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Les sans-fac en croisade contre Parcoursup

Par Cemil Şanlı

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Malgré l'interdiction par la préfecture de police de Paris de leur conférence de presse prévue face au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, les étudiants sont plus déterminés que jamais à mener la lutte contre la sélection à l’Université. Alors que Parcoursup donnait ses premiers résultats de 2022 ce jeudi soir, ils et elles préparent une coordination pour une mobilisation nationale à la rentrée.

Toutes et tous se réjouissaient de profiter du soleil de ce début du mois de juin parisien. Tables, chaises, affiches, tracts et banderoles, mais aussi smartphones prêts à capter et diffuser les prises de paroles en direct sur le web : tout était prêt pour investir la placette Jacqueline De Romilly et y tenir une conférence de presse face au Ministère dans le très chic 5e arrondissement de Paris. Mais la Préfecture de police a dit non. Le prétexte ? Un changement récent dans le calcul du délai de préavis. 

La nouvelle ministre Sylvie Retailleau a donc pu être rassurée, la colère des étudiants ne s’exprimerait pas cette fois sous ses fenêtres, mais dans une petite salle isolée à l’étage du bâtiment du CICP, le Centre International de Culture Populaire, dans le 11e arrondissement. Loin du ministère… et sans écho médiatique potentiellement fort. Aucun média mainstream n’a fait le déplacement rue Voltaire (seuls QG et Le Média étaient présents) pour écouter la petite vingtaine d’étudiants venus exprimer leurs revendications. Mais leur détermination est restée intacte.

Etaient présents des militants et représentants de l’UNEF Nanterre, mais aussi Grenoble, Le Mans, Lyon et Lille, ainsi que du Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier, et deux étudiantes du Comité de mobilisation de l’université Saint-Charles d’Aix-Marseille. Toutes et tous appellent à une rencontre intersyndicale courant juillet pour organiser une coordination nationale des campagnes et des mobilisations de sans-facs « contre la sélection à l’université et pour l’inscription de toutes et tous dans la fac et la filière de son choix ».

Les sans-fac en croisade contre Parcoursup
Photo Cemil Sanli.

Fatima est « sans-fac » bien qu’elle ait validé sa licence à l’université Paris-Nanterre, ce qui devrait normalement lui ouvrir le droit de poursuivre ses études supérieures. « C’est dans la loi ! Quand on valide son baccalauréat, on a le droit d’être admis à l’université ; quand on valide sa licence, on a le droit d’accéder à un master », rappelle-t-elle avec colère. « Ça fait 7 mois qu’on occupe des locaux à l’université pour protester et juste faire appliquer nos droits ! »

Face au mouvement, le président de l’université Paris-Nanterre, Philippe Gervais-Lambony, invoque le manque de moyens. Il justifie ainsi la logique de sélection inégalitaire mise en place par une réforme d’Emmanuel Macron au début de son premier quinquennat, la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants), qui a provoqué en 2018 des mouvements de blocages des facs réprimés un peu partout en France.

« Si une université n’a pas les moyens, elle ne dépense pas plus de 500 000 euros en vigiles privés pour nous réprimer ! » poursuit Fatima en se référant au déploiement d’agents de sécurité sur le campus de Paris-Nanterre utilisé ces derniers mois contre les étudiants, souvent documenté par des vidéos sur les réseaux sociaux. « On n’est pas que des dossiers, pas des numéros, on est des êtres humains, des étudiants qui se lèvent chaque matin pour aller étudier. (...) et là on nous dit : ‘Stop, vous avez assez étudié ?’ Non, on veut continuer nos études et on va se battre ! » Applaudissements nourris.

Les sans-fac en croisade contre Parcoursup
Photo Cemil Sanli.

Quelques minutes plus tôt, le président de la section syndicale UNEF de Paris-Nanterre, Victor Mendez, a ouvert la conférence de presse en rappelant l'explosion démographique à laquelle les universités se trouvent confrontées. Comme les moyens ne suivent pas, le résultat est une baisse de 12 % des dépenses par étudiant étudiant depuis 2008. 

Si la conférence de presse est organisée aujourd'hui, c’est parce que les premiers résultats de Parcoursup doivent tomber à 19 heures. L’année dernière, rappelle Victor Mendez, le système a laissé sur le carreau plus d’un quart des 931 000 candidats. Qu'en sera-t-il cette année ?... « Les premières victimes sont les jeunes issus des classes sociales les plus précaires », souligne le syndicaliste.

L’arrivée de Sylvie Retailleau au Ministère de l’Enseignement Supérieur ne rassure personne . « Elle représente la continuité, voire le durcissement des attaques qu’on a connues à l’université » dénonce Anaïs, militante à l’UNEF Lille. La nouvelle ministre était précédemment présidente de l’université de Paris-Saclay, où sont déjà appliquées nombre de mesures qui creusent les inégalités sociales. « C’est une ministre totalement intégrée au projet de libéralisation de l’enseignement supérieur et de la recherche » poursuit Anaïs, qui rappelle les propos d’Emmanuel Macron le 13 janvier dernier, alors que le gouvernement avait déjà imposé une hausse massive des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extracommunautaires : « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants ».

Les sans-fac en croisade contre Parcoursup
Photo Cemil Sanli

Matéo et Lucie, représentants du SCUM (Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier), concluent les prises de parole après Carla, présente en visio depuis Aix-Marseille. Tous les trois soulignent l’importance des luttes de sans-facs sur le terrain.  Et appellent à la mobilisation d'une coordination nationale pour instaurer un rapport de force à la rentrée de septembre et obtenir l'inscription de tous les candidats dans la fac et la filière de leur choix. Avant, à terme, de faire « abroger Parcoursup », ajoute Victor Mendez.

Les prochaines législatives pourraient-elles être un levier ?  « On n'a pas vocation à donner de consignes de vote, me répond Victor (...) Evidemment on appelle à ne pas voter pour l’extrême-droite ni pour nos ennemis macronistes ou du reste de la droite ». « Les élections législatives et présidentielles, en règle générale, nous, au SCUM, ça ne nous intéresse pas », ajoute Matéo. Pour lui, le rôle des syndicats étudiants est de défendre leurs intérêts essentiellement en « construisant un mouvement de lutte dans la rue au-delà des étiquettes politiques ».

Pour finir, c’est un militant proche des Gilets Jaunes parisiens qui prend la parole pour inviter à la convergence des luttes, en l’occurrence à la participation des syndicats étudiants aux manifestations les samedis. « La sélection, c’est de la discrimination ! » lance-t-il. « Tant qu’on ne fera pas masse devant le gouvernement, il ne va pas plier. Et on peut le faire plier. Donc rejoignez-nous les samedis. (...) Nous sommes prêts à vous apporter notre soutien, apportez-nous le vôtre (...). Quitte à faire des déclarations de manifestation communes avec nous à la préfecture ».

Réponse de Victor Mendez : « La convergence est très importante. D’autant plus que ce sont les enfants d’ouvriers, de chômeurs, de privés d’emploi qui se retrouvent sans-facs en premier. (...) On a bien noté l’invitation pour avancer ensemble. Et on est d'accord aussi sur la nécessité de construire un grand mouvement social ». 

L’histoire ne dit pas si les oreilles du Préfet Lallement ont sifflé, mais il devrait avoir prochainement des nouvelles de jeunes étudiants en colère, vêtus ou non de gilets fluos. ●

Les sans-fac en croisade contre Parcoursup
Photo Cemil Sanli

Photo Cemil Sanli

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