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« La tête haute » : Postiers grévistes des Hauts-de-Seine, le récit d’une lutte victorieuse

Par Tania Kaddour-Sekiou

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Entre actions coup de poing, occupations et assemblées générales, les postiers grévistes des Hauts-de-Seine ont conclu, après quinze mois de grève, un protocole de fin de conflit avec la direction de La Poste. Retour sur une mobilisation historique.

Le rendez-vous est fixé. « Demain, 8h30, nous serons à Duroc  », écrit Gaël Quirante. C’est là, à quelques mètres de la station de métro, dans le 6ème arrondissement de Paris, que se situe le siège social de La Banque Postale. Ce 13 juin, malgré leurs visages cernés, les postiers mobilisés semblent déterminés. Après 15 mois de grève, 15 mois de lutte acharnée, 15 mois sans salaire, les grévistes n’en sont pas à leur coup d’essai.

À la vue des postiers, la sécurité bloque immédiatement l’entrée du siège. Grévistes ou employés, personne ne rentre. La tension monte. « Ils ferment parce que s’ils ouvrent vous entrez ! Alors dégagez !  », lâche un employé visiblement agacé. « Parle avec la direction, c’est eux qui ferment la porte !  », rétorque Gaël Quirante, représentant syndical de SUD Poste Hauts-de-Seine, l’un des visages de la mobilisation. Les postiers ne cèdent pas. « Ça leur coûte plus cher de ne pas faire travailler des employés de La Banque Postale pendant plusieurs heures, plutôt que d’accepter qu’il y ait une négociation avec les grévistes  », ironise le syndicaliste. Mais la ténacité paie : le 1er juillet 2019, La Poste accepte enfin de signer le protocole de fin de conflit.

463 jours de grève

Tout commence le 24 mars 2018, avec le licenciement de Gaël Quirante, accusé d’avoir séquestré des cadres de La Poste lors d’un mouvement de grève en 2010. Une mesure personnellement validée par la ministre du Travail Muriel Pénicaud, malgré l’avis contraire de l’Inspection du Travail. « Muriel Pénicaud a donné son autorisation contre l’avis de ses propres services !  », renchérit Gaël Quirante. C’est en soutien au postier et pour réclamer de meilleures conditions de travail que plus de 100 employés se sont mis en grève, le 26 mars 2018.

Pour justifier les baisses d’effectifs et de l’activité, La Poste évoque alors une baisse du trafic. « La Poste parlait du sauvetage de l’entreprise. En réalité, c’était une manière de renflouer la bourse de nos patrons  », soutient Roselyne, l’une des postières grévistes de Neuilly-sur-Seine. De son côté, La Poste évoque « un conflit social minoritaire, [avec] 90 à 110 postiers grévistes [qui] se sont mobilisés sur les 2253 postiers que compte la direction Services-Courrier-Colis des Hauts-de-Seine, soit moins de 5%  ». « L’entreprise a été condamnée 23 fois pour défaut d’information sur la charge de travail  », s’insurge Gaël Quirante. « Ils sont incapables de faire la transparence sur la façon dont ils quantifient la charge de travail aujourd’hui  », poursuit-il. Les postiers mobilisés réclamaient également le report des restructurations, l’arrêt des suppressions d’emploi et la titularisation des intérimaires. Le 1er juillet 2019, l’entreprise cède enfin sur plusieurs points.

Une victoire pour les grévistes. « Aujourd’hui, la restructuration d’un établissement comme Asnières est reportée à Janvier 2021. Il n’a pas été réorganisé depuis 2010. La moyenne de restructuration sur l’ensemble du territoire est de deux ans. Sur notre département, elle est de 7 à 8 ans  », se félicite Gaël Quirante. La Poste, quant à elle, explique que « la direction du courrier des Hauts-de-Seine avait proposé un protocole dès le 11 juin  » et que « la signature du protocole de fin de conflit est intervenue après 43 audiences de négociations, 15 versions de protocole et 3 séances de relecture, témoignant d’un dialogue social ininterrompu  ».

