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Guerre à l'Iran : le pari millénariste de Donald Trump ?

Par Joël Schnapp

Historien, Joël Schnapp a publié Prophéties de fin du monde et peur des Turcs au XVe siècle : Ottomans, Antichrist, Apocalypse (éd. Classiques Garnier).

Qu'est-ce qui a décidé Donald Trump à bombarder l'Iran ? Trois semaines après, analystes et commentateurs de toutes sortes se perdent encore en conjectures. Pour l'historien Joël Schnapp, une telle initiative guerrière au Moyen Orient pourrait bien s'expliquer surtout par des considérations de politique intérieure. Elle a permis en particulier à Trump de renouer avec le messianisme qui l'a porté au pouvoir comme "Élu de Dieu" .

Trois semaines après les bombardements massifs en Iran, la question demeure. Universitaires, spécialistes de géopolitique, analystes se sont abondamment disputés dans les journaux, sur les plateaux télé, sur internet, et leurs propos ont été consciencieusement disséqués par des légions de commentateurs qui on fait assaut d’ultracrépidarianisme. Jamais, cependant, on n’est arrivé à s’entendre sur le fond ni à répondre à la question fondamentale : pourquoi Trump a-t-il ainsi cédé aux sirènes belliqueuses de Netanyahou, alors qu’il avait annoncé qu’il commençait par se donner deux semaines de réflexion ? La menace mortelle que représenterait l’Iran pour Israël n’est pourtant pas nouvelle et cela fait au moins vingt ans que les faucons israéliens et les évangéliques de l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Committe, puissant lobby sioniste) réclament une intervention militaire1. Pourquoi avoir bombardé maintenant ? Il n’y a sans doute pas moyen de trancher le débat une fois pour toutes. Mais si, au lieu d’interroger toujours les motivations géopolitiques d’un président au comportement pour le moins erratique, on pose le problème sous l’angle de la politique intérieure, on y verra peut-être plus clair.

Cela fait des mois désormais que Trump est en difficulté. Depuis son entrée en fonction, en fait, la situation s’aggrave de jour en jour. Quand on reprend par le menu le fil des six premiers mois de la présidence, le résultat est effarant. Pour commencer, la cérémonie de la prestation de serment a été catastrophique. Le milliardaire a rompu avec la tradition : il a prêté serment sans poser sa main sur la Bible, provoquant de ce fait une pluie de commentaires. L’affaire a pris une telle ampleur que c’est Franklin Graham, le célèbre fils du pasteur-star Billy Graham, qui a dû voler au secours du président en invoquant un simple retard dans le protocole. Pas sûr que cela suffise à faire taire des critiques souvent acerbes, comme en témoigne cet article publié sur un site d’information évangélique, Baptist News Global, qui affirme que le président n’est chrétien qu’en apparence . D’autres, plus radicaux et certainement bien moins influents, se sont manifestés sur divers forums pour identifier Trump à l’Antichrist.

Par la suite, la séquence qui a vu Trump signer une centaine de décrets durant les cent premiers jours de son mandat a sans doute donné le tournis aux Américains. Il faut avouer que la multiplicité des sujets abordés ne laisse pas vraiment une impression de limpidité. Après avoir révoqué plusieurs dizaines de décrets pris par l’administration Biden, le nouveau président s’est évertué à mettre fin à de multiples programmes fédéraux, à déréguler complètement certains secteurs de l’économie, notamment celui des hydrocarbures, à pourchasser les immigrants illégaux, etc… Sans entrer dans les détails, le réveil a été brutal pour de nombreux électeurs qui avaient été séduits par le programme MAGA (Make America Great Again, « Redonnons sa grandeur à l’Amérique »), sans bien en comprendre les conséquences. Ainsi, sous les coups de boutoir du DOGE Department of Government Efficiency, « Département de l’efficacité gouvernementales ») d’Elon Musk, de nombreux fonctionnaires ont été renvoyés alors même qu’ils avaient voté pour le milliardaire new-yorkais.

