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Yachts, tableaux, cybersécurité israélienne : les secrets offshore du principal donateur d'Anticor

Par Filippo Ortona et Téo Cazenaves

Retrouvez les contenus de ces auteurs : page de Filippo Ortona et page de Téo Cazenaves.

Hervé Vinciguerra, principal donateur de l’association anti-corruption et soutien financier de la nouvelle web-télé Blast, possède plusieurs centaines de millions d’euros d’actifs dans les paradis fiscaux. L’homme d’affaires, champion européen de Bridge, a également caché yachts et tableaux dans une structure singapourienne, pour une dizaine de millions d’euros, et investi dans la cyberdéfense israélienne.

Note aux lecteurs.rices : Le pôle Enquêtes du Média travaille depuis plusieurs semaines sur les éléments présentés dans cet article, qui n’ont pas pour but de délégitimer la nécessaire lutte contre la corruption. Nous aurions souhaité attendre la fin de la procédure d'agrément d’Anticor, prévue pour le 2 avril, pour que notre enquête ne soit pas utilisée dans le différend qui oppose le gouvernement et l’association. Entre-temps, cependant, le nom d’Hervé Vinciguerra ainsi que certains des éléments de cette enquête ont été révélés par plusieurs confrères (dont Libération et Arrêt sur Images). Après en avoir discuté, nous avons donc estimé que cette caution n'était plus justifiée, et avons décidé de publier cette enquête. Nous avons confiance en l'acuité de nos lecteurs.rices. 

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Cartes sur table : alors que l’identité du mystérieux « principal donateur d’Anticor », au cœur de la bataille entre le gouvernement et l’association anti-corruption pour le renouvellement de son agrément, n’avait pas été rendue publique, plusieurs journaux ont décidé hier de dévoiler son identité. Il s’agit de l’homme d’affaires et champion européen de bridge Hervé Vinciguerra, qui a fait fortune en revendant pour près de 300 millions d’euros une entreprise d’édition de logiciels d’analyse de risque, Sophis, qu’il avait fondée en 1985. 

D’après les éléments que nous avons pu consulter (librement accessibles via les registres de commerce des pays concernés), Hervé Vinciguerra, qui a versé 64 000 € à Anticor pour l’année 2020 et au moins 20 000 € à la web-télé Blast, en cours de lancement, détient plusieurs centaines de millions d’euros d’actifs dans des paradis fiscaux - notamment grâce à deux holdings, Alix AM Pte Limited et Alix Venture Sarl, respectivement domiciliées à Singapour et au Luxembourg. Mais il possède également yachts et tableaux pour plus de 12 millions d’euros via la structure singapourienne, et a investi dans une entreprise de cybersécurité israélienne filiale du groupe Orchestra, créée par le fondateur du groupe NSO, commerçant de logiciels espions utilisés par les gouvernements les plus autoritaires. 

Luxembourg, Singapour : des centaines de millions, des yachts et des tableaux

C’est via le Grand-Duché, réputé pour sa confidentialité et sa fiscalité avantageuse, qu’Hervé Vinciguerra pilote la majorité de ses investissements. Il y a créé en décembre 2010 la holding Alix Venture Sarl, qui détient des parts dans une quinzaine de sociétés, la plupart destinées à assurer la gestion, la vente et la revente de biens immobiliers. La valeur totale des actifs détenus par la holding luxembourgeoise atteint 270 millions d’euros. 

Yachts, tableaux, cybersécurité israélienne : les secrets offshore du principal donateur d'Anticor
Liste des filiales d'Alix Venture Sarl au 31 décembre 2019. Source : Comptes de la société au RCL.

Mais la quasi-totalité de ces immobilisations (248 millions d’euros) concerne une structure singapourienne, Alix Am Pte Ltd. C’est donc via cette nouvelle filiale que l’homme d’affaires pilote de nouveaux investissements : c’est par exemple à cette structure que Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH, a racheté en 2019 le Château d’Esclans, un vignoble provençal de 44 hectares de production qui distribue chaque année plus de 10 millions de bouteilles dans une centaine de pays. 

Le champion de bridge ne fait pas que dans le bon vin : la boîte singapourienne détient des yachts, tableaux et autres timbres pour plus de 12 millions d’euros. Pour des raisons fiscales ? En 2017, le Monde détaillait les motivations qui avaient poussé Bernard Arnault à placer lui aussi plusieurs de ses yachts dans des paradis fiscaux. 

Yachts, tableaux, cybersécurité israélienne : les secrets offshore du principal donateur d'Anticor
12 millions d'euros de timbres, yachts et tableaux sont détenus par la holding singapourienne. Source : Comptes d'Alix Am Pte Ltd pour l'année 2019.

Des parts dans la cybersécurité israélienne

Hervé Vinciguerra dispose d’une autre holding au Luxembourg, de taille plus modeste : Cadogan Venture Sarl. L’homme d’affaires détient par ce biais la majorité des parts de Global TV Saint-Tropez, une chaîne de télévision locale qui relaie l’actualité du gotha en villégiature sur la Côte d’Azur. Il a également investi dans la structure californienne AXD Technologies LLC, dont la maison-mère est domiciliée au Delaware, un Etat américain lui aussi réputé pour l’attractivité de sa fiscalité. 

Yachts, tableaux, cybersécurité israélienne : les secrets offshore du principal donateur d'Anticor
Liste des filiales de Cadogan Venture Sarl au 31 décembre 2019. Sources : Comptes de la société au RCL.

Mais un dernier investissement interroge. Cadogan Ventures détient 3,26 % des parts de Cronus Cyber Technologies LTD. En ajoutant les parts détenues via Alix Am Pte Ltd, la holding singapourienne, Vinciguerra détient in fine 4,48 % de cette entreprise israélienne de cybersécurité rachetée par le groupe Orchestra. 

Orchestra, c’est le fleuron d’Omri Lavie, un entrepreneur israélien célèbre pour avoir cofondé en 2010 l’entreprise de cybersécurité NSO, dont le logiciel Pegasus a fait les gros titres de la presse mondiale ces dernières années. Et pour cause : le logiciel espion a servi à la persécution de nombreux opposants, journalistes ou militants des droits humains.

Comme Ahmed Mansoor, militant émirati espionné en 2016 par son gouvernement ou encore Jamal Khashoggi, journaliste saoudien placé sous surveillance quelques temps avant son assassinat sordide. « Au moins six pays où d’importantes activités de Pegasus ont été menées ont déjà été associés à l’utilisation abusive de logiciels espions pour cibler la société civile : le Bahreïn, l’Arabie Saoudite, le Kazakhstan, le Mexique, le Maroc et les Emirats arabes unis », peut-on lire dans un rapport du laboratoire de recherche Citizen Lab, cité par nos confrères de Politis. 


À cette heure, Hervé Vinciguerra n’a pas répondu à nos sollicitations. S’il décide de nous transmettre ses commentaires, nous en ferons part dans une mise à jour de cet article. 

MAJ, 13/03/2021, 09h02 - Dans un communiqué publié le 12 mars, Anticor précise qu'Hervé Vinciguerra a décidé de mettre un terme à ses dons : "Que cherchent alors nos détracteurs ? Dissuader tout donateur d’aider Anticor ? Si c’est l’objectif recherché, il est partiellement atteint puisque le donateur a cessé le versement de ses dons."

Crédits photo de Une : Rebecca Siegel / Flickr - CC.

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