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Assigné à résistance - Regarder le cauchemar droit dans les yeux

Par Denis Robert

Vous pouvez retrouver tous les contenus de Denis Robert en consultant sa page.

Du Doliprane, un médecin marseillais, des hôpitaux lorrains, des drones, une alerte prémonitoire de la CIA : le deuxième épisode du carnet de bord de Denis Robert, confiné près de Metz.

On entame ici le dixième jour de confinement. Pas de gros bobo dans la capsule, juste une petite poussée de fièvre à 38’2. J’ai appelé le 15 et un médecin de garde m’a conseillé de prendre du Doliprane (et surtout pas d’aspirine). Je me suis exécuté et quelques heures après, ma fièvre est retombée à 36’5.

Sauf qu’elle est revenue deux jours plus tard et qu’entre temps un ami médecin m’avait conseillé de ne surtout rien prendre : « La fièvre est un allié naturel, c’est elle et ton corps qui combattent le virus. La prise de Doliprane pourrait aggraver l’infection ». Dans la foulée, j’ai reçu un mail de Xavier Bazin, un journaliste scientifique adepte des médecines douces qui écrit : « Faire baisser la fièvre artificiellement, par un médicament, est dangereux. C’est presque toujours une mauvaise idée, quelle que soit l’infection. Mais contre le coronavirus chinois, cela peut avoir des conséquences catastrophiques. Je rappelle que ce virus commence à infecter votre nez et votre gorge. Et si le virus en reste là, vous ne risquez rien ».

Dans mon entourage, trois personnes - un homme et deux femmes d’une quarantaine d’années - développent un Coronavirus et ont des difficultés respiratoires. L’homme et une des femmes ont pris des Doliprane et sont toujours couchés avec les poumons qui brûlent après une semaine de soins. La femme qui s’est abstenue d’en prendre est tirée d’affaire. Trois cas sur des milliers ne pèsent pas grand-chose. Tout est question de feeling. Pas de dogme, ni de légèreté.

C’est comme avec le docteur Didier Raoult et la possibilité de la chloroquine comme remède. Il a testé son médicament sur 24 personnes et le taux de réussite serait de 75%. Après avoir été critiqué par l’académie et ses pairs, il est réhabilité. Et son médicament d’expérimental devient central. Les médecins entendus ces derniers jours sont, pour la plupart, agacés par la place occupée par cette polémique, et craignent que la trop grande publicité faite à cette pilule devenue miracle ne banalise le mal. 

Quand le Professeur Raoult, expert en maladies infectieuses à Marseille, explique que son médicament soigne le coronavirus, on a envie d’applaudir. C’est quand il ajoute que le confinement n’est pas une méthode appropriée pour vaincre le virus et qu’il le range au rang d’une mauvaise grippe que son histoire prend une tournure étrange.

J’ai posté une vidéo sur Facebook où j’indique qu’il faut mieux écouter les chefs de réanimation ou les médecins en Chine que l’expert marseillais. À sa décharge, les vidéos où il banalise le virus remontent à fin février, mais elles circulent et font des dégâts.  

Nous, au milieu de ces torrents d’infos contradictoires, on est un peu perdus.

Ici en Lorraine, les hôpitaux enregistrent un afflux de malades qui viennent d’Alsace. Au moment où j’écris, 50 places de réanimation sont occupés sur 75 possibles. Bientôt, d’autres places se libéreront entre Metz et Thionville. On devrait arriver à 110 lits disponibles. Il est probable que tous ces lits seront occupés avant la fin de la semaine. Des hôpitaux allemands, d’après le Républicain Lorrain, se sont proposés de nous soulager.

On peut remercier les Allemands. Ils s’en sortent mieux que nous. Dans le Monde de lundi, je lis que – grâce à des dépistages en grand nombre - la pandémie est quasi jugulée pour l’instant chez eux. Le taux de létalité est de 0,3% en Allemagne et de 3,6% en France… Pourquoi cette différence ? Selon la Fédération allemande des médecins conventionnés, « 35 000 personnes ont été testées dans la semaine du 2 mars, alors qu’aucun mort n’avait encore été répertorié outre-Rhin, et 100 000 pendant la suivante, lors de laquelle ont été enregistrés les premiers décès ». Et l’article d’expliquer que l’Allemagne « pouvait dépister désormais 160 000 personnes par semaine ». « Depuis le début, nous avons encouragé les médecins à tester les personnes présentant des symptômes, ce qui nous a permis d’intervenir alors que l’épidémie était encore dans une phase peu avancée en Allemagne », explique un médecin.

