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Répression et crimes contre les migrants : comment l'Europe finance l'horreur

Par Thomas Dietrich

Il fut haut fonctionnaire avant de se saborder. Aujourd'hui journaliste et écrivain, il raconte les malheurs de la Françafrique et porte la voix de ceux qui la combattent.

A Melilla le 25 juin, au moins 23 exilés sont décédés en tentant de rejoindre cette enclave espagnole en plein Maroc. Un drame migratoire de plus, qui n’a suscité qu’indifférence et condamnations du bout des lèvres. L’Union européenne et la France de Macron portent pourtant la responsabilité de milliers de morts, qui parsèment les routes africaines de l’exil. Le vieux continent n’a cessé de militariser et d’externaliser sa politique migratoire, la confiant même à des milices accusées de crimes contre l’humanité. Une réalité qui passe sous les radars et que décrypte dans cet éditorial notre journaliste Thomas Dietrich.

L’horreur, puis le silence. Ça se passe toujours comme ça. Au moins 23 exilés sont morts le 25 juin dernier en tentant de pénétrer à Melilla, un résidu colonial espagnol planté sur la côte marocaine. Les damnés de la terre ont tenté d’escalader les trois clôtures les séparant du territoire espagnol. Les canons à eaux et les obstacles anti-grimpes financées par l’Union Européenne les ont obligés à lâcher prise. La police espagnole a tiré des gaz lacrymogènes sur les désespérés accrochés au grillage comme aux bras d’une mère, les corps sont retombés lourdement six mètres plus bas. Ces gamins originaires d’Afrique de l’Ouest ont agonisé dans leur sang. Pour les migrants qui ont eu la chance de survivre, la police marocaine les a récupérés au point de chute, et les a embarqués à grands coups de matraque. Direction non pas l’hôpital mais le tribunal. Il faut dire que l’Union européenne paye grassement les autorités marocaines pour faire le sale boulot ; depuis 2007, l’argent du contribuable européen a financé la répression du royaume chérifien sur les migrants, à hauteur de 270 millions d’euros

De l'autre côté du détroit de Gibraltar, les autorités espagnoles se sont empressées de monter au front médiatique. Mais pas comme on l’aurait espéré. Judas devait être socialiste, car décidément, les héritiers de Jaurès montrent un sacré talent pour trahir leurs valeurs. Après Manuel Valls qui fit renvoyer Léonarda au Kosovo, c’est au tour du premier ministre ibère Pedro Sanchez de montrer toute son inhumanité avec les exilés. Leur arrivée dans les enclaves espagnoles au Maroc serait une « attaque contre l’intégrité territoriale du pays », un assaut « organisé de la part de mafias qui se livrent au trafic d'êtres humains contre une ville qui est un territoire espagnol ». Pas un mot pour les victimes. Pire : des mots pour déshumaniser les exilés, les faire passer pour des envahisseurs et des barbares, et ainsi justifier leur mort au bas des clôtures de Mellila, qui ira pleurer sur ces Attila des temps modernes, sur ces Hommes qu’on ne présente même plus comme des Hommes ? Roussan Camille écrivait un soir d’escale au Maroc, on était en 1940 et le poète haïtien était lui aussi un migrant, il fuyait la peste brune qui contaminait l’Europe, « le soir coulait du sang, par la fenêtre étroite ». La fenêtre est désormais complétement fermée et nous ne regardons plus au dehors. 

Répression et crimes contre les migrants : comment l'Europe finance l'horreur
Frontière hermétiquement fermée entre le Maroc et l'enclave espagnole de Melilla (FADEL SENNA / AFP)

Dans nos démocraties occidentales, les déclarations de Pedro Sanchez ont été accueillies sans la moindre émotion. Rares sont les belles âmes qui se préoccupent du sort des exilés. Cédric Herrou et SOS Méditerranée semblent passés de mode. Il faut dire que c’est lassant, que ça fait des siècles que des gauchistes s’indignent sans que les choses ne changent vraiment, déjà à l’époque du commerce triangulaire, l’abbé Grégoire et quelques philosophes des Lumières avaient fondé la « Société des amis des noirs ». Mais les grands sentiments ne rencontrent jamais de grand succès. La bataille de l’opinion est toujours remportée par le camp des Sepulveda, des Gobineau et des Zemmour, de ces prophètes de malheur qui de génération en génération se sont transmis le flambeau de la haine, avec pour devise « faible avec les forts et forts avec les faibles », il est tellement plus aisé d’accuser les exilés plutôt que Bolloré. 

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Fadel Senna / AFP

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