Dans la gauche française, le Sahara occidental divise
Après avoir été journaliste pour la presse marocaine (Le Journal hebdomadaire, Zamane...), Jules Crétois écrit pour des médias français ou panafricains (Jeune Afrique, Le Monde diplomatique, Orient XXI...).
Dans la gauche française, alors que s'ouvre la bataille des élections municipales, le conflit au Sahara occidental suscite des controverses. Les positions de la France Insoumise font particulièrement débat.
C’est une région au cœur d’un conflit structurant au Maghreb et c’est devenu un malaise perceptible au sein de la gauche française. Le Sahara occidental. Un « territoire non autonome » inscrit sur la liste des territoires à décoloniser selon l'Organisation des Nations unies (ONU), revendiqué d’un côté par le Maroc et de l’autre par le Front Polisario, un mouvement politico-militaire indépendantiste soutenu par l’Algérie.
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental a été le théâtre d’une guerre opposant Rabat au Front Polisario, créé dans les années 1970, jusqu’en 1991. Depuis, le conflit s’est refroidi. Mais en 2020 le cessez-le-feu a pris fin. Au moins 165 000 personnes sont toujours considérées comme des réfugiés du fait de cette vieille guerre.
Traditionnellement, la gauche française se range plutôt du côté des positions indépendantistes. Le Front Polisario, historiquement d’obédience socialiste, l’emportait facilement dans les cœurs sur le Maroc, dirigé par une monarchie conservatrice et atlantiste. Mais le conflit au Sahara occidental a eu tendance à se faire oublier. « Quand la guerre était ouverte, on en parlait beaucoup, mais c’est devenu un sujet assez méconnu », remarque Régine Villemont, présidente de l’Association des amis de la République arabe sahraouie démocratique (AARASD), favorable à l’indépendance. Le Parti communiste français (PCF) est un des derniers partis de gauche parlementaire à maintenir des activités régulières de solidarité avec le Front Polisario et à faire siennes les revendications du mouvement indépendantiste au nom du principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ».
Le 26 novembre, un vote au Parlement européen a déclenché une polémique dans les rangs de la gauche en France. Les députés se voyaient proposer d’adopter une résolution visant à empêcher le Maroc d’exporter des fruits et des légumes du Sahara occidental, dont il contrôle de facto une large partie, sans mentionner ce nom. Le sujet peut paraître technique, mais les questions commerciales et d’accès aux ressources sont devenues le nerf de la guerre.
Il n’a manqué qu’une voix pour que le Parlement puisse contraindre la Commission européenne à exiger du Maroc de mentionner le nom du Sahara occidental sur les produits exportés depuis ce territoire. Dans ce contexte, l’abstention des neuf eurodéputés européens de la France insoumise (LFI) a été très remarquée et parfois critiquée. D’autant plus que d’autres élus sociaux-démocrates ou écologistes ont voté en faveur de la résolution, à l’instar de Raphaël Glucksmann et de Marie Toussaint. « Les députés LFI ont tourné le dos aux Sahraouis qui souffrent (...), c’est une honte », a lâché la maire-adjointe de Marseille Samia Ghali, appelée à croiser le fer avec LFI aux municipales, en dénonçant une « abstention organisée » offrant un « feu vert à l’exploitation des ressources du Sahara occidental par le Maroc ». Un jeune militant sahraoui basé en Espagne, Taleb Alisalem, a publié une Lettre d’un Sahraoui à La France Insoumise, vite partagée par des personnalités influentes comme le journaliste et militant Taha Bouhafs.
Lorsqu’on interroge des militants, la gêne prédomine.
Faut-il voir dans cette abstention la naissance de sentiments plus amènes à l’égard du Maroc dans des franges de la gauche française ? Lorsqu’on interroge des militants, la gêne prédomine. « La réalité, c’est que le sujet est assez mal maîtrisé », concède l’attaché parlementaire d’une député à l’Assemblée nationale. « C’est un sujet sur lequel personne n’a rien à gagner à prendre parti fermement. On préfère s’assurer de conserver de bonnes relations avec les institutions marocaines comme algériennes et on craint de braquer de potentiels militants ou électeurs qui entretiennent des relations avec un de ces deux pays ».
