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Harcèlement, homophobie : les SMS qui accusent Pierre Ménès

Assistant personnel du journaliste de Canal + pendant un an, Emmanuel Trumer a publiquement accusé de harcèlement moral l’animateur Pierre Ménès, également mis en cause pour des agressions sexuelles révélées à l’occasion de la diffusion du documentaire « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste » de Marie Portolano. Pour Le Média, le jeune journaliste revient sur les humiliations, les insultes homophobes (preuves à l’appui) et les intimidations qui ont fait son quotidien, pour lesquelles il a porté plainte.

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« Sa grande idée, ça a été, tous les jours, de m’appeler “mon petit assistant pédé”. » Pendant un an, le journaliste Emmanuel Trumer a été l’assistant de l’animateur Pierre Ménès pour l’émission 19h30 PM, un talk-show diffusé sur Canal + Sport jusqu’à l’été 2018. Un an d’humiliations – souvent homophobes –, de harcèlement moral, puis de menaces après son départ, explique ce travailleur de 29 ans. Il a déposé plainte avec constitution de partie civile en mai 2020 (une première plainte simple avait été classée sans suite en octobre 2020).

Depuis peu, il n’est plus le seul à dénoncer le comportement toxique de la star de Canal +. En mars dernier, le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, de l’ancienne journaliste de la chaîne Marie Portolano, dévoilait les témoignages de femmes journalistes sportives pour la télévision, qui ont subi des remarques sexistes à répétition sur leur lieu de travail. Des scènes censurées par Canal +, publiées par Les Jours, révélaient que Pierre Ménès avait agressé sexuellement la réalisatrice en soulevant sa jupe en plein tournage et en lui agrippant les fesses. Le documentaire avait été unanimement salué dans la presse et sur les réseaux sociaux. 

« Depuis le documentaire de Marie Portolano, des gens ont enfin ouvert les yeux et ont compris », constate Emmanuel Trumer. L’ancien assistant, qui a porté plainte contre Pierre Ménès pour harcèlement moral, est toujours en attente d’une date de procès et d’une réponse judiciaire à son cri d’alerte, lancé il y a plus de deux ans.

« Ils ne parlent que de Pierre et moi, ils disent qu’on dort ensemble, qu’on est en couple »

Tout commence en 2017. Jeune diplômé en journaliste sportif, Emmanuel Trumer sait ce qu’il veut faire de sa vie : sa grande passion, depuis toujours, c’est le foot. C’est le domaine qu’il veut couvrir, soit en radio, soit en presse écrite. Mais c’est finalement à la télé qu’il décroche son premier boulot, après deux stages à RMC et à France Football.

À l’époque, Pierre Ménès prépare une émission pour Canal + Sport, intitulée 19h30 PM, qu’il doit co-animer avec Virginie Ramel. Il cherche en parallèle un job pour son fils. Ménès demande alors à son agent, qui n’est autre que le père d’Emmanuel Trumer, de l’embaucher. « Mon père a dit : “Ok, mais prends Emmanuel pour l’émission.” Donc Ménès m’a contacté et m’a demandé si je voulais travailler avec lui. Il m’a dit que je pourrais l’aider à préparer l’émission, à préparer ses chroniques, etc.” »

Emmanuel débute alors son premier contrat, un CDD d’un an à Canal +. Il n’en revient pas : quelques mois à peine après sa sortie d’école, il travaille sur l’une des chaînes les plus regardées de France, pour laquelle il couvre le football, son domaine de prédilection. « Son idole, c’était Pierre Ménès », confie son avocat, Maître Didier Seban. Avec 3000 euros mensuels bruts, il bénéficie par ailleurs d’un salaire confortable pour un débutant.

Tous les jours, il travaille aux côtés de Pierre Ménès. « On était aux studios à Paris, puis on allait dans les stades, en avant-match, pour faire l’émission directement de la pelouse. Je lui préparais ce qu’il devait dire, les trucs importants sur les joueurs, par exemple. » Mais la magie ne dure qu’un temps. Environ deux mois après le début de son contrat, le fils de Pierre Ménès démissionne de son job auprès du père d’Emmanuel.

