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Chaque semaine, Fabrice alias le Stagirite porte un regard décalé sur l'actualité et les stratégies de communication des puissants. L'ironie n'empêchant pas l'analyse rigoureuse.

Macron, Zemmour : ils sont en guerre contre l'état de droit

Faut-il vraiment en finir avec l'État de droit pour faire face au terrorisme ? C'est en tout cas la proposition du polémiste d'extrême-droite Éric Zemmour, qui n'est pas sans rappeler le virage autoritaire opéré par le président Emmanuel Macron durant son mandat. Décryptage avec le Stagirite.

Démocratie et État de droit sont dans un bateau, on jette l'État de droit à l'eau. Que reste-t-il ? Pour Eric Zemmour c'est simple, il reste la démocratie. Et nous voilà libérés de cet État de droit qui nous empêche de mettre en prison préventivement des fichés S, puisque que ce sont de potentiels terroristes, ou bien il faut reconduire les immigrés à la frontière, puisque que ce sont de potentiels délinquants. Mais qu'est-ce qu'une démocratie sans l'état de droit ?

Tandis que Zemmour fustige des institutions constitutives de l'État de droit telles le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel, qu'il accuse d'être pétries d'idéologie et de trahir les français, les défenseurs de l’état de droit comme l'avocat Francois Sureau voient en elles au contraire un rempart important contre les dérives de l'État.

Qu’est-ce que l’état de droit ? Pour Zemmour c'est le contrôle des juges sur les décisions politiques, qui dégénère selon lui en un "gouvernement des juges". D'abord, c'est faux, puisque l'activité des hautes cours comme le Conseil constitutionnel n’est pas une libre créativité absolue, mais une application de la Constitution – application qui comprend certes une dimension interprétative. (Et, pour la justice en général, la France aurait plutôt le problème inverse, avec un parquet lié à l’exécutif, que l'on peut souponner d’influencer des procédures en cours ou de nommer des juges aux ordres.)

Mais c'est surtout une vision beaucoup trop restrictive. L'état de droit désigne une réalité beaucoup plus large : la situation dans laquelle le pouvoir de l'Etat est limité par le droit, pour éviter l'arbitraire. Autrement dit, ce n'est pas parce que vous êtes majoritaire au Parlement et au gouvernement que vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Il y a une partie du droit, comme la Constitution, qui s'impose à l'Etat lui-même. Par exemple, le principe de séparation des pouvoirs est inscrit dans la Constitution, et s'impose au gouvernement quelle que soit sa couleur ou majorité politique. De même, les Droits de l'Homme inscrits dans la Constitution interdisent au gouvernement ou à la majorité politique de violer certains droits fondamentaux des individus. Macron et ses députés, par exemple, ne peuvent pas décider de rendre la torture légale.

L'Etat de droit c'est aussi un certain nombre de libertés (d'association, de réunion, d'expression, de manifestation, liberté de la presse), et les instances qui contrôlent leur respect, comme le Défenseur des droits.

Zemmour semble dire que les juges de l'Etat de droit lèsent le peuple. Mais, avec la bonne définition, on voit bien que le rôle de l'Etat de droit est de protéger le citoyen contre les abus de pouvoir de l'Etat. Zemmour se moque-t-il des abus de pouvoir ? Non : il dit que la meilleure garantie contre les abus de pouvoir reste que le pouvoir soit exercé par des gens élus démocratiquement. Il ne défend pas la dictature, mais dit seulement que l'Etat de droit constitue un obstacle à l'action des représentants du peuple. Il défend donc l'idée que l'essence de la démocratie est l'élection ; l'état de droit n'est pas essentiel, voire vient entraver la démocratie. 

Voilà qui ressemble beaucoup au concept de "démocratie illibérale" forgé par le politiste indo-américain Fareed Zakaria. Ce concept est de plus en plus utilisé pour nommer des régimes tels la Hongrie, la Turquie, ou les Philippines qui, tout en respectant les cadres formels de la démocratie élective, sont marqués par toutes sortes d'atteintes à l'état de droit : remise en cause de la division des pouvoirs, tendance de l’exécutif à s’affranchir de tout contrôle, répression de l’opposition mais aussi inégalité de traitement des citoyens, atteintes graves au pluralisme médiatique et autres organisations de la société civile. 

