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Dos au mur, l’opposition vénézuélienne en exil promet d’accentuer la pression sur Maduro

Par Tristan Ustyanowski

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Les échecs successifs de Juan Guaidó face au gouvernement chaviste fragilisent l’action de ceux qui appellent à une transition politique au Venezuela. Face à l’impasse, l’avenir du pays se joue tout autant à l’intérieur qu’à l’étranger, où beaucoup de détracteurs du pouvoir en place ont trouvé refuge. La Colombie s’est ainsi consolidée comme une place forte des opposants qui, tant bien que mal, répètent que leur victoire est inéluctable.

Ce fut un coup d’État raté. Le 30 avril dernier, la mutinerie massive des forces armées vénézuéliennes promise par l’opposition n’a pas eu lieu. Après deux journées confuses, durant lesquelles cinq personnes sont mortes et plus de 200 ont été arrêtées, la dénommée « Opération Liberté  » n’a pas triomphé, laissant une nouvelle fois s’imposer le statu quo dans cette crise.

« Les choses ne sont se pas exactement passées de la manière prévue  », concède Gaby Arellano, députée de l’Assemblée Nationale que nous avons retrouvé dans le nord huppé de Bogota. Exilée depuis maintenant un an en Colombie, elle refuse de considérer cet épisode comme un échec : selon elle, l’effritement des soutiens au gouvernement a à présent lieu dans les hautes sphères. Pour l’opposante, « il est évident qu’il y a une grande fissure au sein du haut commandement militaire. À présent, les plus proches collaborateurs de Maduro tentent de sauver leur peau  ».

À en croire l’opposition et leur principal allié de poids, les États-Unis, ce sont en effet plusieurs personnages clés de l’État qui auraient été prêts à tourner le dos au président socialiste. D’après Eliott Abrams, le « faucon  » au lourd passé chargé de la question vénézuélienne à la Maison Blanche, ce ne sont ni plus ni moins que les ministres de l’Intérieur, de la Défense et le chef de la garde présidentielle qui auraient changé d’avis au dernier moment.

Mais s’il y en a bien un qui a fait défection, c’est le patron des services de renseignements, le SEBIN, qualifié par l’opposition de « police politique ». Dans une lettre ouverte, diffusée au soir du 30 avril, date de sa désertion, le général Cristopher Figuera s’adresse directement à Nicolás Maduro, son « commandant en chef », à qui il assure être toujours fidèle et dénonce le fait que « des personnes de confiance » du président soient en train de « négocier en cachette » et à son insu, dans le but de préserver leurs propres intérêts.

À présent exilé et destitué, Figuera s’en prend à la rhétorique de l’ « agression nord-américaine » agitée par ses ex-collègues. « Le sous-investissement dans l’industrie, dans l’éducation, dans la santé et d’autres secteurs névralgiques de la vie quotidienne, ainsi que la corruption sans précédent qui touche le pays, pratiquée comme un sport par beaucoup de serviteurs publics de haut niveau, serait-ce également à cause de l’empire ?  », tance le militaire.

La députée en exil Gaby Arellano, à Bogota. Crédits : Hernan Ayala / NONAME Productions.

La conjoncture n’a en effet pas cessée de se dégrader au Venezuela, qui pâtit notamment d’un taux d’inflation devenu incalculable et compte sept millions de personnes nécessitant une aide humanitaire, selon les Nations Unies. La Croix Rouge, récemment autorisée par les autorités à intervenir, a triplé son budget initial pour l’élever à 24,6 millions de dollars au vu de la situation critique.

Plus de trois mois de bras de fer et de peu de résultats pour Juan Guaidó

Le gouvernement chaviste a ainsi admis l’existence d'une crise qu’il ne reconnaissait pas jusque-là. Cette même crise a poussé plus de trois millions de Vénézuéliens sur les routes de l’exil, dont plus du tiers est arrivé en Colombie.

Récemment, Michelle Bachelet, ex-présidente du Chili et actuelle Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, dénonçait le fait que les sanctions imposées au Venezuela aggravaient cette débâcle économique. « Tant que Maduro restera au pouvoir, notre peuple aura faim  », rétorque Gaby Arellano, pour qui « le problème, c’est la dictature […]. Ceux qui prétendent que la faim serait due aux sanctions ou à l’action de Guaidó méconnaissent notre tragédie  ».