Une autre séquence invraisemblable a marqué les esprits : celle des tarifs douaniers. Les annonces protectionnistes du président et ses tergiversations multiples ont suscité un certain scepticisme ; on se souvient avec amusement du tableau qu’il a présenté à la presse début avril, dans lequel il attribuait une taxe différente à chaque pays. Par la suite, Trump a annoncé de nouvelles mesures de protection douanière, avant de les suspendre à nouveau. À l’heure qu’il est, plus personne n’est sûr de rien : les droits de douane sur les marchandises chinoises ont été augmentés de 150%, puis redescendus à 30 % en mai dernier. Quant aux futurs droits de douane contre l’Europe, ils ont encore été repoussés et des négociations sont en cours. Tout cela démontre à l’évidence un amateurisme total et certains s’en amusent beaucoup. Un éditorialiste du Financial Times a ainsi imaginé l’acronyme TACO, Trump always chickens out (« Trump se dégonfle toujours »), qui a rencontré un immense succès. Le président américain s’est d’ailleurs mis dans une colère noire, fin mai, quand un journaliste a osé l’interroger sur le sujet .

À ce tableau désolant, il faut aussi ajouter la rupture avec Elon Musk. Au premier abord bien géré, le départ du milliardaire n’a pas tardé à virer au pugilat. Rien ne permet de dire que les attaques du DOGE contre les différentes agences de l’État et leurs programmes aient porté leurs fruits en matière de réduction de déficits. En revanche, le patron de X s’est considérablement appauvri en quelques mois (on parlait d’une perte de près de cent cinquante milliards de dollars en avril) et la marque Tesla a plongé. Les ventes de voitures électriques, désormais affublées un peu partout dans le monde du nom sarcastique de Swasticars (jeu de mot entre le mot svastika, emblème adopté par les nazis, et car, « voiture »), ont brutalement baissé ; en conséquence de quoi, acculé par ce cataclysme économique, Musk a quitté en hâte le gouvernement. Ce n’était sans doute pas suffisant ; il lui fallait aussi prendre ses distances avec le président américain. C’est sans doute ce qui explique pourquoi le patron de X a qualifié la grande loi budgétaire promue par Trump d’« abomination répugnante  ». Ce mot d’« abomination » interpelle d’ailleurs : pourquoi pas « infamie », « désastre » ou « catastrophe » ? Peut-être parce que le milliardaire considère à présent Trump comme son ennemi intime. Or pour les supporters évangéliques de Trump, c’est à dire le gros de son électorat, le mot « abomination » résonne souvent avec « désolation », « l’abomination de la désolation » étant dans la Bible l’une des appellations de l’Antichrist. En employant ce terme, Musk a sans doute cherché à fracturer l’électorat de Trump. Sans résultat visiblement, mais rien n’est résolu. Et, après une courte accalmie, Musk a relancé une offensive qui n’augure rien de bon.

Il faudrait encore évoquer les attaques contre les universités, Harvard en tête, la répression contre les LBGT+, la remise en cause des droits des indiens autochtones, les émeutes de Los Angeles, les rafles de sans-papiers en Californie, le déploiement hallucinant des Marines sur le sol américain… si on termine ce bilan par les manifestations massives du 16 juin contre le président en fonction, au cri éloquent de No Kings, « Pas de rois ! », on commence à se rendre compte de l’effroyable désastre dans lequel le retour de Trump à la présidence a plongé les États Unis. On est bien loin du compte en matière ce ce « nouvel Âge d’Or » tant promis par la propagande trumpienne en début d’année  !

C’est précisément là le cœur du problème. En l’absence de résultats tangibles, le taux d’approbation du président était particulièrement bas au mois de mai, à savoir entre 44 et 45%. Une majorité des Américains sondés, aux alentours de 52%, désapprouvaient sa politique. Il fallait agir et c’est sans doute ce qui explique, en partie du moins, la décision de bombarder l’Iran. C’est bien connu, rien de tel qu’une bonne guerre pour rétablir l’image d’un dirigeant en difficulté. Vladimir Poutine en conviendra volontiers. Dans cette optique, les bombardements massifs sur les installations nucléaires de l’Iran les 21 et 22 juin sont bien plus compréhensibles.

