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Lyon, vitrine tragique de la détresse étudiante

Par Tania Kaddour-Sekiou

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Décrochage scolaire, angoisses, insomnies, isolement, précarité et indifférence du ministère : après la tentative de suicide de deux d’entre eux à Lyon, les étudiants réclament des mesures concrètes pour lutter contre leur mal-être.

Les étudiants sont à bout, et le ministère de l’Enseignement Supérieur ne semble pas l’entendre. En l’espace de quelques jours, deux d'entre eux ont tenté de mettre fin à leurs jours à Lyon. « C’est le cœur lourd que je vous annonce qu’aux alentours de 2h du matin, le 9 janvier 2021, un bruit sourd et fort se fit entendre au sein d’une résidence universitaire », détaille Romain Narbonnet, dans un message publié sur les réseaux sociaux. Cet étudiant en droit à l’Université Jean Moulin Lyon III, qui habite la même résidence que la victime, détaille la scène dans un récit glaçant.

Il évoque « le bruit de l’éclatement d’une vitre qui vint briser le silence de la nuit suivi, des éclats de verre sur le sol, d’un hurlement, d’un bruit sourd suivi d’un silence et, pour la dernière fois le cri d’un étudiant, camarade d’amphithéâtre, exprimant la douleur qu’il ressentait étendu sur le sol ». Ce dernier, étudiant en droit à l’Université Jean Moulin, vient alors de se jeter du cinquième étage de sa résidence universitaire située à La Doua, à Villeurbanne. Pris en charge par les secours, son pronostic vital est engagé. 

Quelques jours plus tard, le 12 janvier, une étudiante tente de se défenestrer depuis sa résidence universitaire située dans le 5ème arrondissement de Lyon. Sauvée in extremis par ses camarades sur place, elle est prise en charge par les secours. Aujourd’hui, étudiants et syndicats tirent la sonnette d’alarme. « Le gouvernement a-t-il si peu d’ambition pour sa jeunesse qu’on en soit à se jeter par les fenêtres ? », désespère Mathias, militant chez Solidaires Étudiants Lyon. 

La solitude, nouveau mal-être étudiant

Enseignements à distance, examens en ligne, travaux de groupe par écrans interposés, rendez-vous prévus plusieurs jours à l’avance pour emprunter un livre à la bibliothèque : tel est leur quotidien depuis plusieurs mois. La fermeture des écoles et universités en octobre dernier, au reconfinement, a fait l'effet d'un nouveau coup de massue alors que l'année scolaire précédente s’était déjà achevée dans l'amertume.

« C’est extrêmement compliqué parce qu’on est coupés de tout lien social », explique Nicolas, étudiant en licence d’histoire à l’Université Jean Moulin. Il évoque les angoisses, la déprime et les insomnies. « On est noyé dans le doute, le désespoir, on perd tout espoir », s’émeut le jeune homme, qui remet aujourd'hui son avenir en question, lui qui rêve pourtant de devenir professeur d’histoire-géographie. 

« Il faut comprendre que le poids de l’isolement est le poids de trop qui vient mettre à genoux les plus fragiles », témoigne Romain Narbonnet. Après son message très partagé sur les réseaux sociaux, le jeune homme de 19 ans a reçu des centaines de témoignages d’étudiants de toute la France. Signe d’un problème national, c’est depuis tout le territoire que des étudiants envoient des signaux de détresse.

À Dijon, dans un autre message, Anaïs évoque son état qui se dégrade à petit feu car « les cours à distance sont peu à peu devenus un calvaire ». À Paris, Éloïse*, étudiante en biologie, explique qu’elle a « beaucoup de mal à suivre les cours en visio ». À Lyon, Laura, étudiante en culture d’entreprise, est « presque en décrochage scolaire » et « n’arrive pas à s’y remettre ». À Strasbourg, une étudiante de 19 ans raconte qu’elle a « l’impression d’être morte », qu’elle n’a « plus de rêves » et se décrit comme « une morte-vivante », dans une lettre adressée au président de la République, Emmanuel Macron. 

Un psychologue pour 30 000 étudiants

Alors que « deux autres étudiants ont mis fin à leurs jours début décembre » selon le syndicat Solidaires Étudiants Lyon, la mesure de la détresse des étudiants n’a été prise en compte que très tardivement. « La détresse psychologique dans laquelle sont beaucoup d’étudiants depuis le début de la crise est intenable », explique Jules, militant UNEF Lyon.

Dans un rapport, l’association Nightline France, ligne d’écoute nocturne pour les étudiants, constate la présence d’un psychologue pour 30 000 étudiants en France, alors que les recommandations internationales sont de l'ordre d'un pour 1500. Le 14 janvier, la ministre de l'Enseignement supérieur a promis que le nombre de psychologues dans les universités serait doublé, « La psychologue n’est pas toujours là et vous n’avez pas forcément de suivi, alors que ce n’est pas un rendez-vous qui change tout, mais vraiment un suivi à long terme », ajoute Mathias. 