Le Parti socialiste (PS), en tant que parti de gouvernement appelé à gérer la diplomatie, avait l’habitude de devoir ménager tout à la fois Alger et Rabat. À gauche du PS, c’est chez les insoumis qu’une rupture se produit à propos du Sahara occidental, même si des points de vue divergents continuent de s'exprimer. Jean-Luc Mélenchon est en effet devenu cristallin. « Le Maroc a mis sur la table des propositions intéressantes et qui doivent être considérées » déclare le leader insoumis en déplacement au Maroc en 2023, faisant allusion au plan d’autonomie proposé depuis 2007 par Rabat comme solution pour régler le conflit. Une position qui tranche avec un point de vue répandu à gauche, où le soutien plein et entier à un référendum sur l’appartenance du Sahara occidental réclamé par le Front Polisario et promis par l’ONU est traditionnel.
Les prises de positions des uns et des autres ne manquent pas de susciter des querelles. La député insoumise Farida Amrani, ouvertement favorable aux positions marocaines, se voit ces derniers jours attaquée sur les réseaux sociaux alors qu’elle est lancée dans la course à la mairie d'Evry-Courcouronnes. « Au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine, on voit aussi des tensions. Certains accusent d’autres de se taire sur la situation au Sahara et établissent un parallèle entre les deux situations », constate un militant. Un parallèle dont la député européenne Rima Hassan, connue pour son engagement pour la Palestine, a dit au média espagnol El Independiente qu’il lui semblait erroné.
Rima Hassan rappelle un fait peu connu en France : pour les Marocains, « la séparation de ce territoire n’est que le fruit d’un héritage colonial ».
Un député français favorable au rattachement du Sahara au Maroc soupire. « Je ne lance que peu le sujet. Souvent, on considère que si untel a tel point de vue, c’est du fait d’un lobbying étranger ou d’une origine nationale… Les accusations sont immédiates. Même les personnes avec lesquelles je suis d’accord minimisent des réalités, comme la répression des militants indépendantistes au Maroc. Les discours sont dénués de subtilité ». L’eurodéputée Rima Hassan a pris son courage à deux mains. Sur les réseaux sociaux, en août 2025, elle a donné son « humble avis » sur un « sujet touchy », notant que les insultes et les menaces en ligne n’étaient pas rares à ce propos. Le ton est didactique et subtil. Parmi d’autres points, elle rappelle un fait peu connu en France : pour les Marocains, « la séparation de ce territoire n’est que le fruit d’un héritage colonial ».
« Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan connaissent l’histoire de la gauche maghrébine », souligne le député français précité. « Ils savent qu’aux premières heures du combat contre le colonisateur espagnol au Sahara, nationalistes marocains et sahraouis luttaient ensemble et que la division entre eux doit aux manœuvres franco-espagnoles contre ce mouvement unitaire ». Jean-Luc Mélenchon a en effet de bons contacts avec la gauche marocaine, pour laquelle la division entre le Maroc et le Sahara s’apparente à un malentendu historique qui se doit d’être réparé et qui rappelle que les socialistes marocains ont été les premiers à se lancer dans le combat contre le colon espagnol, aux côtés de tribus du Sahara.
Les mobilisations pour l’indépendance n’ont pas perdu de leur force en France. Au mois de novembre 2025, des syndicalistes de Solidaires, de la CNT ou de la Confédération paysanne, des militants anticoloniaux du Comité Henri Alleg ou encore des associations pro-indépendance comme l’AARASD ont rassemblé des centaines de militants à l’occasion de différents événements en Île-de-France et à Marseille. Mais force est de constater que les petites victoires accumulées à l’international par le Maroc, qui a obtenu en novembre 2025 un soutien à son plan d’autonomie au Conseil de sécurité de l'ONU, s’accompagnent de changements perceptibles dans les rangs de la gauche française. ●●
Pour en savoir plus, on peut voir par exemple le dossier Quarante ans de conflit au Sahara occidental publié par la revue Orient XXI.
Commémoration du trentenaire de la libération de la domination espanole au Sahara occidental, photo Jaysen Naidoo