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Affaire Zineb Redouane - Intrigues et omerta au parquet de Marseille

Par Olivier-Jourdan Roulot

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Au point mort depuis 7 mois, les dernières révélations sur le dossier Zineb Redouane semblent en mesure de changer la donne. Alors que Le Média continue d’enquêter, la pression est désormais forte sur les autorités politiques, judiciaires et policières. L’affaire ayant pris une dimension nationale, on perçoit à Marseille les échos de ce revirement. Au tribunal, notamment, où des soupçons de dérapages policiers pèsent sur un autre dossier. Hier, il fallait être dans la rue et lire la presse pour toucher du doigt les trop nombreuses zones d'ombre.

15h40, mercredi. Dans les rues de Marseille, la chaleur estivale frappe fort. A l’entrée du tribunal de grande instance, au bas des escaliers qui mènent au contrôle de sécurité, un groupe de cinq personnes discute pour tuer le temps. L’atmosphère, détendue, ne dit rien de ce qui se joue pour l’une d’entre elles. Tee-shirt blanc, lunettes de soleil accrochées au cou, short noir, baskets aux pieds, un homme sourit, tendant son briquet à sa voisine qui porte une robe noire – son avocate. Le 30 mars dernier, Brahim Boussalia se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, dans la partie basse de cette Canebière qui fait tant parler d’elle avec les révélations en cascade dans l’affaire Zineb Redouane.

Ce 30 mars, comme chaque samedi depuis des semaines, les gilets jaunes sont dans la rue. Boussalia n’est pas un militant, il est là par hasard. Il les croise, l’ambiance est calme, aucun incident n’est à relever. Le promeneur sort son portable et filme les manifestants qui passent sans le remarquer. Subitement, un individu l’agrippe, lui assène par derrière un coup puissant au bras, faisant tomber son téléphone. La suite est un peu confuse, soldée par un bref échange de coups. Rapidement, les CRS qui encadrent la manifestation interviennent pour mettre fin à l’échauffourée. À plusieurs, ils sautent sur l’agresseur. Brahim Boussalia observe la scène.

Mais très vite, la situation s’éclaircit, et tout bascule : l’homme qui l’a attaqué est... un policier en civil. Il est en service mais ne porte aucun signe distinctif, n’a pas de brassard au bras, et n’a, affirme Boussalia, pas fait état de sa qualité. L’incident, plutôt anecdotique, aurait pu en rester là, voire se conclure par une poignée de mains. Il vaudra au passant égaré de la Canebière une garde à vue de 48 heures au commissariat de Noailles, doublée d’une plainte pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ! Sans aucun antécédent de justice, celui qui se retrouve dans la peau d’un accusé passe en comparution immédiate dans la foulée, le 1 avril. Une très mauvaise blague qui lui vaut... 25 jours de détention préventive à la prison des Baumettes.

C’est donc cette histoire que cet intérimaire de 36 ans est venu solder ce mercredi 3 juillet devant la 11ème chambre B, au 1er étage du tribunal, celui des comparutions immédiates. Dans cette épreuve, le prévenu est soutenu par sa compagne, son avocate et deux gilets jaunes, témoins de l’incident du 30 mars et appelés à raconter à la justice ce qu’ils ont vu ce jour-là. L’affaire a déjà été renvoyée à deux reprises. Une première fois, le 29 avril, pour écouler le « stock » de dossiers lié aux manifestations des gilets jaunes, la seconde pour satisfaire une demande de la partie civile. Ce mercredi, il faut attendre, les prévenus qui comparaissent détenus étant prioritaires - il faut libérer dès que possible les escortes mobilisées.

Devant le tribunal, Brahim Boussalia sort à son tour une cigarette. « Je sais la chance qui est la mienne de ne pas être dans la cage, en bas », nous glisse-t-il d’une voix posée, prenant la chose avec philosophie. Dans cette histoire, il risque jusqu’à 5 ans de prison.

