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À Lyon, tristesse et colère contre la précarité étudiante

Par Tania Kaddour-Sekiou

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L’immolation d’un jeune homme, le 8 novembre, alerte sur la précarité des conditions de vie de nombreux étudiants. Certains d’entre eux vivent dans des bâtiments du CROUS à la salubrité douteuse, comme l’a constaté Le Média.

« Aujourd’hui, je vais commettre l’irréparable  » : un cri de désespoir, dans un dernier message publié sur son compte Facebook. Ce vendredi 8 novembre, il est presque 15 heures lorsque cet étudiant s’immole devant le siège social du Crous de Lyon St-Étienne. « Je vise un lieu politique, le ministère de l’Enseignement supérieur et par extension le gouvernement  », écrit-il. « J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué, en créant des incertitudes sur l’avenir de tous-toutes. J’accuse aussi Le Pen et les éditorialistes d’avoir créé des peurs plus que secondaires  », poursuit-il. Brûlé à 90 %, le jeune homme se trouve entre la vie et la mort.

Précarité quotidienne

Son gilet rouge aux couleurs du syndicat Solidaires Étudiant.e.s - qu’il a relancé à Lyon, il y a deux ans et demi, avec d’autres camarades - ne le quitte pas. « Militant depuis presque 10 ans […], anticapitaliste, antisexiste et anti-impérialiste  », il se tourne vers la science politique et la sociologie, explique sa petite amie. En conclusion du message qu’il laisse, une phrase qui atteste d’un geste proprement politique, que commentateurs médiatiques et responsables gouvernementaux s’empresseront d’éluder : « Vive le socialisme, vive l’autogestion, vive la sécu  ».

Originaire de Saint-Étienne, il avait rejoint Lyon pour débuter une licence de science politique à l’Université Lumière. Le triplement de sa deuxième année lui fera perdre le bénéfice de sa bourse étudiante - son seul revenu - et de son logement. « Il vivait entre chez ses parents et chez moi  », explique sa petite-amie. « Cette année, faisant une troisième L2, je n'avais pas de bourses, et même quand j'en avais, 450 €/mois, est-ce suffisant pour vivre ?  », écrit-il dans son dernier message.

« Personne ne se doutait de sa difficulté et de sa précarité, on ne s’attendait pas à un tel niveau de violence  », explique, sous le choc, l’une de ses camarades. Même son de cloche du côté de la présidence de l’Université Lumière, qui reconnaît, dans un mail adressé aux étudiants, « [n’avoir] pas vu venir et pas su prévenir cet acte de désespoir  ».

« Le gouvernement préfère mettre 1,5 milliard d’euros dans le SNU »

Ce mardi 12 novembre, devant le siège social du Crous de Lyon St-Étienne, dans le 7ème arrondissement de Lyon, la colère des syndicats et des étudiants ne fléchit pas. « Nous voulons une vraie réponse du gouvernement !  », scande la foule. Le syndicat Solidaires Étudiant.e.s réclame notamment la mise à disposition des logements vides pour tous les étudiants qui en font la demande et le relogement de ceux qui habitent dans des résidences insalubres, un fond d’urgence débloqué ainsi que le respect de la trêve hivernale dans les résidences Crous.

« Le gouvernement préfère mettre 1,5 milliard d’euros dans le Service National Universel, plutôt que d’aider les étudiants !  », s’insurge Leila, membre du syndicat. « Vous imaginez ? Avec 1,5 milliards d’euros on pourrait doubler les bourses !  », ajoute-t-elle. Même colère lorsque les militants évoquent le nouveau mode de calcul des APL présenté par le gouvernement. « Une façon édulcorée de présenter une nouvelle baisse  », s’indigne Antoine*, un militant.

Les syndicats pointent également la responsabilité du Crous et des universités. « De nombreux étudiants vivent la même situation que lui, d’une part avec des bourses trop faibles, et d’autre part avec un Crous qui effectue un contrôle important sur les étudiants : deux absences peuvent suffire à vous faire perdre votre bourse  », poursuit Antoine.

Ni l’Université Lumière, ni le Crous n’ont souhaité répondre aux questions du Média. Dans un mail adressé aux étudiants, la présidence de l’Université précise tout de même qu’« il est urgent que la question de la précarité soit appréhendée de manière plus globale et que, au niveau national, les acteurs de l’enseignement supérieur travaillent collectivement à sa meilleure prise en charge, avec les financements adaptés  ». En 2015 déjà, un étudiant seul et sans ressources était retrouvé mort - de faim, selon sa famille - dans une chambre universitaire à Villeneuve d’Ascq, près de Lille. 4 ans plus tard, toute la mesure du problème de la précarité étudiante a-t-elle été prise en compte ?

Des punaises de lits et des cafards dans une résidence universitaire de Lyon

Des parties communes cassées, de l’humidité, des problèmes de canalisation : bienvenue dans la résidence universitaire Jean Mermoz, dans le 8ème arrondissement de Lyon, où l’étudiant a vécu. Si les loyers s’élèvent à 150 euros par mois, est-ce une raison valable pour laisser des étudiants vivre dans des logements insalubres ? « Il avait de la chance : quand il y habitait, il n’avait que des punaises dans sa chambre  », ironise sa petite-amie.

« Cette résidence n’a pas été réhabilitée depuis des décennies  », alerte le porte-parole de la CGT Crous de Lyon St-Étienne, Philippe Consentino. « J’ai demandé au conseil d’administration à ce qu’elle soit fermée afin d’être démolie  », ajoute-t-il. La situation est telle qu’un des trois bâtiments de la résidence a été rasé. « Fermer la résidence, cela signifie aussi moins de place pour les étudiants, alors qu’il y a seulement 10 000 logements pour 52 000 demandes sur la région  », précise le porte-parole.

« Cet été, nous avons été infesté de punaises de lit. Malgré leurs interventions, j’ai toujours des plaques de boutons sur tout le corps  », explique une autre étudiante. Lorsque le nettoyage des résidences n’a pas été délégué à une entreprise privée, le personnel du Crous subit lui aussi les conséquences de l’insalubrité. « Mes collègues du nettoyage travaillent dans des conditions difficiles  », s’émeut le porte-parole. « Ce sont les conséquences d’une politique gouvernementale où l’État se désengage de plus en plus  », ajoute-t-il. Principale revendication des étudiants mobilisés : « des conditions pour vivre et étudier dignement  », conclut Leila, tandis que l’étudiant qui s’est immolé se trouve toujours entre la vie et la mort.

* : Le prénom a été modifié.

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