Cependant, plus de trois mois après l’auto-proclamation de Juan Guaidó comme président, Nicolás Maduro, qu’elle qualifie d’ « usurpateur », est toujours en poste. La députée admet que son camp a « sous-estimé l’adversaire ». L’appareil militaire étant un fondement du chavisme, le faire basculer n’est pas une mince affaire pour l’opposition. L’élue avance le chiffre de 1000 membres de « tous grades, corps et régions » qui, au sein des forces de sécurité, auraient passé la frontière venezuelo-colombienne depuis février. Une goutte d’eau en comparaison des 235 000 soldats de l’armée régulière, auxquels il faut ajouter les milices paramilitaires.

La pression diplomatique, quant à elle, patine. Malgré la forte implication étasunienne et la constitution d’une alliance régionale, le « groupe de Lima », ayant pour principal objectif de resserrer l’étau sur Maduro, les lignes de bougent pas. Les parades médiatiques en présence de plusieurs chefs d’État et d’élus divers pour mettre en valeur le front commun contre le chavisme n’y ont rien changé.

Le 23 février dernier, l’opposition a tenté de faire entrer dans le pays des camions d’aide « humanitaire », selon ses termes. Il n’en fallait pas plus pour que le président colombien Iván Duque compare maladroitement cette tentative à la chute du mur de Berlin. D’autres pays latino-américains et l’Union Européenne ont pourtant tenté d’imposer un « groupe de contact » dans le but de réactiver le dialogue à Caracas. Des émissaires ont atterri au Venezuela à la suite des derniers événements, sans présenter pour l’instant de résultat probant.

Pour Gaby Arellano, que ne nie pourtant pas que des négociations souterraines se sont maintenues avec le gouvernement, notamment depuis Bogota, les dés des pourparlers sont pipés. « Ces faux dialogues permettent juste au dictateur de gagner du temps. Nous avons essayé de discuter à cinq reprises (…). S’ils veulent trouver une solution à ce drame, pourquoi ont-ils organisé l’année dernière des élections sans garanties alors que nous venions de négocier en République Dominicaine, pendant un mois et demi, ces mêmes garanties ?  », accuse l’opposante.

Manifestation de partisans de Juan Guaido, Bogota. Crédits : Hernan Ayala / NONAME Productions.

Une Assemblée Nationale sous le feu du gouvernement

L’« Opération Liberté  » du 30 avril fut également le théâtre du retour de Leopoldo López. Bête noire du chavisme, libéré de sa résidence surveillée par des mutins au début de cette journée mouvementée, il finit par trouver refuge au sein de l’ambassade espagnole. Figure radicale de l’opposition, il purgeait une peine prononcée à la suite des manifestations violentes de 2014 qui firent 43 morts. Pour une partie de l’opposition, il est le candidat naturel dans la perspective d’une transition par le vote.

Mais pas de divisions en vue, assure Arellano, qui insiste sur le fait que Guaidó continuera de diriger le processus malgré le retour du mentor. « Tant que Maduro se maintiendra, tu es condamné à finir mort, incarcéré ou exilé  », affirme la députée, poursuivie pour conspiration dans son pays, qui n’avait d’autre alternative que la prison ou l’exil en Colombie.

A la suite du 30 avril, pour la première fois, plusieurs immunités parlementaires ont été levées d’un coup, pour complicité avec le soulèvement militaire manqué. Certains des députés visés se sont retranchés dans des dépendances diplomatiques de Caracas, mais le premier vice-président de l’Assemblée Nationale a été arrêté. Depuis la victoire de l’opposition aux législatives de décembre 2015, une rupture s’est opérée au Venezuela. Le Tribunal Suprême de Justice, fidèle au gouvernement, a tout fait pour rendre nuls les pouvoirs de l’Assemblée Nationale tout en renforçant ceux de l’Assemblée Constituante, créée en 2017 et exclusivement composée de chavistes.

Avec cet organe, « ils n’ont plus de limites  », explique Luisa Ortega Díaz. Contactée par Le Média, cette ancienne proche d’Hugo Chávez, qui fut Procureur général durant près de 10 ans, est également exilée en Colombie depuis 2017. « La Constituante fait ce que Maduro souhaite, il n’y a plus d’État de Droit  », poursuit-t-elle. « Avant, le parquet pouvait contenir les abus. Maintenant, il n’y a plus d’obstacle  », affirme l’opposante. Pour la magistrate, l’équilibre décisionnel des institutions a laissé place aux « caprices  » des tenants du pouvoir qui peuvent désormais, selon elle, « exiger à leur guise des détentions  ».

Photo de Une : Manifestation de partisans de Juan Guaidó, Bogota. Crédits : Hernán Ayala / NONAME productions.

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