Mais ce type de raisonnement n’est pas suffisant pour expliquer la décision du président américain. Il faut sans doute chercher plus loin ; et l’incroyable allocution télévisée du 22 juin constitue le matériau rêvé. Trump s’est présenté ce jour-là devant les caméras flanqué de son vice-président J.D. Vance, de son secrétaire d’Etat Marco Rubio et de son secrétaire à la Défense, Pete Hegseth.

Au-delà de l’aspect quasi hollywoodien de la mise en scène, le bref discours du président a sidéré les commentateurs. On en retient deux éléments essentiels. D’une part, le président a annoncé que les frappes américaines avaient été un « succès militaire spectaculaire ». Les répétitions du pronom « je » indiquent l’importance du rôle que le milliardaire s’attribuait à lui-même : après avoir désigné l’Iran comme le tyran du Moyen Orient, il lançait contre ce pays diverses accusations peu référencées, puis affirmait : « J’ai décidé il y a longtemps que je ne laisserai pas faire cela ». Usant de superlatifs particulièrement laudateurs, il insistait sur l’extraordinaire équipe qu’il avait formé avec « Bibi » Netanyahou : l’un et l’autre avaient travaillé ensemble comme peut-être personne auparavant. Puis il rendait hommage à l’armée américaine, qui aurait mené à bien une opération comme le monde n’en avait pas vue depuis des décennies. Alors même qu’il n’avait aucun mandat pour bombarder l’Iran, le président étatsunien rendait ainsi compte « au monde » de l’attaque, comme s’il était le président universel.

En se mettant en scène de cette façon, Trump renouait avec le messianisme qui l’a porté au pouvoir l’an dernier. Cela fait des années qu’il aime à se présenter comme l’élu de Dieu, the Chosen One, et cette propagande s’est encore accrue après l’attentat dont il a miraculeusement réchappé à Butler pendant la campagne présidentielle. C’est donc, semble-t-il, en tant qu’Élu du Seigneur que le président s’adressait au monde entier et il va de soi que le caractère fabuleux de l’opération menée devait lui permettre de retrouver les grâces de la population étatsunienne.

Par ailleurs, le président se félicitait également d’avoir effacé « une terrible menace contre Israël ». En cela, il rappelait son engagement jamais démenti en faveur du sionisme chrétien. En sauvant Israël de la menace supposée mortelle de l’Iran, Trump assurait la pérennité d’un État dont l’existence, selon les évangéliques sionistes, est nécessaire à l’accomplissement du plan divin pour la fin des temps2. Ce sauvetage d’Israël lui conciliait à nouveau les faveurs de cet électorat religieux, toujours très engagé en faveur d’Israël, en lui permettant de se présenter comme un nouveau Balfour3. N’était-il d’ailleurs pas celui qui avait reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël en 2017 ? D’une certaine manière, en se présentant comme le sauveur de l’État juif, Trump remettait au goût du jour un autre thème de sa campagne, l’avènement d’un âge d’or millénariste qui permettrait au monde entier de vivre en paix.

L’attaque contre l’Iran est donc bien plus révélatrice des difficultés actuelles de Trump sur le plan intérieur que d’une véritable pensée géopolitique. Désigner un ennemi commun, le frapper vigoureusement et clamer une victoire indiscutable est sans doute le meilleur moyen pour resouder une opinion rétive. Pour autant, on ne sait pas bien si les rodomontades du président étatsunien sont vraiment en phase avec la réalité. D’aucuns doutent de l’efficacité des frappes et du caractère définitif de la victoire ; d’autres mettent en question la légalité des attaques. On en saura plus bientôt. Mais on peut insister, en attendant, sur un point essentiel : quand il est en difficulté, le président américain remet sur la table les thèmes qui ont permis sa victoire en novembre 2024, à savoir le messianisme et le millénarisme.

1. Voir Arno J. Mayer, De leurs socs, ils ont fait des glaives. Histoire critique d’Israël, Fayard, 2009, p.99.

2. Matthew A. Sutton, American Apocalypse, Harvard University Press, 2017, p.19-20.

3. Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n'a pas gagné, Le Seuil, 2024, p. 84.

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