Les petits oublis de La Provence

Ce mercredi matin, le quotidien régional La Provence avait une information de première main à apporter à ses lecteurs : en début de semaine, le parquet de Marseille a voté une motion de soutien pour défendre le procureur-adjoint Ribes, et dénoncer « le dénigrement » dont il serait l’objet dans la presse. En ligne de mire : Le Média, doublement coupable. Pour avoir d’une part révélé la présence de ce représentant éminent du ministère public le 1er décembre, jour du drame, aux côtés des CRS auteurs du (ou des) tir(s), et avoir par ailleurs souligné que cet élément a été caché à Mathilde Bloch, la juge en charge de l’instruction. Dans les mêmes colonnes, on apprend que cette motion au contenu très flou – au-delà du doigt pointé en notre direction – a été « votée par une grande majorité de ses collègues du parquet  ». En clair, si on décrypte ce que l’auteur nous apprend, elle n’a pas fait l’unanimité au sein d’une institution très hiérarchisée et habituée à parler d’une seule voix.

Impossible d’en avoir le cœur net : la Provence ne le sait pas, elle n’a ni le texte ni le décompte précis pour départager soutiens et abstentionnistes - nous avons vérifié - et le parquet ne communique pas sur le sujet. Il faut par conséquent se contenter de ce grand flou. L’histoire devient savoureuse quand on apprend par ailleurs que Xavier Tarabeux (le procureur de Marseille) lui-même a d’ailleurs renoncé à diffuser à la presse ce document, pourtant destiné à afficher un soutien public. Mais le quotidien de Bernard Tapie était heureusement là pour rattraper le coup et jouer les petits télégraphistes pour le compte du parquet.

A gauche, la façade du 12 rue des Feuillants, où vivait Zineb Redouane. A droite, la porte scellée de son appartement.

La Provence, ce même jour, se distingue par un autre exploit. De taille, celui-ci : alors que toute la presse, des médias alternatifs aux plus mainstream, s’est faite l’écho de l’existence - révélée mardi par Le Média - d’une contre-autopsie diligentée par les autorités judiciaires algériennes, dont les conclusions contredisent les prises de position du ministre Christophe Castaner et du patron du parquet de Marseille Xavier Tarabeux, le journal dirigé par Franz-Olivier Giesbert a estimé que cette information capitale n’en... était pas une. Il a ainsi privé son lectorat de la moindre mention du sujet, tout en consacrant une pleine page au dossier Zineb Redouane. Joint par nos soins pour discuter de cette étrangeté, un membre de la rédaction du quotidien, sous couvert d’anonymat, a accepté de nous donner les raisons de ce spectaculaire « oubli ».

Notre interlocuteur nous a expliqué que le document publié sur notre site Internet avait posé problème, « s’appuyant sur des éléments médicaux qu’on ne connaît pas  » ( sic ). La rédaction n’aurait pas eu le temps de les vérifier pour bien sécuriser ses informations. Après avoir relu le rapport algérien, nous n’avons trouvé nulle part trace de documents médicaux qui, avait encore précisé notre insider à La Provence, « auraient pu être transmis par les autorités judiciaires françaises alors que les légistes marseillais ne les avaient pas, donc il y a doute  »… À peine sont évoqués sur trois lignes les antécédents médicaux de Zineb Redouane, ni plus ni moins que dans l’autopsie marseillaise – pour des conclusions radicalement différentes. Et rien pour justifier la suspicion jetée sur la qualité de ce document, et ainsi omettre de livrer une information majeure.

Xavier Tarabeux et la presse

Ce raté en dit beaucoup sur les relations entretenues par le parquet de Marseille et les journalistes. Cette stratégie de verrouillage a été mise en place par Xavier Tarabeux lors de son arrivée à Marseille, il y a trois ans. Rompant avec ses prédécesseurs, celui-ci n’a pas désigné d’adjoint chargé des contacts avec la presse, pour visser la communication du ministère public. Dans les rangs, personne – adjoints, substituts ou autres - n’ose s’affranchir de l’interdit et parler aux journalistes.