« Quand un gréviste ne pouvait pas recevoir ses enfants car son frigo était vide, il y avait toujours un collègue pour l’aider »

Une caisse de grève « pour payer le loyer  », une cagnotte, des dons : les postiers et leurs soutiens ont redoublé d’efforts pour permettre aux grévistes de poursuivre le combat. Originaires d’Asnières, de Levallois, de Neuilly, de Boulogne ou encore de Gennevilliers, « ce sont des gens qui se sont unis pour défendre une cause commune : l’intérêt de ceux et celles qui travaillent  », explique Gaël Quirante. Les profils sont divers : hommes, femmes, pères et mères avec des enfants à charge, intérimaires ou fonctionnaires, à l’image de Roselyne, factrice à Neuilly depuis 33 ans. « J’ai vu la fonction se dégrader de manière incroyable depuis 15 ans et en vitesse accélérée depuis 5 ans. Avec derrière, toujours cette course au profit  », explique-t-elle.

Pour la postière, la force du mouvement réside dans le fait d’« avoir réussi à créer un formidable réseau de soutiens financiers, moraux, des personnes qui se rendent compte qu’il y a des injustices et qui luttent  ». « Aucun salaire pendant 15 mois... Tout le monde a eu des petits ennuis, on a tous négocié auprès de nos banques  », ajoute-t-elle. Pendant 15 mois, malgré la volonté de La Poste de casser la grève et le risque de sanctions disciplinaires, les postiers grévistes sont restés soudés. En tant que responsable syndical, Gaël Quirante était une cible privilégiée de la direction de La Poste. « En coupant une individualité, ils pensaient casser un mouvement  », explique le militant, qui liste notamment « les convocations par des huissiers, par la police, les gardes-à-vue, les vigiles ou encore les brimades de la direction  ».

Même son de cloche pour Roselyne : « ils jouaient sur l’usure  ». « Ils ont essayé de nous éradiquer  », ajoute-t-elle. Le principal avantage de l’entreprise ? « L’argent. Qui dit argent, dit temps  », explique Roselyne. Il aura fallu près de 15 mois pour que La Poste cède sur les revendications des grévistes. Pourtant, selon le premier opérateur français de services postaux, « ni la distribution à destination des entreprises, ni la collecte des boîtes aux lettres n’ont été affectées par le mouvement social. Il ne concernait que certains postiers en charge de la distribution du courrier et non ceux travaillant en bureau de poste  ».

Un appel à la convergence des luttes

« Le seul moyen de se rebeller, c’est de lutter  », tonne Roselyne. « Si on veut aujourd’hui enrayer la machine qui est celle de ce gouvernement au service des Bettencourt, des Total et des Arnaud, il n’y a qu’une possibilité : se mettre en grève, bloquer l’économie, faire converger nos assemblées générales, nos grèves et nos colères pour qu’enfin ceux d’en bas soient ceux qui dirigent ce monde  », insiste Gaël Quirante. Roselyne cite en exemple la lutte des travailleurs sans-papiers de Chronopost à Alfortville, qui réclament depuis le 11 juin dernier leur régularisation et leur titularisation.

Vendus à la volée dans les manifs, les calendriers des grévistes de la Poste 02 servaient à alimenter les caisses de grève. Crédits : Patrick Janicek / Flickr - CC.

« Il faut utiliser l’arme de la grève, et ne jamais baisser les bras  », persiste Gaël Quirante. « La tête haute  », les postiers grévistes ont repris le travail au matin du 4 juillet, et retrouvé leurs habitudes, leurs outils de travail, leurs collègues, leur vélo et leur casier, sans tout à fait baisser la garde. « On reste vigilant sur les conditions de reprise. Mais pour l’instant, le rapport de force est clairement en notre faveur  », conclut Gaël Quirante.

« Ils ont quand même essayé de revenir à la charge sur des choses sur lesquelles on s’est battu  », alerte Roselyne, qui évoque notamment le service « Veiller sur mes parents  », une nouvelle prestation de La Poste qui propose – en échange de 19,90€ mensuels, au minimum - des visites du facteur pour garder contact avec des personnes isolées. « C’est une marchandisation du lien social !  », s’insurge Roselyne. « Le facteur l’a toujours fait de manière humaine et gratuite !  », renchérit-elle. Après quinze mois d’une grève victorieuse, la détermination de la postière est pourtant intacte : « Si c’était à refaire, je le referais  ».

Crédits photo de Une : Patrick Janicek / Flickr - CC.

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