Là, les collègues d’Emmanuel commencent à changer de comportement à son égard. Les blagues graveleuses et homophobes fusent : « Ils ne parlent que de Pierre et moi, ils disent qu’on dort ensemble, qu’on est en couple. » Emmanuel, encore naïf, décide d’en parler à son supérieur, qui balaie ses reproches d’un revers de main. « Il me dit : “Tu sais, mon fils aussi, c’était très dur pour lui.” » Aujourd’hui, Emmanuel estime que Pierre Ménès n’a pas supporté de continuer à employer le fils de son agent, alors que son propre fils avait démissionné.

Des dizaines d’insultes par SMS

À l’époque des premières remarques, Emmanuel imagine que ces traitements dégradants sont le sort qu’on réserve aux journalistes arrivés par piston, et tente de passer outre. Mais quelques jours plus tard, il est convaincu que c’est Pierre Ménès lui-même qui a orchestré cette humiliation collective. La star de Canal trouve même à Emmanuel un nouveau surnom, « son petit assistant pédé ». Emmanuel n’est pas homosexuel, mais la logique homophobe est la même : il est frêle, sensible, jeune. Son avocat le définit comme un garçon « fragile ».

Le milieu du foot « a un vrai problème avec ça », estime Emmanuel. « Les gens ne peuvent pas dire qu’ils sont homosexuels – par exemple les journalistes – parce qu’ils ne pourraient plus, après, parler des duels, parler des fautes, des choses comme ça. Pierre Ménès faisait ça pour me carboniser ! »

Toute l’année, Emmanuel reçoit des textos insultants de son supérieur, parfois accompagnés de photos prises à son insu. « Il mettait plein de smileys mort de rire, “t’es moche”, “t’es un pédé”… Tout le temps, tout le temps, tout le temps. Et quand je l’ai confronté, il m’a dit “va pleurer dans les jupes de ta mère”. » Le Média a pu consulter plusieurs pages de SMS insultants ou intimidants adressées par l’animateur au journaliste. Des messages auxquels Emmanuel Trumer répondait, visiblement gêné et souvent par emojis, un mécanisme fréquent chez les personnes sous emprise.

Harcèlement, homophobie : la face cachée de Pierre Ménès
SMS envoyés par Pierre Ménès à Emmanuel Trumer.

Puis les humiliations dépassent le cadre du bureau : d’après Emmanuel Trumer, Pierre Ménès se met à l'insulter devant les joueurs, les entraîneurs et les présidents de clubs. « Dès qu’on allait rencontrer quelqu’un, c’était “Ah tiens, je te présente mon petit assistant pédé, il sert à rien mais il est là”. », explique le journaliste, qui tombe en dépression, abattu par les remarques quotidiennes.

Harcèlement, homophobie : la face cachée de Pierre Ménès
SMS envoyé par Pierre Ménès à Emmanuel Trumer.

Il dénonce également un comportement de prédateur envers les femmes, qui fait aujourd’hui écho aux scènes censurées du documentaire de Marie Portolano. « Dès qu’il croisait une femme journaliste, c’était “T’as une tête de salope”, “Toi, t’as l’air d’une bonne salope”, “T’as des chaussures de salope”, “Tu t’habilles comme une salope”. Il ne les voyait que sexuellement », affirme Emmanuel Trumer, qui dénonce également de fréquents propos racistes.

Harcèlement, homophobie : la face cachée de Pierre Ménès
SMS envoyé par Pierre Ménès à Emmanuel Trumer.

Une première plainte classée sans suite

C’est d’ailleurs une insulte raciste de l’animateur qui va révéler publiquement la situation d’Emmanuel. Quelques mois après la fin de son contrat, le jeune journaliste voit un message de Ménès qui le sidère : après l’attentat terroriste de Christchurch, perpétré par un suprémaciste blanc, la star de Canal exprime dans un tweet depuis supprimé sa pensée pour ses « amis musulmans ». Aussitôt, Emmanuel commente : « Je lui ai dit que c’était bizarre, parce qu’il les appelait “les bougnoules”. » La machine est lancée : le jeune homme est cyber-harcelé, et Ménès annonce qu’il va attaquer en diffamation. Mais à l’appui de ses accusations, Trumer publie le 24 décembre 2019 un SMS sans équivoque : « On est en route pede […] Virginie t’as vu sur le parking avec ton bougnoule elle est très déçue [sic] », écrit Ménès.

