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Haro libéral sur le logement social

Par Romain Mahdoud

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1,7 milliards d'euros de budget en moins en 2018, 4 milliards d'euros d'économies sur les APL à partir de 2020 : le logement est l’un des grands perdants du quinquennat et les bailleurs sociaux sont dans le viseur du gouvernement. Premières victimes : les 1500 quartiers dits « politique de la ville », qui concentrent un tiers du parc HLM français.

5 novembre 2018. Deux immeubles s'effondrent à Marseille, dans le quartier populaire de Noailles. Huit personnes perdent la vie. La cité phocéenne est en état de choc. Les Marseillais en colère se mobilisent pour protester contre la dégradation des logements de la ville. Comme à chaque catastrophe, les associations tirent la sonnette d'alarme. Mais les représentants politiques font la sourde oreille ; ou pire, décident de tailler dans des budgets déjà malmenés. Si les drames liés à l'insalubrité locative sont jusqu’à aujourd’hui concentrés dans le parc privé, les orientations budgétaires du gouvernement ouvrent la voie à une dégradation croissante de l'état des logements sociaux français.

La loi ELAN, vernis de la politique antisociale du gouvernement

Dès son arrivée aux responsabilités, Emmanuel Macron assume une politique d'austérité. A l'été 2017, le couperet tombe : les aides au logement sont rabotées de 5 euros, pour une économie totale d’1,7 milliards d'euros. C'est le premier tollé social du quinquennat. Peu après, le projet de loi de finances 2018 entérine la démarche austéritaire du gouvernement en prévoyant trois milliards d'économies sur la politique du logement d'ici 2020. Un an plus tard, en novembre 2018, après des débats houleux avec l'opposition et les associations de défense du secteur, la loi ELAN ( Evolution pour le logement et l'aménagement du numérique ) est promulguée.

Pour plusieurs observateurs, elle n’est que le cache-misère de la politique antisociale du gouvernement en matière d'habitat. Pierre Madec, économiste à l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques), insiste sur le lien entre le projet de loi de finances 2018 et la loi ELAN, « arrivée pour habiller les coupes budgétaires  ». Même son de cloche pour Jean-Claude Driant, professeur à l'école d'urbanisme de Paris (EUP) et spécialiste de l'habitat, qui considère que le gouvernement a voulu « emballer tout cela dans une stratégie logement pour afficher politiquement qu'il ne voulait pas simplement faire des économies  ».

La marchandisation du logement social français

Pour tenir ses objectifs, le gouvernement s'attaque aux acteurs les plus vulnérables de la politique du logement : les bailleurs sociaux. Et par ricochet, aux locataires les plus pauvres. La baisse du loyer de solidarité concomitante à la réduction des aides au logement pèse avant tout sur eux, d'après Pierre Madec : « Le loyer de sortie hors-APL va dépendre de votre revenu. Si vous êtes bailleur social, vous allez proposer un loyer plus faible sans que les APL ne viennent compenser le manque à gagner  ». Les bailleurs sociaux sortent donc très affaiblis de cette affaire, et notamment les Offices publics de l'Habitat (OPH), qui sont les seuls pourvoyeurs de logements sociaux encore intéressés par les notions d’intérêt général et de proximité.

A l'inverse, le fonctionnement des entreprises sociales de l'habitat se rapproche de celui des entreprises classiques. Pour Stéphane Peu, député PCF de Seine-Saint-Denis et ancien membre du Conseil National de l'Habitat (CNH), « c'est la porte ouverte à des politiques orientées par les profits au détriment des locataires  ». L'investissement locatif social est largement touché par la réduction du loyer de solidarité, qui ampute les bailleurs des deux tiers de leur autofinancement. Les masques tombent et l'hypocrisie gouvernementale se dévoile : comment prôner à la fois la lutte contre l'habitat indigne et freiner la construction de logements sociaux ?

C’est bien sur le désengagement public que prospèrent les marchands de sommeil. Pierre Madec abonde : « Aujourd'hui, on n'est pas capable de construire du logement moins cher que le prix du marché sans subventions publiques  ». Dès lors, impossible de relancer les constructions avec de telles orientations. L’État incite donc les bailleurs sociaux à vendre leurs logements à des acteurs privés. S’ils peinent à en vendre 8000 chaque année, la loi ELAN rehausse les objectifs à 40000 ventes par an. Mais vendre à qui ? Certainement pas aux locataires des logements sociaux, « qui sont pour la plupart incapables d'acheter  », explique l'économiste. La loi ouvre l'achat de ces logements à des investisseurs privés, qui peuvent désormais revendre ces logements à la découpe, sans perspective d'intérêt général ou de mixité sociale.

Les foyers pauvres en première ligne

Les ménages les plus démunis seront les premiers inquiétés par les conséquences de ces mesures d'austérité budgétaire. Stéphane Peu considère qu'elles vont « surtout limiter la production de logements abordables  ». Les bailleurs sociaux auront intérêt à louer des logements à des loyers plus élevés pour compenser leurs pertes. Le député PCF va même plus loin, en accusant le gouvernement de favoriser « le terreau de la propagation de l'insalubrité  ».

Pierre Madec abonde : « Les premières victimes, une fois de plus, c'est les ménages les plus pauvres. Parce que vous fragilisez un système et un modèle qui permettaient de les loger, et dans de bonnes conditions, mais vous ne donnez pas de moyens supplémentaires  ». Entre villes populaires et villes plus aisées, la ségrégation sociale risque de s'accentuer : « On aura des villes qui auront de moins en moins de logements sociaux et d'autres qui en auront beaucoup mais avec une partie transformée en co-propriétés dégradées  », s’inquiète Stéphane Peu.

La politique du logement menée par le gouvernement présente même un danger potentiel pour les locataires. Pour Pierre Madec, « si vous êtes un bailleur social fragile, que vous avez été très impacté par ces mesures, il faudra peut-être aller plus loin. Cela peut se traduire par moins d'entretien et une dégradation des conditions de logement d'un certain nombre de ménages  ». Avec moins de moyens financiers, difficile en effet pour les bailleurs sociaux de pallier les défaillances diverses de logements trop souvent construits à la hâte. La multiplication des incendies dans le parc locatif français devrait pourtant alerter les pouvoirs publics, pour éviter que les drames liés à l'habitat indigne n'arrivent aux portes des logements sociaux.

Crédits photo de Une : Guillaume Lemoine / Flickr - CC.

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