L'intérêt de la notion de "démocratie illibérale" est qu'elle permet de nommer des dérives autoritaires y compris dans nos propres régimes démocratiques, évitant la fausse alternative qu'on nous rétorque toujours lorsqu'on les critique : "Allez en dictature !". On peut très bien être élu démocratiquement mais avoir une pratique du pouvoir qui met à mal l'état de droit sans pour autant être une tyrannie.

Le quinquennat Macron est marqué par une série d'attaques contre l'État de droit : à l'état d'urgence devenu permanent, s'ajoutent des tentatives de restreindre la liberté d'expression (loi Avia), et des atteintes à la liberté de la presse, notamment celle de couvrir les manifestation. Ironiquement, lorsque Macron fustigeait les démocraties illibérales lors de ses voeux à la presse de 2018, il semble se critiquer par anticipation. 

Mais là encore, ce sont les dispositifs de l'état de droit qui sont venus contrecarrer ces attaques. Le 20 mai dernier, le Conseil constitutionnel est intervenu contre la Loi sécurité globale en censurant certains articles, dont le fameux article 24, qui limitait la possibilité de filmer et diffuser des images identifiant des policiers en activité. Et le 10 juin dernier, c'est le Conseil d'Etat qui a annulé d'importantes disposition du Nouveau schéma du maintien de l'ordre, notamment l'idée d'accréditer des journalistes sur des manifestations, ainsi que la pratique de la nasse. 

L'impression qui se dégage est celle d'une majorité sans cesse tentée de produire des lois liberticides, en se réclamant de la légitimité des urnes et en tentant de s'assoir sur le pluralisme démocratique et les contre-pouvoirs. L'univers mental des députés de LREM est non seulement illibéral parce qu'ils s'offusquent à chaque fois de voir retoqués leurs projets liberticides, mais il est aussi antidémocratique, car s'ils prenaient davantage en compte les critiques de l'opposition, leurs projets ne seraient probablement pas aussi bancals.

On arrive aux limites de la notion de démocratie illibérale. Les droits fondamentaux et les libertés publiques ne sont pas seulement des moyens de limiter le pouvoir de l'Etat, ce sont aussi des conditions de la vie démocratique, du débat public, du pluralisme : pouvoir défendre ses opinions, se réunir, manifester, se syndiquer ne sont pas seulement des droits qui protègent l'individu, ce sont aussi des droits qui font de lui un citoyen pouvant participer à la vie politique. Un système politique qui restreint considérablement ces droits n'est pas seulement une démocratie illibérale, ce n'est plus une démocratie tout court. Continuer à le qualifier de démocratie, comme font Zemmour et les illibéraux, c'est appauvrir la démocratie : elle ne devient qu'un vote, et non un "climat" de libertés. Or une démocratie marche sur ses deux jambes. 

Macron propose un bond en avant dans la transformation néolibérale de la société française. C'est un projet très impopulaire, mais notre système électoral lui a permis de convertir sa faible base sociale (le bloc bourgeois) en légitimité démocratique. Ensuite, les institutions de la Ve République et sa pratique autoritaire du pouvoir lui permettent de passer en force, grâce à une majorité de députés-godillots, et en envoyant la police étouffer les conflits sociaux.  

Zemmour formule explicitement ce qui est latent dans la pratique du pouvoir de Macron : tout pouvoir à l’exécutif. Le monde proposé par Zemmour pour sauver la France de ses problèmes, c'est la macronie, moins les dernières digues de l'Etat de droit qui nous ont (un peu) protégés. Sa France rêvée est celle d'un peuple mis dans l'incapacité de se défendre face à un pouvoir surpuissant. L’état d’urgence terroriste et sanitaire donne une image de la société politique souhaitée par Zemmour : on ne peut pas se réunir, nos déplacements sont a priori suspects, on ne peut pas manifester, et en guise d'espace public ouvert et équilibré, on n'a plus que Cnews et LCI.  

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