venise (adaptation du roman du même titre de Thomas Mann). Les trois sont disponibles en VOD, et rien ne vous empêche de les voir ou les revoir dans l’ordre.

En plus d’être le moins connu des trois, Ludwig est sans doute le plus étonnant. Le plus risqué sur le plan de l’intrigue et du style. Visconti imagine la vie de Louis II de Bavière. Il met en scène la lente sortie de scène du dernier roi mécène, finalement déclaré fou et destitué par son propre gouvernement. Initiative dont le Parti républicain des États-Unis s’est pour l’instant montré jusqu’à présent tout à fait incapable.

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Dimanche : film du Seigneur Piccoli

La Mort en ce jardin (1956, 1h48), de Luis Buñuel, disponible sur FILMOTV et UNIVERSCINÉ.

Craig Keller, critique sur Cinemasparagus, nous offre ce texte par lequel le Ciné-club hebdo termine l'hommage au grand Piccoli.

« Dans La Mort en ce jardin (co-production franco-mexicaine en couleur datée de 1956), un film de Luis Buñuel qui n'est pas souvent vu, Michel Piccoli joue un missionnaire sur le point d'entreprendre la conversion d'une tribu indienne aux bienfaits du salut chrétien.  L'histoire met en scène un groupe de ressortissants français qui fuient le gouvernement (et les colonialistes) lorsque ce dernier s'immisce dans le contrat d'exploitation d'une mine de diamant. Piccoli, qui est le Père Lizzardi, est du côté des capitalistes. Ce qui fait défaut à son rôle au plan de l'épaisseur psychologique est compensé par sa fonction au sein d'un groupe de simples pions (le film de Buñuel est moins Hawksien que Kubrickien) dont le but est de parvenir à serpenter à travers la jungle jusqu'à l'autre côté de la frontière brésilienne, dans un monde traversé par le fossé fondamental entre servitude et service, l'itinéraire de Lizzardi étant déterminé par les choix de ses camarades.

J'ai toujours eu le sentiment d'un axiome piccolien :  un fil ténu qui relie à jamais les rôles de l'acteur à un Dieu (et donc fait de lui un desservant de l'Entité et du dogme qu'elle professe), mais symbolise aussi la ligne vite franchie entre le choix de Lizzardi et le refus, le non serviam luciférien. (Voyez le contraste entre ses rôles dans Habemus papam, de Moretti, et dans De la guerre de Bonello). L'univers de Piccoli était un catholicisme avec un petit c, et il n'est pas nécessaire d'aller chercher plus loin que dans La Mort en ce jardin pour le trouver en surplis de safari en train d'avertir son troupeau : « Ne mêlez pas Dieu à tout cela ». Avertissement judicieux, assurément, puisque, malgré la présence d'un serpent (tué et préparé pour servir de nourriture), la compagnie de Buñuel ne traverse pas un paysage infernal,  simplement la nature. Le serpent sera finalement dévoré par des fourmis rouges et l'épave d'un avion rencontrée en travers du chemin, avec sa gueule sombre et ravagée, représente la manne de cultes du cargo et l'abysse de ténèbres dans lequel s'effondrent tous les calculs. "Seul l'espoir", pour parler comme Piccoli, Buñuel et le co-scénariste Raymond Queneau, "nous a permis de rester debout"  ».

Craig Keller

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Au terme de cette série, un grand merci à Julien Théry, main invisible du Ciné-club hebdo, et à tous ceux qui ont participé aux épisodes précédents : Marco Müller, Marina Deak, Luc Moullet, Isabelle Regnier, Hervé Aubron, Valérie Massadian, Fréderic Moreau, Mathieu Bareyre, Emmanuel Burdeau, Camille Brunel et bien sûr, last but not least, Shad Teldheimer. •••

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