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On sort les dossiers

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Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l'actualité et les stratégies de communication des puissants. L'ironie n'empêchant pas l'analyse rigoureuse.

La science : victime de la défiance envers le gouvernement ?

Depuis le début de la crise sanitaire, la science est omniprésente dans l'espace public. Et c'est une nécessité dans la période. Épidémiologie, virologie, immunologie, infectiologie : il faut produire savoirs et éclairages nouveaux.

Mais à quel titre les dirigeants politiques font-ils appel à la science ? Pour éclairer leurs décisions ? Pour déléguer aux scientifiques la prise de décisions ? Pour recrédibiliser une parole publique discréditée ? Ou bien pour déguiser en mesures nécessaires et raisonnables des décisions déjà prises ?

Certains voient dans la situation présente - celle de l’état d’urgence sanitaire - un déséquilibre entre l'exigence démocratique et l'exigence d'expertise. Il est vrai qu'au moment où le président nommait un Conseil scientifique pour lui faire des recommandations sur la gestion de la crise, le Parlement était court-circuité par le gouvernement.

L’hypothèse d’une dérive de la République vers un "gouvernement des scientifiques" semble exagérée. En effet, le Conseil scientifique donne clairement sa position tantôt dans ses avis tantôt par la voix de son président à l'Assemblée nationale : la science conseille, la politique décide. On a d'ailleurs vu le Conseil se démarquer du gouvernement en soulignant le caractère politique de la décision de rouvrir les écoles.

Pour autant, la question de savoir qui décide et en qui il faut avoir confiance ne cesse de se poser.

L'affaire du 1er tour des municipales, par exemple, est plus délicate à interpréter. Emmanuel Macron dit avoir suivi l'avis du Conseil scientifique. De fait, dans son avis du 12 mars, celui-ci considérait que maintenir les élections municipales était envisageable puisqu’aller voter n'était pas plus risqué qu'aller faire ses courses (le Conseil “n’identifiait pas d’argument scientifique indiquant que l’exposition des personnes serait plus importante que celle liée aux activités essentielles (faire ses courses)”).

Devant une telle retenue on pourrait arguer que ces justifications auraient tout aussi bien pu être avancées pour reporter le scrutin : "pas plus risqué" signifie tout de même "risqué", a fortiori si l’on va à la fois voter et faire ses courses.

La décision finale du gouvernement a sans doute été éclairée par l'analyse sanitaire du Conseil scientifique. Mais le gouvernement a surtout utilisé l'avis du Conseil scientifique pour vendre comme sage et scientifiquement fondée une décision déjà prise - décision motivée plutôt par la crainte de voir l'opinion publique soupçonner une manoeuvre en cas d’annulation des élections.

Dans cette affaire, le politique garde donc toujours la main.

Mais du point de vue de l'opinion publique, il est bien difficile de distinguer les moments où la décision politique est sincèrement éclairée par la science, ceux où la science est utilisée pour donner du crédit à un agenda politique, et ceux le politique se déresponsabilise en se défaussant sur le scientifique.

Dans cette perspective il est permis de soutenir que la situation menace peut-être moins la démocratie (par l’avènement d’une "dictature des scientifiques") que les scientifiques eux-mêmes : en les plaçant sur le devant de la scène médiatique et politique, on pourrait encourager le public à les considérer comme étant à la source de décisions mauvaises ou impopulaires. Le centre de gravité de la responsabilité se déplacerait alors, et on finirait par imputer aux scientifiques toutes les erreurs de gestion de l'épidémie.

Le plus grave serait un transfert de responsabilité pénale. Le précédent de L'Aquila est une illustration frappante d’une mise en cause de scientifiques devant la justice. À la suite du séisme meurtrier du 6 avril 2009 dans la région des Abruzzes en Italie, des sismologues avaient été condamnés à de la prison ferme pour homicide involontaire avant d'être finalement, heureusement, acquittés.

Toutefois, en ce qui concerne l’épidémie de Covid-19, le risque qui semble plus plausible est celui d’un transfert de la mauvaise image du gouvernement sur la science et les scientifiques.

Le baromètre de la confiance en politique du Cevipof a mesuré les opinions avant puis pendant la crise sanitaire. Même si le terme "science" n'y est pas défini précisément, cette étude donne les deux résultats suivants :

  • pour la science en un sens général et vague, un certain scepticisme se maintient : 47% des sondés estiment qu'elle apporte autant de bonnes choses que de mauvaises choses à l'humanité,
  • en revanche l'image des scientifiques en tant que personnes reste bonne : environ 82 % des enquêtés leur font confiance.

On a là une sorte d'énigme : pourquoi sommes-nous sceptiques (et plus que les allemands ou britanniques) à l'égard de la science en général, mais confiants dans les chercheurs eux-mêmes ?

L’effet de la crise sanitaire est à rechercher dans l’analyse plus détaillée de la confiance accordée aux différents relais de la parole scientifique. Luc Rouban du Cevipof note que :

“Le problème de la perception de la science tient à ce que la parole de celle-ci est médiatisée par de nombreux locuteurs. Lorsque l’information provient directement des médecins ou des scientifiques, le niveau de confiance reste haut, ce qui n’est plus du tout le cas lorsque l’expertise est passée par le filtre de la parole gouvernementale. Quel que soit le pays étudié, plus l’information s’éloigne du monde scientifique en tant que tel et plus le niveau de méfiance s’accroît, ce qui se vérifie dès que l’on se rapproche du gouvernement mais aussi des médias et surtout des réseaux sociaux. Mais les changements de comportement sont bien plus contrastés en France.”

La science : victime de la défiance envers le gouvernement ?
Confiance dans les différentes sources d'information

Ce qui confirmerait l'idée qu'une mauvaise image du gouvernement a des effets sur l'image des scientifiques.

De leur côté les médias alimentent sans doute ce climat de méfiance en présentant depuis des années comme “experts” des individus qui ne font en général que relayer la communication des pouvoirs politique ou économique. Le risque pour les scientifiques et les vrais experts est d'être confondus avec ces baratineurs de plateaux.

Pour résoudre l’énigme soulevée plus haut, on pourrait formuler l’hypothèse suivante. Il est probable que quand on interroge les français sur la confiance qu’ils accordent aux scientifiques en tant que personnes, la première image qui leur vienne à l'esprit soit celle de l’honnête chercheur ou chercheuse en blouse blanche devant sa paillasse. Tandis que si on fait porter le questionnement sur “la science”, cela évoquera sans doute aux enquêtés un phénomène social plus global, mélange de recherche, mais aussi d'intérêts économiques, militaires, ou politiques. Et c'est bien ce mélange des genres qui provoque la défiance.

Le scepticisme à l'égard de la science ne sort donc pas de nulle part. Ses causes sont sans doute multiples, mais la défiance envers les élites dirigeantes (particulièrement en France), qui serait transférée sur la science en raison de l’instrumentalisation politique dont elle fait l’objet, joue probablement un rôle important.

Cette perte de confiance dans la science (et la politique) entame malheureusement la capacité du corps social à se défendre contre l'épidémie. D’une part si on veut que la population adopte des "comportements responsables", il faut que les autorités qui le réclament inspirent la confiance et obtiennent la croyance en la légitimité des recommandations. D’autre part si on veut éviter qu'un original puisse susciter tant d'espoirs à partir de protocoles douteux (voir l’enquête du Média ci-dessous sur Didier Raoult), ou pire, que des discours faux, égarants, voire sectaires puissent à ce point captiver de grandes audiences.

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On a plus que jamais besoin d’une science indépendante des puissances économiques et politiques.

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