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Évasion fiscale de BFM TV : l'étrange silence des médias dominants

Par Théophile Kouamouo

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Une part importante des bénéfices du groupe Next Radio TV (BFM, RMC et autres) s’envole vers les paradis fiscaux pour échapper à l’impôt : lundi 8 juillet, Le Média révélait les pratiques d'évasion fiscale du groupe de Patrick Drahi. Silence radio (et télé), à de rares exceptions près. Quelques hypothèses sur un étrange mutisme.

Pourquoi les milliardaires ayant fait fortune dans le bâtiment, le numérique ou la finance rachètent-ils donc à tour de bras des médias qui sont généralement fort peu rentables ? Cette question, plus ou moins rhétorique, revient à nouveau à la surface alors que Le Média vient de mettre en lumière les pratiques d’évasion fiscale de Patrick Drahi – qui contrôle entre autres BFM TV, RMC, Libération et L’Express, à travers sa société Next Radio TV et une myriade d’entreprises domiciliées aux Pays-Bas et au Luxembourg.

Révélations – BFM TV, championne de France de l’évasion fiscale
Une part conséquente des bénéfices générés par la première chaîne d’info de France, propriété de Patrick Drahi, s’envole vers…

De facto, nos révélations – jusqu’ici peu reprises par nos admirables confrères – appellent d’autres interrogations. S’agit-il de fraude fiscale stricto sensu ou de techniques classiques d’optimisation fiscale ? Patrick Drahi devrait-il s’inquiéter d’éventuelles poursuites judiciaires ou craindre un tir groupé médiatique ? Est-on déjà en pleine « affaire », au cœur d’un « scandale », ou s’agit-il de pratiques industrielles peut-être douteuses mais acceptables dans le fond ? D’ores et déjà, Alain Weill, directeur Europe d’Altice Media, choisit de placer le débat sur le terrain juridique.

Après avoir refusé de répondre à nos questions, il a réagi dans les colonnes de Télérama, le seul titre grand public à avoir repris nos révélations. « Aucune start-up n’existerait aujourd’hui sans ces fonds d’investissement basés dans des pays européens où la fiscalité est avantageuse. C’est une réalité pour beaucoup d’entreprises. La question est de savoir si c’est légal ou pas, et rien d’autre. En l’occurrence, ça l’est  », a-t-il affirmé, croyant clore le débat par cette pirouette.

Deux poids deux mesures

Mais le cœur du scandale structurel est bel et bien là ! Un des témoins que nous avons interrogés dans le cadre de notre enquête, Vincent Drezet, secrétaire général du syndicat Solidaires Finances Publiques, nous a dit en substance deux choses. Premièrement, que certaines pratiques que nous décrivons sont considérées par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), une institution internationale peu susceptible de verser dans l’altermondialisme radical, comme relevant « de l’optimisation fiscale agressive mais aussi de la fraude fiscale  ». Deuxièmement, dans les affaires de ce type, le pouvoir discrétionnaire de Bercy joue à fond : les hauts fonctionnaires et leur hiérarchie politique choisissent qui poursuivre et qui épargner.

Quand on fait du business à un certain niveau, il faut donc avoir de l’influence, savoir se rendre utile, voire se construire un certain pouvoir de nuisance, si on veut être considéré par les puissants comme quelqu’un d’autrement plus important qu’une vedette de la chanson ou du football qui triche un peu avec le fisc et dont on peut tirer les oreilles sans trop de conséquences. Quand un conglomérat industriel influence quotidiennement l’opinion publique à l’aide de ses stations de radio (BFM Business et RMC), ses chaînes de télévision (BFM TV, I24news, RMC Sport et RMC Découverte), sa presse « de gauche » (Libération) et sa presse « de droite » (L’Express), il se donne très clairement les moyens d’être traité avec délicatesse par un exécutif qui est mesure de pratiquer, tout à fait légalement, le deux poids deux mesures.

Un exécutif avec lequel le « boss » de BFM TV & Co a été lié avant même son avènement, notamment à travers la personne de Bernard Mourad, qui est passé, en 2016, du poste de patron d’Altice Media Group à celui de conseiller spécial de la campagne Macron. Après avoir piloté le rachat de SFR, combattu par Bercy sous Arnaud Montebourg – qui fustigeait l’absence de « patriotisme fiscal » de Drahi – puis « accompagné » par son successeur. Un certain Emmanuel Macron.

L'étrange silence des médias de Patrick Drahi

Mais il n’y a pas que cela. Peut-on sérieusement remettre en cause le fait que les médias possédés par Patrick Drahi se sentent gênés, voire s’autocensurent, quand leur « boss » est mis en cause ? Dans le cas qui nous concerne, notons qu’aucun d’entre eux ne s’est jusqu’ici permis la moindre reprise ou allusion. Qui peut, par ailleurs, nier que les agences de presse structurantes, dont le groupe Drahi est un des plus gros clients, ou que d’autres médias, dont les régies publicitaires négocient en permanence des budgets conséquents, notamment avec SFR, marchent sur des œufs quand il est question de traiter nos dernières révélations ?

Qui imagine Jean-Jacques Bourdin, qui s’est posé en adversaire résolu de l’évasion fiscale le 15 avril 2018, lors d’un entretien télévisé avec Emmanuel Macron, inviter son patron et le cuisiner, avec le style particulier qu’on lui connaît, au sujet des pratiques internes de son groupe ? Le malaise est là, inutile de le nier. Un malaise qui pourrait s’étendre à d’autres magnats de la presse française, tels François Pinault, fondateur du groupe Kering et propriétaire de l’hebdomadaire Le Point, accusé d’évasion fiscale massive en 2018 , ou Bernard Arnault (Les Echos, Le Parisien), poursuivi par plusieurs affaires similaires, via la fondation LVMH et d’autres dossiers explosifs.

Pourquoi les milliardaires rachètent-ils des médias à tour de bras ? Peut-être pour que cette question, pourtant capitale, ne soit pas posée sur les antennes des titres qu’ils détiennent. Peut-être, aussi, pour que les rares anonymes qui voudraient sonner l’alarme depuis un Bercy verrouillé par le pouvoir macronien ne bénéficient d’aucun relais. Peut-être, enfin, pour s'acheter une impunité.

Crédits photo de Une : Philippe Lopez / AFP.

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