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Gilets Noirs contre Elior - "À chaque fois qu'il y aura de l'exploitation, on viendra chercher le patron"

Par Clara Menais

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Les Gilets noirs dépoussièrent la lutte des “sans-pap’” à coups d’action directe et d’initiatives radicales. Ils s’attaquent aujourd’hui au patronat en saisissant les Prud’hommes contre le groupe Elior, géant mondial du nettoyage connu pour ses pratiques abusives.

Jeudi 30 janvier 2020, Conseil de prud’hommes de Paris. Au deuxième étage de ce grand bâtiment vitré se tient la première audience de la procédure prud’homale lancée par les Gilets noirs contre le groupe Elior, numéro 4 mondial dans le domaine de la restauration collective et du nettoyage. Une nouvelle étape dans le conflit qui oppose les militants à l’entreprise, dont ils ont déjà occupé les locaux en juin dernier. Leurs revendications sont simples : la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers et le versement de dommages et intérêts pour toutes les atteintes au droit du travail, comme les heures supplémentaires non payées ou la multiplication des CDD abusifs. 

Les militants venus témoigner leur solidarité aux travailleurs sont rapidement dégagés du trottoir. Quelques jours plus tôt, le rassemblement de soutien annoncé devant le Conseil de prud’hommes, qui se situe en face d’un commissariat, a été interdit par la préfecture. Après de brèves négociations sous la pluie, le groupe est finalement escorté par les policiers sur la place du Colonel Fabien, à quelques centaines de mètres.

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C’est donc devant l’hôtel Generator que se regroupe la petite cinquantaine de travailleurs et de militants. Coïncidence, l’établissement sous-traite justement son nettoyage à Elior. Ali, membre du collectif La Chapelle Debout et des Gilets noirs, interpelle le personnel et les clients : “On vient dire aux gens qui travaillent et consomment ici qu’ils participent au système esclavagiste d’Elior. Les camarades travaillent sous la menace de la dénonciation et de la déportation. Le travail sous contrainte, c’est de l’esclavage”. 

Entre les agents de sécurité et les soutiens de plus en plus nombreux, la directrice de l’hôtel fait une apparition paniquée. Les clients et badauds regardent la scène d’un air circonspect. Esclavagistes, vraiment ? 

Gilets noirs contre Elior - "À chaque fois qu'il y aura de l'exploitation, on viendra chercher le patron"
Devant l'hôtel Generator, client d'Elior. Crédits : Clara Menais.

Si madame la directrice veut se laver les mains, très bien, il y a une solution très simple pour que tout cela s’arrête : donner des CERFA et certificats de concordance à tous [nécessaires à la régularisation des travailleurs sans-papiers, NDLR]. Qu’elle le transmette à Elior”, reprend Ali dans son mégaphone. “Dites à Elior que s’ils ne régularisent pas tous les Gilets noirs, son hôtel se fera pourrir assez fréquemment. Il faut savoir que la directrice de cet hôtel, parce qu’elle signe un contrat avec Elior, est complice de l’esclavage de nos camarades et sera tenue responsable de cette situation. On viendra la pourrir comme on ira pourrir chaque client d’Elior”.

Une stratégie radicale caractéristique du mouvement, qui tranche avec les pratiques traditionnelles de négociation au cas par cas. Les Gilets noirs visent ainsi ces entreprises qui sous-traitent certains services à des prestataires peu regardants sur l’emploi des personnes sans-papiers, et cautionnent donc de fait les entorses au droit du travail. “À chaque fois qu’il y aura de l’exploitation, on ira chercher le patron”, conclut Ali. 

Négociations avortées

Le conflit qui oppose les Gilets noirs à Elior remonte à l’été dernier. Le 12 juin 2019, l’occupation du siège de l’entreprise avait laissé entrevoir la possibilité d’une négociation avec la direction. Des discussions sans cesse reportées ou annulées. “On a aussi occupé Nespresso, on a occupé l’Hôtel Ibis, qui sont des clients d’Elior. On a fait une campagne de collage sur de nombreuses adresses de clients d’Elior comme les cinémas Gaumont, certaines sections du ministère de l’Éducation…”, rappelle un militant. En vain.

"Elior nous exploite. Quand vous rentrez dans cette entreprise, et que vous n’avez pas de papiers, vous êtes comme un esclave. Ils peuvent vous faire faire ce qu’ils veulent."

C’est donc après plusieurs tours de négociations ratées que les Gilets noirs ont décidé de porter leur cause devant les juridictions du travail - avec l’appui de la CNT-Solidarité ouvrière.

Multinationale de l'exploitation

Au-delà de leur situation administrative, les militants dénoncent également l’emploi de travailleurs sans-papiers pour nettoyer des espaces qu’ils identifient comme des lieux de torture pour leurs camarades  : aéroports, centres de rétention, préfectures, commissariats… “C’est une façon de faire travailler les travailleurs sans-papiers contre eux-mêmes pour les diviser et les humilier”. 

Elior nous exploite. Quand vous rentrez dans cette entreprise, et que vous n’avez pas de papiers, vous êtes comme un esclave. Ils peuvent vous faire faire ce qu’ils veulent”, raconte K., un ancien salarié licencié en novembre dernier. Après deux ans de service chez la société de nettoyage, il met au courant sa hiérarchie de sa situation administrative et demande les formulaires nécessaires à sa régularisation. Après l’avoir fait attendre, puis l’avoir poussé - sans succès - à l’abandon de poste, Elior le licencie. Sans CERFA, document indispensable pour le dépôt d’un dossier de régularisation par le travail en préfecture, il lui est impossible de se mettre en règle.  

Gilets noirs contre Elior - "À chaque fois qu'il y aura de l'exploitation, on viendra chercher le patron"
Crédits : Clara Menais.

D’après Etienne Deschamps, juriste au syndicat du nettoyage de la CNT-Solidarité Ouvrière, c’est une situation courante : “Il y a près de 200 salariés sans-papiers qui travaillent en Ile de France pour le compte d’Elior”. Et les irrégularités recensées sont nombreuses : absence de délais de carence entre les CDD, non-respect des quotas d’heures supplémentaires et de la durée minimale de travail autorisés dans la convention collective des entreprises de propreté... “Et même le non-paiement de salaires pour certains travailleurs. Il a fallu qu’on occupe des locaux pour obtenir le paiement de certains salaires !”, déplore le syndicaliste. Des pratiques qui peuvent étonner pour un tel mastodonte du secteur des services - Elior affichait en effet 4,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018-2019.

Au cours de l’audience, les représentants de l’entreprise ont bien évidemment nié les faits”, raconte Etienne, habitué de ce type de litiges. La conciliation ayant échoué, une audience de jugement aura lieu le 15 avril 2020 à 13 heures.  

Photo de Une : Gilets Noirs lors de l'occupation du Panthéon, le 12 juillet 2019. Crédits : Filippo Ortona - Le Média.

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