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À Montreuil, la galère des sans-papiers maliens, expulsés et abandonnés par l’État

Par Simon Mauvieux

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Expulsés à 48 heures de la trêve hivernale par la préfecture de Seine-Saint-Denis, les anciens résidents sans-papiers du foyer Bara de Montreuil, qui accueillait les Maliens depuis 1968, sont aujourd’hui au cœur d’un bras de fer entre mairie et préfecture. Baladés entre la rue et un hébergement indigne, ils paient les frais d’une gestion catastrophique du relogement d’urgence.

Pour ces 200 sans-papiers maliens, qui vivaient jusqu’en novembre 2018 au foyer Bara à Montreuil, ces deux dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes. Relogés d’urgence après la fermeture du foyer il y a un an, ils étaient hébergés dans un immense bâtiment administratif vide, l’AFPA, réquisitionné en urgence par la mairie de Montreuil. Mais le 29 octobre 2019, à deux jours de la trêve hivernale, ils ont été expulsés par les forces de l’ordre, pendant que ceux qui possédaient des papiers d’immigration ont été relogés. Abandonnés par Coallia, l’organisme gestionnaire du foyer Bara - qui avait la tâche de reloger ses anciens résidents -, ces travailleurs sans-papiers maliens ont passé plusieurs jours dans la rue, face à l’AFPA, en espérant que la mairie trouve une solution.

L’attente et le froid

« Les policiers sont arrivés avec des torches à 5 heures du matin. Ils nous ont demandé de sortir, ça s’est fait dans le calme  », relate Sékou, sur le trottoir en face de l’AFPA, quelques heures après l’expulsion. Il n’ira pas travailler aujourd’hui et n’a aucune idée de ce qui l’attend demain. « On reste là, on n’a pas le choix, on n’a nulle part où aller  », poursuit le sans-papier, maintenant sans-abri, d’un ton impassible, comme si rien ne l’atteignait. Ce matin, il a rassemblé toutes ses affaires dans un petit sac, à la hâte. Comme les 200 autres sans-papiers, il attend ici que la mairie ou la préfecture trouvent un hébergement pour tout le monde.

L’attente est interminable, les visages sont fermés, fatigués. Un impressionnant dispositif policier a pris place autour du groupe. Les forces de l’ordre les encerclent et attendent, elles aussi. En fin de journée, alors que le soleil amorce sa descente, la température passe sous les 10 degrés . Des feux sont allumés, des tentes montées. La nuit sera longue. Certains travailleurs sans-papiers vont passer plusieurs nuits dehors. Le 30 octobre, la mairie de Montreuil, qui a vigoureusement critiqué l’État pour avoir mis ces personnes à la rue, a trouvé une solution temporaire, mais qui ne satisfait pour l’instant personne.

Relogés dans des conditions indignes, les sans-papiers s’organisent

Près de 300 personnes sont désormais relogées rue Stalingrad à Montreuil, dans un bâtiment désaffecté qui ressemble aujourd’hui à un immense squat. A l’intérieur, des lits superposés à perte de vue, qui laissent à peine la place de marcher. Plus loin, des petites chambres où s’entassent six personnes ont été improvisées. Il n’y a que deux toilettes, pas de douche. À l’intérieur, les conditions de vie sont catastrophiques et la place manque pour tout le monde. Beaucoup dorment par terre. « On ne peut pas vivre ici, on nous parque comme des animaux, c’est n’importe quoi. N’importe qui préférerait vivre dans la rue qu’ici  », s’énerve l’un des travailleurs devant le bâtiment bondé.

Face à l’entrepôt, plusieurs d’entre eux sont dépassés : « On n’a pas le choix, on va à la rue si on ne peut pas rester ici  ». Alors un petit groupe s’est formé, appuyé par les Gilets noirs et le collectif la Chapelle debout, qui militent pour les droits des sans-papiers. Ils entendent bien faire pression sur la mairie pour obtenir une solution pérenne. Un rendez-vous avec le maire est bien prévu, mais la confiance envers la commune s’effrite de jour en jour.

Certains sans-papiers préfèrent d’ailleurs se tenir à l’écart de la mobilisation. Et dans ce groupe de Maliens pourtant extrêmement soudé, des dissensions se créent, accentuées par la présence de « délégués », des anciens du Bara qui possèdent des papiers, leur permettant d’être relogés. Ces derniers sont en lien régulier avec la mairie et voient d’un mauvais œil l’engagement politique de certains sans-papiers.

Jeux d’influence et décharge de responsabilité

Comment en est-on arrivé là ? En octobre 2018, le maire communiste de Montreuil, Patrice Bessac, a réquisitionné l’AFPA après la fermeture du foyer Bara, insalubre et rendu inhabitable par manque d’entretien. La préfecture avait immédiatement interdit l’occupation du lieu, avant de laisser finalement les occupants sur place. Si 200 sans-papiers sont aujourd’hui à la rue, c’est que Coallia, censé reloger les anciens du Bara, n’a fait que la moitié du travail. L’organisme n’a relogé que ceux qui figuraient sur une liste officielle des résidents du foyer. En clair, si des personnes ne sont pas sur cette liste, alors Coallia ne prend pas la responsabilité de les reloger. Or il est indispensable d’avoir des papiers ou d’être en cours de régularisation pour figurer sur cette liste.

Dans les faits, de nombreux Maliens ont quand même pu vivre au Bara sans être dans le protocole de Coallia, accueillis officieusement par leurs concitoyens qui y résidaient. Le foyer Bara, qui avait une capacité de 420 places, a logé certaines années près de 1000 personnes. En clair, Coallia ne reconnaît plus ceux qu’il acceptait pourtant d’héberger dans son ancien foyer en fermant les yeux. « Ils payaient leur loyer, ça arrangeait Coallia  », lâche une militante de la Chapelle Debout.

Plus troublant encore, le relogement d’urgence inconditionnel est inscrit dans la loi , plus précisément dans le code de l’action sociale et des familles. Comment se fait-il alors que la préfecture, soit l’État, puisse mettre 200 personnes à la rue, sans solution de relogement, à deux jours de la trêve hivernale ? Enfin, pourquoi Coallia, pourtant partenaire de l’État et financé à hauteur de 70 millions d’euros de fonds publics, refuse de reloger ces personnes sous prétexte qu’elles ne possèdent pas de papiers, alors même que l’État est sensé appliquer une politique de relogement inconditionnelle ?

Des questions qui restent sans réponses, puisque ni Coallia ni la préfecture n’ont souhaité s’exprimer. De son côté, Montreuil estime avoir les pieds et poings liés par la préfecture. Pour la commune, le message est clair : c’est à l’État de reloger ces sans-papiers. Mais l’État n’a rien fait et la mairie a trouvé en urgence cet entrepôt abandonné, où vivent maintenant 300 personnes dans des conditions indignes. Pour combien de temps encore ? Des analyses sont en cours pour déterminer si le lieu peut être aménagé sur le long terme. Dans ce cas, la mairie pourrait transformer l’entrepôt en un centre d’hébergement d’urgence pour améliorer les conditions de vie à l’intérieur.

Alors que l’hiver arrive, ces travailleurs sans-papiers ne savent pas encore ce que l’avenir leur réserve. Coincés entre les velléités répressives de la préfecture, les renoncements de Coallia et l’aveu d’impuissance de la mairie de Montreuil, ces sans-papiers invisibles s’évertuent, entre détresse et angoisse, à espérer une solution durable et digne.

Toutes photos : Eric Nguenti pour Le Média.

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