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Deliveroo condamné à respecter le droit du travail

Alors que la plateforme de livraison de repas vient d’être condamnée par le Conseil de prud’hommes de Paris pour travail dissimulé, le CLAP (Collectif des livreurs autonomes parisiens) annonce sa constitution en syndicat, et une journée de blocage pour la Saint-Valentin dans la foulée.

Retrouvez ci-dessus notre entretien avec Kévin Mention, avocat des livreurs.

Après trois ans de bataille juridique, la plateforme de livraison de repas Deliveroo a été condamnée pour travail dissimulé par le Conseil de prud’hommes de Paris. Un coursier est parvenu à faire requalifier son contrat de prestation de services en contrat de travail, après avoir prouvé le lien de subordination que le liait à la plateforme. “Deliveroo se comporte comme un employeur car il contrôle, donne des ordres, géolocalise et sanctionne même ses soi-disant partenaires. Ce n’est pas du travail indépendant mais du salariat déguisé”, assure son avocat, Maître Kevin Mention, qui ajoute qu’il ne s’agit “pas d’une situation isolée”.

La plateforme devra verser 30 000 euros au salarié et s’acquitter d’une convocation au tribunal correctionnel. “Ce n’est pas rien : une infraction pénale est reprochée à Deliveroo et a été constatée par un premier juge aujourd’hui”, poursuit l’avocat, qui annonce que des actions similaires contre Deliveroo et les autres plateformes numériques, telles que Frichti, Stuart (rachetée depuis peu par La Poste) ou encore Uber sont initiées. 

Un syndicat pour ouvrir le dialogue

Si cette condamnation peut changer la donne pour les plateformes numériques, c’est également un tournant pour les livreurs à vélo. Ce mercredi 12 février 2019, entouré de Kévin Mention et de la docteure en droit et assistante parlementaire Barbara Gomes (membre de l’équipe du sénateur PCF Pascal Savoldelli), le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) a annoncé sa constitution en syndicat autonome.  

Collectif symbolique de la lutte des livreurs à vélo, moteur dans les grèves de l’été dernier avec les syndicats de livreurs des autres villes françaises, le CLAP entend formaliser son existence. Les coursiers mobilisés souhaitent notamment être consultés dans le cadre de la “mission Frouin”, une commission constituée par le Premier ministre et confiée à l’ancien président de la chambre sociale de la Cour de Cassation Jean-Yves Frouin, qui a pour but d’identifier un cadre de “représentation des travailleurs des plateformes numériques”. Une “commission clairement pro-plateforme”, selon Barbara Gomes, qui rejoint les craintes de Maître Mention, pour lequel M. Frouin a été celui qui “est le plus revenu sur les acquis des salariés” lors de ses années à la Cour. 

Jean-Yves Frouin, que Le Figaro surnommait le juge pro-entreprise en 2018, est appuyé par un groupe d’experts désignés par le gouvernement (dont Myriam Couillaud, DRH de la banque HSBC). Mais à ce stade, aucun livreur n’a été sollicité, selon les membres du CLAP. “J’espère que nous le serons, sinon c’est un aveu de contournement”, commente Edouard Bernasse, ancien livreur chez Deliveroo et syndicaliste au CLAP. 

Au-delà de la mission Frouin, il s’agit pour le CLAP d’exister en tant que travailleurs organisés. “On fait du néo-proto-syndicalisme, ou du syndicalisme néo-classique” ironise Jérôme Pimot, l’un des co-fondateurs. “On est retournés chercher des gens à la base. On n’a rien inventé : ça se faisait comme ça au XIXème siècle”, analyse-t-il, “mais on a dû tout réinventer depuis trois ans, parce qu’on n’a pas ce statut de salarié, cette base collective qui nous permettrait de créer un syndicat classique affilié à une centrale”. 

De son côté, l’entreprise a annoncé la création d’un Forum Deliveroo avec des livreurs élus, pour “offrir la possibilité aux livreurs partenaires de partager leurs idées et retours d’expérience directement avec l’équipe Deliveroo”. Une initiative contestée par le CLAP, qui pointe des procédés opaques et arbitraires, dans lesquels l’entreprise choisit ses sujets de discussion et ses interlocuteurs. “On ne croit pas à leur disrupto-démocratie”, affirme Jérôme Pimot. “Ce n’est pas du service, c’est de la servitude. On est des sous-salariés”. Il rappelle que depuis la création de la plateforme il y a quelques années, les tarifications des courses varient et augmentent selon les décisions unilatérales des donneurs d’ordre.  

Pas de livraisons pour la Saint-Valentin

Les travailleurs estiment également que la statut d’indépendant utilisé par Deliveroo est abusif, et la condamnation récente n’a fait que renforcer leurs convictions. Ils estiment devoir subir tous les inconvénients de l’indépendance (telles que les absences de cotisation à l’assurance-chômage et de congés payés), sans bénéficier des avantages que le statut devrait apporter (flexibilité des horaires, pouvoir de décision et de négociation). 

Fort de cette victoire, le CLAP veut frapper fort. Un blocage a été annoncé pour la soirée du vendredi 14 février. La fête de la Saint-Valentin étant l'une des journées les plus rentables pour Deliveroo, l’idée est de paralyser les cuisines centrales de l’entreprise, situées à Saint-Ouen, - une véritable “usine à livraisons” d’après les syndicalistes - et le flux de commandes qui en sort. “C’est une action qu’on a déjà fait en automne dernier. On était seulement une dizaine de livreurs devant les locaux, et une vingtaine de CRS s’est déplacée pour refaire partir les commandes” raconte Jérôme Pimot. Edouard Bernasse compte pour sa part sur un “effet boule de neige” avec les livreurs qui “partagent souvent nos idées mais sont isolés”. Des actions de blocage de restaurants sont également prévues à Marseille et Bordeaux, en coordination avec les syndicats de livreurs de ces villes, tels que la CGT-Livreurs de Gironde. 

Pour soutenir cette action directe, les coursiers mobilisés appellent les clients de Deliveroo à les appuyer par le boycott. “Il faut que les gens se rendent compte des conditions de travail qu’il y a derrière ces plateformes. Qu’ils sachent qu’on est payés à griller des feux [de circulation, NDLR] pour de moins en moins cher”.

Une proposition de loi déposée

Pour accompagner cette lutte de terrain, le groupe “Pédale et tais-toi !” - composé de sociologues, juristes, travailleurs et parlementaires - s’est impliqué dans le travail législatif. Ses membres planchent depuis deux ans sur une proposition de loi concernant le statut des travailleurs des plateformes numériques. 

Déposée au Sénat le 11 septembre dernier par les communistes Pascal Savoldelli et Fabien Gay, la proposition pointe un “contournement massif du droit, et en particulier du droit social” par ces nouvelles entreprises qui “ne sont pas de simples opératrices de services en ligne”, puisqu’elles “ne se limitent pas à une fonction support (...) mais organisent une activité qu'elles dirigent, contrôlent”. Il faudrait notamment “permettre la représentation salariale”, précise Barbara Gomes. “Des dispositifs existent dans le code du travail” actuel, estime la juriste, qui rappelle que l'on trouve déjà des professions très autonomes comme les VRP, les journalistes pigistes ou encore les mannequins. 

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