Xavier Tarabeux choisit ses titres avec un système très simple consistant à trier le bon grain de l’ivraie. En clair, il y a deux groupes. Dans le premier, l’AFP est au premier rang, en compagnie de la Provence. Dans le second groupe figurent notamment tous ceux qui sont considérés comme insuffisamment compréhensifs, ou trop remuants, c’est au choix. Les premiers sont alimentés par des contacts réguliers, des off et des petites confidences, qui servent le discours et la stratégie du parquet – comme c’est le cas avec cette histoire brinquebalante de la motion de soutien. Pour les autres, rien ou presque. Certains sont soigneusement tenus à l’écart, dans une liste rouge qui comprend le site Marsactu, le quotidien La Marseillaise et son fait-diversier David Coquille, ainsi que des journalistes indépendants comme Xavier Monnier, très en pointe sur les affaires de corruption à Marseille, ou votre serviteur. Pour ceux-là, pas d’invitations aux conférences de presse, par définition normalement ouvertes à toute la presse, jamais de réponses aux messages, aux questions ou aux mails, pour confirmer ou infirmer un élément.

Le système revient de fait à privatiser des moyens publics, ceux de la justice et du parquet, au profit d’acteurs d’un secteur par définition concurrentiel, préalablement choisis. Sur d’autres terrains, cela s’appelle en droit de la distorsion de concurrence. Qu’il y ait dans les relations entre la presse et le parquet parfois des affrontements, voire des inimitiés, fait partie du jeu. Mais que soit ainsi exclu de contacts officiels majeurs tout un pan de la profession relève clairement d’un scandale, dont les associations et les syndicats de journalistes devraient se saisir.

Du côté de l’enquête officielle, cette fin de semaine, la contre-autopsie superbement ignorée par la Provence sera transmise officiellement par un des conseils de la famille de la défunte. Maître Brice Grazzini s’apprête à demander une nouvelle autopsie, en constatant le grand écart entre les deux versions, la française et l’algérienne. D’après nos informations, l’avocat marseillais va également demander que les images des événements du 1er décembre issues de la vidéo-surveillance de la ville de Marseille, dont dispose la justice, soient transmises à un expert. Charge à lui d’améliorer leur lecture et d’essayer d’identifier le tireur que l’on voit sur les images.

Sur ce terrain, après les révélations de Mediapart, Le Canard Enchaîné revient cette semaine sur la façon dont les 5 CRS soupçonnés, auditionnés par l’IGPN, ont enfumé les bœufs carotte. Sollicité pour fournir les lanceurs de grenades lacrymogènes afin qu’ils soient examinés, le capitaine de la CRS 50 a opposé cette fin de non-recevoir impayable : « Pour ne pas obérer la capacité opérationnelle de l’unité lors de cette période de mouvement revendicatif intense, je ne peux me démunir des cinq armes Cougar aux fins d’analyse  ». Et le plus beau, comme le précise le Canard, c’est que les fonctionnaires de l’IGPN se sont contentés de cette réponse lunaire. En réaction, Me Yassine Bouzrou, l'avocat de la fille de la défunte, a déposé plainte pour « soustraction et altération des preuves ».

Curieuse ambiance autour de l'affaire

Enfin, de notre côté, nous avons pu constater un climat particulier autour du dossier. En effet, certains témoins clés semblent particulièrement craintifs. Joint par Le Média, l’un d’eux nous a fait part directement de ses inquiétudes. « J’ai peur pour ma vie et celles des miens  » nous a-t-il confié, pour excuser son refus de s’exprimer. Paranoïa ou mauvaise interprétation d’amicales suggestions policières ? L’avenir tranchera.

Du côté du parquet, occupé à distiller ses « infos » à quelques porte-voix pour tenter de faire redescendre la pression, silence radio. Comme d’habitude. Impossible par conséquent d’obtenir confirmation ou infirmation, même en off, sur des éléments que nous voulions une fois de plus lui soumettre. Enfin, l’épilogue de ce 3 juillet est tombé très tard, presque au tournant d’un nouveau jour. Brahim Boussalia a été fixé sur son sort alors que la nuit était tombée sur la ville. L’attente valait la peine : il était autour de 23 heures quand la présidente Céline Ballerini a annoncé la relaxe du promeneur de la Canebière. À la sortie du tribunal, Camille Latimier, son avocate, confiait qu’elle déposerait une demande d’indemnisation pour les 25 jours de détention provisoire, le délai d’appel passé, ainsi qu’une citation directe pour dénonciation calomnieuse.

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