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Interdiction des distributions alimentaires à Paris

Par Cemil Şanlı

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Ce mardi, la Préfecture de police de Paris a publié un arrêté venant interdire les distributions alimentaires pour un mois, reprochant aux associations de « générer (...) des attroupements de personnes marginalisées ». Le référé demandant la suspension de l’arrêté, déposé par l’avocat d'Utopia 56, a été rejeté sans audience. Du jamais vu pour l’association.

À l’instar de ce qui a déjà été fait à Calais, où des arrêtés similaires ont été régulièrement pris depuis 2020 et dénoncés (notamment par des élus LFI, frappés d'amendes à l’occasion d’une action), Laurent Nunez a signé un arrêté préfectoral prévoyant une “interdiction des distributions alimentaires” en vigueur du 10 octobre au 10 novembre, sur une zone s’étalent sur les 10e et 19e arrondissements du nord-est de la capitale. 

Le secteur délimité par l’arrêté concerne neuf artères, dont plusieurs importantes aux abords des stations de métro Stalingrad et Jaurès, devenues au fil du temps des points de repère pour les personnes pour les personnes sans domicile, les exilés… mais aussi les consommateurs de drogues et notamment de crack.

La présence de ces derniers est un problème pour les riverains comme pour les personnes à la rue... Néanmoins, Laurent, bénévole à l’association Les Ptits Déj’s Solidaires qui en distribue environ 400 chaque matin, relativise : « Nous avons très peu de drogués… et les incidents sont rares. Pour moi, cet arrêté est une justification pour invisibiliser les personnes exilées ». 

Pour la première fois hier matin, jour d’entrée en vigueur de l’arrêté, des policiers ont filtré l’accès aux Jardins d’Éole, où la distribution quotidienne de petits déjeuners a lieu. Les jardins sont situés hors du secteur visé par l’arrêté, mais à sa frontière. « La police contrôlait les papiers des gens. Ceux qui en avaient, notamment beaucoup d’Afghans, pouvaient passer et prendre leur petit déjeuner. Ceux qui n’en avaient pas, majoritairement des personnes noires, nouvellement arrivées, étaient embarquées », nous explique Lafita, bénévole.

« Priver des gens de toute nourriture est d’une cruauté insupportable », conclut Laurent, contacté par téléphone. « C’est une fois de plus ces personnes qui vont trinquer », résume auprès de l’AFP Samuel Coppens, porte-parole de l’Armée du Salut. Ces personnes sont souvent des « primo-arrivants » étrangers désoeuvrés, qui échouent à ces mêmes endroits de Paris avec l’espoir d’être mis à l’abri en hébergement d'urgence. Un « passage obligatoire par la rue » que dénoncent les associations.

Interdiction des distributions alimentaires à Paris
Paris, près de la station de métro Stalingrad, 4 novembre 2016. Un bulldozer détruit des tentes après une opération d'évacuation des migrants. Photo Joël Saget/AFP

« C’est le principal problème », dénonce Océane Marache, coordinatrice à Utopia 56 Paris. L’absence de prise en charge et d’accueil des personnes exilées arrivant à Paris résulte d’une « absence de volonté politique », juge l’association, qui rappelle que « pour les exilés ukrainiens, l’accueil a été possible. Alors pourquoi ça ne l’est pas pour les autres nationalités ? » 

Que cet arrêté intervienne le jour-même de la journée internationale de lutte contre le sans-abrisme est un « révélateur des politiques anti-SDF menées par l’État français », estime aussi Océane Marache. Contactée, la Préfecture de police confirme les opérations de « mises à l’abri » de mardi matin, motivée par des « risques liés aux débordements sur la voirie, à l’insalubrité, aux échauffourées, et à la présence de toxicomanes » générateurs, pour elle, « de trouble à l’ordre public et de plaintes de la part des riverains. »

Pour appliquer ces nouvelles décisions, la Préfecture de police a d’ores et déjà déployé un nombre important d’agents des forces de l’ordre sur tout le secteur visé par l’arrêté. Mardi, une évacuation et la mise à l’abri d’environ 400 personnes ont été effectuées par les autorités. Une énième opération survenue parmi de « multiples opérations d’évacuation et de mise à l’abri dans ce secteur ces derniers mois », reconnaît la Préfecture qui, en parallèle, nous indique qu’une nouvelle opération de ce type a eu lieu mercredi matin. Ce qui « montre bien qu’il [le lieu] est devenu un point de fixation ». Précisant qu’en conséquence, « le dispositif sera maintenu sur le secteur, avec l’emploi de forces pour éviter toute réimplantation ».

Selon la Préfecture, les attroupements et campements sont « générés » et « stimulés » par les distributions alimentaires des associations. Une lecture des choses que réfutent ces dernières, dont Utopia 56. « Ils [les autorités] chassent les personnes de tous les autres endroits. Les poussant donc à se concentrer ici », et, avec elles, les associations d’aide.

Interdiction des distributions alimentaires à Paris
Paris, 17 novembre 2022. Des migrants font la queue sous la surveillance de la police pour embarquer dans des bus en direction de camps d'hébergement. Photo Christophe Archambault/AFP.

À l’approche des JO2024, y a-t-il une volonté des pouvoirs publics de « cacher ses pauvres » comme le disent plusieurs associations ? Confronté à la voix de Yann Manzi, co-fondateur d’Utopia56, le préfet d’Île-de-France, Marc Guillaume, a réagit sur France Bleu ce matin : « C’est faux ! » Et pourquoi ? « Parce que ça fait de nombreuses années que nous menons à bien ces opérations de mises à l’abri (...) et que bien entendu ce travail se poursuit. »

L’arrêté a déclenché certaines réactions dans la sphère politique, comme celle de Ian Brossat, sénateur PCF de Paris, qui dénonce un « scandale » et demande « le retrait immédiat de cet arrêté. » Ou encore celle du député LFI François Piquemal, qui y voit le « cynisme » de la Préfecture de police de Paris.

Dans sa réponse écrite à nos questions, la Préfecture dit « se rapprocher de la Mairie de Paris afin que ses services procèdent, quotidiennement, aux nettoyage du site (matelas, matériel de construction précaire…) et, le cas échéant, utilisera les pouvoirs de contrainte que lui donne la loi », et conclut que « le préfet de Police rappelle que cette situation ne saurait perdurer » qui sonne comme un avertissement.

De son côté, l’association Utopia 56 s’est dite « navrée et outrée » d’avoir vu son référé demandant la suspension de l’arrêté, déposé par Maître Djemaoun, rejeté sans audience, la Préfecture jugeant l’urgence de la demande non caractérisée. 

Les personnes à la rue apprécieront. ●

Cet article a été mis à jour, le 12 octobre 2023 à 10h, pour y intégrer les réponses de la Préfecture de Paris à nos questions.

Photo de couverture : Paris, métro Stalingrad, 12 juillet 2023. Des migrants sur leurs matelas. Photo Julien de Rosa/AFP

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