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Jean-Yves Le Drian, le dernier ministre de l’Empire français

Par Thomas Dietrich

Il fut haut fonctionnaire avant de se saborder. Aujourd'hui journaliste et écrivain, il raconte les malheurs de la Françafrique et porte la voix de ceux qui la combattent.

C’est le grand survivant du hollandisme et un des piliers du macronisme. Jean-Yves Le Drian, l’actuel chef de la diplomatie française, est sans discontinuer au gouvernement depuis bientôt dix ans. Il a été le ministre inamovible de la défense sous François Hollande, et l’inamovible ministre de l’Europe et des affaires étrangères sous Emmanuel Macron. Et pourtant… Son nom charrie de nombreuses affaires et scandales, qui peinent à émerger sur la scène médiatique française. Entre ventes d’armes, Françafrique et amitiés avec des dictateurs, retour sur un personnage puissant et décrié.

Les ministres détestent interrompre leurs vacances. On se souvient qu’en 2003 le ministre de la santé Jean-François Mattéi était resté les pieds dans l’eau, alors que la canicule faisait une hécatombe parmi le troisième âge. L’événement est passé inaperçu mais, en 2016, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a dérogé à cette tradition vieille comme la Ve République. Alors que rien ne l’y obligeait, il a brusquement mis fin à ses vacances dans sa maison familiale de Bretagne pour prendre un avion et se rendre au Tchad. Le 8 août 2016, il a assisté à l’investiture pour un cinquième mandat d’un des pires tyrans de la planète : le président tchadien Idriss Déby Itno, qu’il a toujours présenté comme son « ami personnel ».

L’anecdote est révélatrice du personnage, qui a passé les dix dernières années de sa vie à frayer avec des dictateurs sanguinaires. D’abord ministre de la défense de François Hollande puis ministre des affaires étrangères d’Emmanuel Macron, le Breton aura eu au moins un mérite : celui d’être resté droit dans ses bottes, la tête haute et la realpolitik fière, assumant tout de ses amitiés coupables jusqu’à ses ventes d’armes, en passant par cette idée que la France ne doit plus « être une figure secourable pour tous les hommes » comme l’écrivait Malraux. Les grandes phrases et les bons sentiments n’ont jamais été le bol de cidre de Le Drian, et c’est ce qui explique peut-être sa longévité inégalée au gouvernement. Alors que François Hollande aimait à se draper dans un universalisme très IIIe République pour mieux masquer l’absence de tout sens moral dans sa politique étrangère, son ministre Le Drian ne s’est jamais embarrassé des droits de l’Homme. Il y a toujours préféré le droit du plus fort. La France n’est plus « un soldat de l’idéal ». Elle vend des Rafales.  

Comme tout bon Breton, Jean-Yves Le Drian n’est pas né de la dernière pluie. Le baron socialiste tient plus du marin-pêcheur que du capitaine de pédalo. Il a été six fois député et dix-sept ans maire de Lorient, cette ville portuaire dont l’arsenal assemble des navires de guerre. Sous le deuxième septennat de François Mitterrand, il a même été un éphémère secrétaire d’État à la mer. Dès le début des années 2000, alors que la droite a passé la gauche au kärcher, Le Drian avance patiemment ses pions. Il décide de monter un think tank qui en apparence ne paie pas de mine mais qui va le porter sous les ors de l’hôtel de Brienne. Dans ce petit groupe baptisé « Sémaphore », on retrouve les âmes damnées du futur ministre, son conseiller spécial Jean-Claude Mallet – aujourd’hui directeur des affaires publiques à Total –, l’ancien grand flic passé par EDF François Roussely et celui qui deviendra son inamovible directeur de cabinet : Cédric Lewandowski. La fine équipe théorise une défense nationale qui serve autant les intérêts du pays que ceux du complexe militaro-industriel.

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