Cet article du correspondant du Monde Thomas Wieder peut nous mettre en colère. En France, nous sommes capables de dépenser des fortunes en armes et balles de défense pour « juguler les manifestations ». Mais nous ne sommes toujours pas capables de fournir des masques aux soignants pour nous sauver la vie. Ni de fabriquer des kits de test. C’est parce que nous en sommes incapables et que nous n’avons rien prévu que les politiques en charge de cette crise essaient de nous faire croire que les tests ne sont pas une bonne idée.

Notre système de santé, attaqué sous Sarkozy, a été dynamité sous Macron. N’oublions pas que nos personnels soignants – à niveau de vie comparable - sont parmi les moins bien payés du Monde aujourd’hui.

Je sais que l’union sacrée doit se faire en ce moment, mais bon… Comme cette infirmière qui m’a fait parvenir sa vidéo via Facebook et qui garde la mémoire de tout, quand j’entends Emmanuel Macron ou Edouard Philippe verser des larmes de crocodile sur les médecins et les soignants en première ligne, ça me rend nerveux…

Et je ne suis pas le seul. Regardez le témoignage de cet avocat chez Morandini hier matin (je sais, c'est Morandini, mais bon…) :

Concernant les masques, la palme de la mauvaise foi revient une fois de plus à Sibeth Ndiaye face à Jean-Jacques Bourdin : « Les masques ne sont pas nécessaires pour tout le monde. Et vous savez quoi ? Moi, je ne sais pas utiliser un masque. L’utilisation d’un masque, ce sont des gestes techniques précis, sinon on se gratte le nez sous le masque et en fait on a du virus sur les mains, on a une utilisation qui n’est pas bonne et ça peut être même contre-productif », ânonne la porte-parole du gouvernement, qui nous explique donc que nous sommes incapables de nous servir de masques, que ce n’est finalement pas plus mal que le gouvernement n’en ait pas fait fabriqués. Ce qui nous permet d’éviter, si on l’écoute bien, la contamination.

On est chez les fous. On est chez Orwell. Big Brother. 1984 : L’ignorance, c’est le savoir.

Orwell, j’y pense souvent avec ces drones qui nous surveillent et nous disent de rentrer chez nous quand on se promène en forêt ou à la plage. Ou ces vieux qu’on verbalise parce qu’ils n’ont pas « le papier » et font pisser leur chien. La forêt, c’est le dernier endroit qu’il nous reste si on veut méditer seul et tranquille, loin du monde. Évitons les clairières. Cherchons l’ombre…

Cette techno-surveillance peut nous inquiéter. On est en urgence sanitaire. Demain, on sera en urgence terroriste. Ou pré-insurrectionnelle. Après avoir autorisé les fichages, ce gouvernement promeut les drones. Ils sont prêts à l’emploi. Big Brother is watching me. Je ne pensais jamais avoir à écrire cela. Mais je n’ai plus confiance.

Assigné à résistance - Le cauchemar droit dans les yeux

C’est une vidéo, au départ, qui m’a donné envie d’écrire autour de cette contagion au coronavirus et des informations virales qu’elle génère.

Des Chinois sont face à une mer agitée. Au loin, dans le ciel, apparaissent des formes étranges, entre oiseaux préhistoriques et Godzillas perdus dans la brume. Une bande son flippante mélange des cris de baleine et des bruits de turbine. Les Chinois ont tous des smartphones à la main et photographient cette scène d’apocalypse. Elle hypnotise. Ça se passe sur Facebook, le réseau social de Mark Zuckerberg. J’ai essayé de la retrouver pour illustrer ce journal. Mais le réseau l’a effacée.

Elle reviendra.

C’est assurément un fake, inventé par des types talentueux. Sans doute un DJ pour le son, un vidéaste ou un graphiste pour les formes. Cette courte vidéo - une minute environ - expose la folie de notre monde. Elle suscite l’effroi. Pendant quelques secondes, même pour les esprits les plus cartésiens, le mirage peut exister. Ces Chinois qui mitraillent, cette mer houleuse, ces formes étranges. Et puis on raisonne et on revient sur Terre. On regarde par la fenêtre. On réfléchit. Malgré ce soleil, ce silence, ces arbres, ce vent léger qui nous fouette, une voix lointaine nous susurre : « Au fond, pourquoi pas ? ».

Assigné à résistance - Regarder le cauchemar droit dans les yeux

On en est là. Qui aurait pu prédire un cataclysme pareil ? Cette pandémie qui gagne nos poumons et nos cerveaux ? 

Cette fois, ce n’est pas un fake mais un livre sorti en 2009 (chez Robert Laffont) qui tentait d’imaginer le monde de 2025.