De son côté, SOS Suicide Phenix, plateforme d’écoute et de soutien, n’a pas observé une hausse significative d’appels d’étudiants pendant le confinement, « mais on a toujours des jeunes du fait de l’isolement, de se retrouver dans une chambre, de ne pas sortir », précise une bénévole. « C’est très dur de passer ses journées dans un 20m2, devant son ordinateur, sans espoir d’évolution. On n’en voit pas le bout », confie Jules.

Suite aux tentatives de suicide des deux étudiants lyonnais, le Crous de Lyon précise avoir mis en place « une cellule d’écoute d’urgence dans les deux résidences » mais précise que la « partie éducative n’est pas de [son] ressort ». Dans un mail adressé aux étudiants, l’Université Jean Moulin parle « d’urgence nationale » et promet d’être à leur disposition, avec notamment « une cellule d’écoute psychologique et un numéro vert pour accompagner les étudiants et tous ceux qui en auraient besoin ». 

D’autres dispositifs ont été mis en place par le Crous, comme un système d’étudiants référents chargés de veiller au bien-être de leurs camarades dans les résidences. « Ils ont la volonté de créer du lien social mais ils sont en sous-nombre », précise Romain Narbonnet. Plus que tout, les étudiants réclament des mesures concrètes pour lutter contre le mal-être étudiant. « À 20 ans, je ne pense pas qu’on doit se demander pourquoi on vit ? Pourquoi on fait des études ? À quoi bon continuer ? », s’émeut Romain. 

Une charge de travail inadaptée aux cours à distance

« J’ai un prof qui nous a dit qu’il allait être encore plus strict, alors que ça devrait être l’inverse », s’inquiète Nicolas. Beaucoup évoquent une organisation des enseignements inadaptés à un fonctionnement à distance, avec une charge de travail plus importante. « Ce n’est pas parce qu’on est à la maison qu’on est disponible, qu’on a l’énergie mentale et physique », explique Mathias. « Des cours sont parfois annulés le jour même. On vit au jour le jour », témoigne Yohan*, étudiant à l’Université Jean Moulin.

Romain Narbonnet détaille son rythme personnel : « Je fais du 8h-14h avec 5 minutes de pause derrière un ordinateur ». Éloïse décrit quant à elle des journées « de 6h ou 8h de cours en visio. Et le soir, on recommence pour travailler sur nos projets de groupe ». Et ce sans compter le lot de difficultés qu’apporte l’enseignement à distance : problèmes de connexion, serveurs saturés ou autres bugs informatiques.

Les témoignages se suivent et se ressemblent : des plateformes qui saturent en plein examen en raison d’un nombre d’élèves important sur la même session, des cours en ligne difficiles à suivre, des mails qui restent sans réponse… C’est la boule au ventre que certains étudiants allument leurs ordinateurs chaque jour. « Je suis très angoissée à l’idée de ne pas pouvoir suivre les cours correctement », confie Laura.

« Ma formation m’intéresse beaucoup mais j’ai l’impression de ne pas retenir tout ce que j’en retiens en temps normal », s’inquiète Éloïse. « Les enseignants ne sont pas préparés, ils n’ont pas la connaissance du logiciel, ils font ça sur leur ordinateur avec des écouteurs filaires où on n’entend rien mais on essaie de lire sur les lèvres », ajoute Romain.

« On a l’impression de ne pas compter aux yeux du gouvernement »

Alors que certains étudiants évoquaient le besoin de retourner sur les bancs de la faculté et réclamaient un retour des enseignements à 50% en présentiel, la ministre de l’Enseignement Supérieur, Frédérique Vidal, avait tout d'abord balayé cette possibilité d’un revers de main dans les colonnes du Monde, le 11 janvier dernier : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria ». Avant d'annoncer trois jours plus tard la reprise des travaux dirigés (TD) pour les étudiants de 1ère année.

Suite aux propos de la ministre, le hashtag #etudiantsfantomes a vu le jour sur Twitter pour dénoncer l’absence des étudiants dans les préoccupations gouvernementales, « le mépris du gouvernement » et « l’impression de ne pas compter ».

Syndicats et étudiants réclament des mesures concrètes d’urgence. « Ce sont des problématiques mises en lumière par la crise mais qui existent déjà en temps normal et qui montrent que c’est un problème structurel. Il faut des mesures durables, il faut donner des moyens aux universités », explique Madeleine, du syndicat Gaelis. « La réouverture des universités ne soignera pas les maux de tous les étudiants tant qu’on n’aura pas un investissement dans la jeunesse, et notamment la jeunesse étudiante », conclut Mathias. Contacté, le Rectorat de l’Académie de Lyon n’a pas répondu à nos demandes.

* Les prénoms ont été modifiés.

Crédits photo de Une : David / Flickr - CC.

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