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Procès de Lafarge : la France est-elle complice de leur financement de Daesh ?

Le procès Lafarge dévoile un possible aveuglement de l’État face aux versements du cimentier à des groupes armés syriens. Entre silences diplomatiques, renseignements informés et dirigeants en défense, Nadia Sweeny explore un brouillard de responsabilités.

Le procès Lafarge, que suit Nadia Sweeny, met en lumière un possible scandale d’État : la France a-t-elle su, toléré ou même encouragé les versements de plusieurs millions d’euros du cimentier à des groupes armés syriens, dont Daech ? Les huit anciens cadres, poursuivis pour financement du terrorisme, se défendent en affirmant qu’ils avaient l’aval implicite des autorités françaises. Selon eux, diplomatie et services secrets connaissaient la situation et comprenaient qu’il fallait payer pour protéger salariés, transports et infrastructures. Dans sa chronique, Nadia Sweeny décrit des audiences où le flou domine. Christian H., directeur général adjoint, raconte qu’en 2012 un ambassadeur lui aurait glissé qu’il ne fallait pas quitter la Syrie, phrase aux allures d’encouragement officieux. À partir de là, il interprète les échanges diplomatiques comme un feu vert pour rester, même au prix de paiements aux groupes armés. Il dit avoir été transparent sur les « raquettes », mais ne précise jamais vraiment qu’il s’agissait de factions djihadistes. Les magistrats tentent de démêler ce qui a été dit, omis ou volontairement flouté. Les diplomates, eux, contestent avoir jamais validé quoi que ce soit.

Les dirigeants se contredisent aussi entre eux. Frédéric Jolibois avoue avoir menti au ministère des Affaires étrangères en 2014 en niant les versements à Daech, conscient qu’une résolution récente de l’ONU criminalisait fermement tout financement indirect du terrorisme. Il explique sa gêne, son stress, l’absurdité d’un rendez-vous où chacun semble vouloir protéger sa version. Résultat : une certitude, personne ne dit la vérité complète, et l’on navigue dans un brouillard épais, décrit avec précision par Sweeny. Sur le versant du renseignement, les choses paraissent plus nettes : la DGSE a bel et bien appris, via l’un des responsables sûreté, que Lafarge payait Daech pour continuer ses activités. Une note déclassifiée parle même d’un « agreement » tarifé avec l’organisation terroriste. Mais Jean-Claude Veillard, ancien militaire et relais privilégié des services, affirme qu’il informait à titre personnel, non au nom de Lafarge, et que cela n’autorisait en rien l’entreprise à commercer avec Daech. Les services ont exploité les informations venant du terrain, reconnaissent leur utilité, mais ne valident pas les paiements.

Pour Nadia Sweeny, l’ensemble révèle une mécanique de déni mutuel : diplomatie qui ne veut pas savoir, dirigeants d’entreprise qui interprètent des silences comme des feux verts, services de renseignement qui utilisent les informations sans intervenir, et une multinationale seule à être restée aussi longtemps en Syrie malgré la présence croissante de Daech. Tous s’observent, s’évaluent, mais personne ne parle clairement. La grande question demeure : l’exploitation opportuniste des informations fournies par Lafarge rend-elle légitime ou légal le versement de millions à des groupes terroristes ? Rien n’est tranché. Pour l’instant, conclut Sweeny, le procès ne fait qu’exposer des années d’ambiguïtés, de contradictions et d’aveux tardifs. La vérité, elle, reste encore à établir d’ici la fin des audiences.

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