Des agents de la CIA y écrivent un scénario qui ressemble à s’y méprendre à celui du Covid-19 : « Une nouvelle maladie respiratoire humaine, virulente et extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une pandémie mondiale », projetaient les experts, qui situaient alors ce déclenchement de l’épidémie en Chine. « Si une maladie pandémique se déclare, ce sera sans doute dans une zone à forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux. Comme il en existe en Chine et dans le Sud-Est asiatique où les populations vivent au contact du bétail ». 

Plus troublant, le rapport insistait sur le fait qu’en « dépit de restrictions limitant les déplacements internationaux, des voyageurs présentant peu ou pas de symptômes pourraient transporter le virus sur les autres continents ». Les auteurs enchaînaient sur le choc économique qui allait secouer la planète. Ils auraient presque pu nous donner les statistiques d’effondrement des bourses. Ils cherchaient pourtant une bonne nouvelle dans cette sombre prospective et avaient fini par la trouver, puisqu’ils indiquaient - en fin d’ouvrage - que, grâce à leurs travaux, l’administration Obama venait de voter d’importants crédits pour créer une unité de recherche et de lutte contre les pandémies.

On aurait pu rêver d’un vaccin… sauf que Donald Trump a supprimé l’unité en 2018.

La vision diabolique d’un agent de la CIA se réalise donc, et le cauchemar renaît avec des taux de mortalité de plus en plus élevés. Et des périodes d’incubation de plus en plus longues. 20 jours, ai-je lu. Nous sommes onze années plus tard, en mars 2020. Le président Emmanuel Macron et son Premier ministre Édouard Philippe viennent d’assigner 66 millions de Français à résidence. Impossible de sortir sauf pour faire un footing et promener son chien - seul, et à moins d’un kilomètre de chez soi. Ou faire des courses masqués dans des supermarchés, en principe aseptisés. 

Le cauchemar prend aussi les traits et les mots d’Agnès Buzyn, l’ancienne ministre de la Santé qui s’est épanchée au lendemain des élections municipales devant les journalistes du Monde. « Je me demande ce que je vais faire de ma vie », dit-elle effondrée, posant lourdement son sac à main Vuitton, comme si c’était une croix trop lourde à porter pour une emmarcheuse de la première heure. Elle ne pleure pas que sur elle et son destin brisé, mais sur nous : « Depuis le début je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting. J’ai vécu cette campagne de manière dissociée » ajoute-t-elle, avant de livrer aux journalistes cet aveu : « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu ». 

Et là, il faut lire la suite en se frottant les yeux. Agnès Buzyn devine ce qui se profile. « Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein ». 

Dès lors, pourquoi tout lâcher pour remplacer Benjamin Griveaux, s’interroge-t-on. « Ni Emmanuel Macron ni Edouard Philippe ne m’ont mis la pression. Mais je recevais des milliers de textos me disant : “Il n’y a que toi…” Je me suis dit que je n’allais pas laisser La République en marche dans la difficulté… Paris est un beau mandat. J’ai appelé moi-même le président pour lui dire que j’y allais », répond Agnès Buzyn.

On ne rêve toujours pas. Si j’y reviens une semaine plus tard, c’est que cet article d’Ariane Chemin ne passe pas. Les confidences d’Agnès Buzyn, Comme Michel Onfray l’écrit, c’est de la haute trahison. 

Des centaines de médecins ont d'ailleurs porté plainte...

Je n’ai pas pris de Doliprane et n’ai plus de fièvre. Mon cerveau fonctionne. Je regarde le cauchemar droit dans les yeux. 

Hier, un ami m’a envoyé ce SMS : « Nous sommes dans cette époque extraordinaire où c'est maintenant que se pose dans les grands médias la question de savoir comment être confiné alors qu'on est un SDF ? Comment disparaître quand on est déjà plus rien, autrement dit. Mais toujours encore de trop pour rester sur place. Vertige de l'Humanité égarée dans les méandres de la logique formelle. C'est l'heure de la fin d'un Monde, il ne faut plus en douter. Il ne peut en surgir que du neuf et du mieux, la chose est assurée… »

SMS, d’après Godart, ça veut dire « Save my soul ».

Allez, salut.

Assigné à résistance - TITRE
Denis Robert, 2014.

PS - Mon "conseil confinement du jour" : La journée a été longue, répétitive et vaguement angoissante. Allongez-vous sur le tapis avec un léger pétard, et écoutez Miles Davis ou Chet Baker…

Illustration de Une : Adrien Colrat - Le Média.

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