« Pierre Ménès était très soutenu. Même si j’avais montré des textos, il y avait toute sa base qui le soutenait à mort. Ils sont venus sur mon profil. Pendant un moment, ça a été vraiment compliqué. Ils m’envoyaient des messages privés, des menaces, c’étaient des comptes cachés. Même en public, ils essayaient de pourrir mon profil Twitter ! » Emmanuel se décide à porter plainte pour harcèlement moral contre Ménès. Mais ce dernier a blindé sa défense : « Les policiers ont reçu un grand nombre de témoignages lorsqu’ils ont fait leur enquête, qui disent tous “C’est le meilleur des hommes, jamais il n’a humilié personne” », constate Me Didier Seban.

Son client se retrouve seul, sans soutien de la part de ses anciens collègues. « Dans la boîte, le problème, c’est qu’ils ont tous très peur de lui. Ils savent que s’ils disent quelque chose, ça peut retomber sur eux immédiatement », analyse Emmanuel. D’autant que l’influence de Ménès s’étend au-delà de la sphère de Canal et du foot : d’après Emmanuel Trumer, il est l’interlocuteur privilégié de Yannick Bolloré, qui le surnomme « Pierrot ». « Quand j’étais dans sa voiture, Ménès l’avait souvent au téléphone. Et c’était le seul à Canal + qui avait des contacts avec lui. Le seul. Des journalistes de la chaîne appelaient Pierre Ménès pour demander des choses à Bolloré ! » Contacté, l’avocat de Pierre Ménès, Maître Arash Derambarsh, n’a pas souhaité commenter ces accusations.

« Ménès m’a bloqué partout »

En octobre 2020, la première plainte déposée par Emmanuel Trumer est classée sans suite. Mais le journaliste et son avocat déposent une nouvelle plainte avec constitution de partie civile en décembre. Puis, en mars 2021, avec la diffusion du documentaire de Marie Portolano, les agissements de Pierre Ménès sont remis sur le devant de la scène. « Mais même avec tout ce qui est sorti, la juge ne l’a toujours pas mis en examen, elle n’a toujours pas décidé d’un procès. Je ne sais pas ce qui leur manque, je ne comprends pas. J’ai 60 pages de messages de “petit pédé” et d’insultes ! Ça va faire deux ans en septembre que mon avocat a pris ma plainte [la première, NDLR], et il n’y a toujours rien », désespère Emmanuel.

L’audience pour la plainte en diffamation déposée par Pierre Ménès, elle, est fixée à juin 2022. En attendant, la vie d’Emmanuel est sur pause. Avant un éventuel verdict, impossible pour lui de retrouver du travail dans le journalisme sportif. « Ménès m’a bloqué de partout. Je me suis rendu compte qu’il avait réussi son coup : je ne pouvais bosser nulle part. » Son propre père, agent de Ménès, a coupé les ponts avec Emmanuel. « Pire : il a pris parti pour Ménès ! Il lui aurait dit que j’étais homosexuel, donc selon lui, il avait le droit de m’appeler comme ça. »

Le jeune homme n’est pas vraiment optimiste. « Les journalistes ont vu ce qui m’arrivait, donc quelque part, je peux comprendre qu’ils ne me soutiennent pas. Mais si la justice ne condamne pas, personne ne peut le faire et personne ne le fera ! Canal+ ne le fera pas parce qu’ils ont besoin de Ménès. Et les journalistes qui travaillent pour lui continueront à ne rien dire. Il n’y a qu’une condamnation qui puisse faire changer les choses ».

Contacté par Le Média, l’avocat de Pierre Ménès, Maître Arash Derambarsh, n’a pas souhaité répondre à nos multiples questions et commenter les accusations portées par Emmanuel Trumer. Il a toutefois précisé qu’à l’issue « de [l’]enquête d’une durée de plus d’une année ordonnée suite à la première plainte de Monsieur Trumer, le parquet a classé sans suite le dossier le 26/10/2020 en considérant que les faits apparaissaient insuffisamment caractérisés ». Concernant la seconde procédure, il considère que « la juge d’instruction rendra forcément une ordonnance de non-lieu au regard de la longue et complète enquête qui a déjà été menée et qui a conclu par un classement sans suite ». Il rappelle enfin que son client a déposé deux plaintes, l’une pour « diffamation publique », la seconde pour « dénonciation calomnieuse ».

Crédits photo de Une : Patrick Hertzog / AFP

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